« Thich Nhat Hanh veut que l’on soit concentré sur ce qu’il a à dire, pas sur qui il est » Entretien avec Marc J. Francis, réalisateur de Walk With Me

Regard bleu, sourire aux lèvres, Marc J. Francis se déplace comme s’il était parfaitement ancré dans la terre. Le cinéaste tire de son expérience un bien-être évident. Il se replonge pour nous dans la conception de ce documentaire sur la Pleine conscience co-réalisé avec Max Pugh avec qui il avait déjà collaboré sur Black Gold. Walk With Me était en avant-première au festival d’Ostende et dans plusieurs villes de Belgique. L’occasion de connecter le public par des marches méditatives comme ce fut le cas à Los Angeles où il est allé lentement jusqu’au cinéma découvrir le film. Marc J. Francis raconte l’air encore très étonné ces phénomènes de marches qui ont dépassé le film. Ce documentaire se penche sur la vie du Village des Pruniers en France, monastère dirigé par Thich Nhat Hanh l’un des grands maitres du bouddhisme dans le monde.

Stéphanie Lannoy : D’où vient le projet du film ?

Marc J. Francis : Le frère de Max Pugh, coréalisateur de ce film, est moine au village des Pruniers. Le monastère a décidé d’inviter des réalisateurs, alors qu’ils n’avaient jamais permis cela auparavant. Le frère de Max l’a contacté et celui-ci m’a convié à co-réaliser ce film.

Quelle expérience de la Pleine Conscience aviez-vous à ce moment là ?  Aucune ! (rires), Mais j’étais vraiment très curieux.

Quel était le plus difficile dans la réalisation de ce documentaire ? La condition posée par Thich Nhat Hanh :« Vous pouvez faire le film à la condition que je n’en sois pas le sujet. Vous devez le faire sur toute la communauté, qu’elle soit le personnage du film ». D’habitude on s’identifie à 2 ou 3 personnages et c’est eux que l’on suit. Ici, nous avions 400 moines et nonnes qui portent tous les mêmes habits, la même coupe de cheveux. Nous n’avions aucune idée par où commencer. Ce fut un grand challenge de trouver l’histoire.

Etes-vous allés observer dans le monastère, sans caméra ? Au départ, nous y sommes allés avec la caméra mais cela n’a pas fonctionné (rires). Les moines et les nonnes semblaient penser que nous devions d’abord être avec eux, méditer, pratiquer. Nous avons compris que c’était comme cela que les choses devaient se passer. Nous avons donc passé du temps au monastère avant de filmer.

Vous avez donc laissé la caméra de côté…  Plus tard nous avons aussi appris à la garder avec nous. Elle était toujours prête à une opportunité. Avec Max, on échangeait nos informations et envisagions la suite au moment des repas. Parfois l’un de nous s’occupait de la caméra, parfois les deux dans différents endroits.

Vous choisissiez de filmer plutôt des actions ou des personnages ?  Notre priorité était de trouver des personnages et de développer des relations avec eux. Il fallait passer du temps avec chacun. Parfois on ne les filmait pas. Nous essayions de suivre des protagonistes comme porte d’entrée. Une fois qu’on les a trouvés, on a commencé à retranscrire leur existence et leur monde.

Avez-vous beaucoup écrit avant le tournage ?  Un traitement, on y a écrit ce que l’on voulait dire. Mais nous n’avions aucune idée de ce que nous allions faire. Il fallait que l’on trouve l’émotion, une manière de s’immiscer à l’intérieur des personnages.

A quel moment la structure du film s’est-elle dessinée ?  Au montage qui a duré 12 mois. Nous avions 200 heures de rushs.

C’était important pour vous de présenter les protagonistes entourés par la nature ?  La nature comble une si grande partie de leur être, afin de trouver la paix. Ils passent autant de temps qu’ils le peuvent connectés à la nature.

Le son est vraiment essentiel dans votre documentaire…   C’est important de voir le film en salle car le son représente plus de 50% de l’expérience du film. Nous voulions que les spectateurs écoutent le film autant qu’ils le voient. Le son des pas, d’un insecte, du vent dans les arbres… Peu importe ce dont il s’agit, lorsque vous méditez vous devenez très conscient des sons qui vous entourent. Cela vous emmène un peu plus dans le moment présent.

Vous n’approchez pas Thich Nhat Hanh de la même manière que les moines et nonnes avec qui vous êtes proches, pourquoi une telle distance ? L’intention était qu’il soit présent durant tout le film, en background. Il déteste avoir trop d’attention sur sa personne, comme « figure ». C’est l’une des raisons pour lesquelles il n’est pas célèbre comme le Daïla Lama, il a toujours refusé de faire de la publicité. Il veut que l’on soit concentré sur ce qu’il a à dire, pas sur qui il est.

Est-ce Thich Nhat Hanh lui-même qui a été à l’origine de la création de ce film ? L’idée originale a été proposée par un religieux du niveau le plus élevé. Les moines étaient conscients qu’il devenait âgé – il a 91 ans – et personne n’avait jamais réalisé un film sur lui. C’est le premier et dernier film, car il a eu un accident vasculaire cérébral et ne peut plus parler ni se déplacer. Ils voulaient voir s’il était possible d’envisager un portrait créatif.

Le cinéma était peut-être aussi un moyen de conserver sa pensée plus « vivante »… Il a été très publié, a écrit 50 livres, mais en effet, c’est différent. Nous ne voulions pas réaliser un film intellectuel ni didactique. C’est un documentaire réalisé pour le cinéma afin de créer une expérience consistant à amener les spectateurs à ressentir cet état d’esprit.

Comment avez-vous choisi le narrateur, Benedict Cumberbatch ?  Nous avions entendu dire que Benedict Cumberbatch était très familier avec les écrits de Thich Nhat Hanh. Il avait lu quelques-uns de ses livres, cela l’a inspiré et aidé dans sa carrière. C’était naturel pour nous de l’approcher et nous pensions que le sujet l’intéresserait.

Comment avez-vous choisi les phrases du journal de Thich Nhat Hanh ? On a utilisé quelques pages de son livre, Feuilles odorantes de palmier, écrit quand il avait une trentaine d’années. C’est le seul livre dont j’ai connaissance où il est vraiment concentré sur lui-même. Il ne s’agit pas d’écrits pour indiquer aux autres quoi faire, comment être (rires). Il se demande vraiment en lui-même « qui suis-je ? Où suis-je ? Où vais-je ? Voici les bonnes décisions que je prends pour moi-même ». A l’époque il se sentait vulnérable, il avait peur, parce qu’il tentait de faire quelque chose de très important, un engagement plus profond envers les décisions qu’il avait prises dans sa vie. Il essayait de se connecter à son moi profond. Je pense que c’est justement le sujet de ces passages, jusqu’où devons-nous aller pour savoir qui nous sommes vraiment ?

Avez-vous choisi également des extraits qui collaient le mieux au montage image ? Une fois le film monté, nous nous sommes tournés vers le livre. Ce n’est pas tout à fait vrai. Nous avons sérieusement raccourci le montage. Et seulement après nous sommes allés vers le livre pour trouver ces passages. Nous avons cherché une manière de les placer dans le film, jusqu’à trouver la juste place pour chacun, relié à la bonne image.

Que conservez-vous de cette expérience ? Je suis plus calme depuis que j’ai fait ce film. Je me stresse moins, J’ai confiance en la vie. Avant de commencer le film, s’il y avait un problème, c’était un désastre. Maintenant, un problème est juste un problème, pas la fin du monde. Je me dis « Relax, respire, ça va aller ». Si les événements se passent bien je ne me réjouis plus à outrance en me disant que c’est la meilleure chose au monde qu’il me soit arrivé. Maintenant je suis heureux, plus équilibré. Nous pouvons tous avoir un cyclone dans notre vie. Je pense savoir comment me placer dans « l’œil du cyclone », c’est ce que j’ai appris de cette expérience.

Et Max Pugh, qui a co-réalisé avec vous ? Je ne peux pas me prononcer à sa place. Pour lui c’est une expérience différente. Il était très concentré sur la création d’une relation plus proche avec son frère, pouvoir mieux le connaitre.

Avez-vous des projets ? Je prépare un film sur la fin de vie. J’ai passé un an à suivre une personne en phase terminale de cancer. Elle a 12 mois à vivre. Le sujet est : comment décidez-vous de vivre votre vie si vous n’avez que 12 mois à vivre ? C’est un challenge. Elle est musicienne et cela se présentera comme un documentaire musical.

C’est un sujet très émotionnel…  Emotionnel, aussi très créatif et je pense très inspirant.

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Anvers, septembre 2017

Carte Blanche à Marc J. Francis (vidéo)

Walk With Me – La Critique