Thierry Frémaux se dit chanceux d’être présent dans les deux « plus belles avenues du monde », la Rue du Premier Film et la Croisette. Délégué Général du Festival de Cannes, Directeur de l’Institut Lumière à Lyon, c’est avec la casquette de réalisateur qu’il présente son film au FIFF, « Lumière ! L’Aventure commence ». « Composé et commenté par Thierry Frémaux » indique modestement le générique. Ce film est une vraie leçon de cinéma. Un incroyable retour aux sources de la grammaire cinématographique guidé par sa voix, en même temps qu’un émouvant témoignage sur une époque.
Stéphanie Lannoy : Transposer les films Lumière au goût du jour était votre défi ?
Thierry Frémaux : Il était question de Ré-enchanter l’histoire Lumière en la mettant au présent. Je cite souvent cette phrase de Faulkner issue de Mississippi Blues de Tavernier qui dit « le passé n’est pas mort, il n’est même pas passé ». Quand on voit les films Lumière, on se dit « le cinéma est là, tel qu’il est jusqu’à aujourd’hui ». Le questionnement que je peux faire sur les films Lumière c’est parce que je suis un cinéphile contemporain. On les qualifie de « vieux films », pourquoi ne pas utiliser le mot classique comme c’est le cas pour la musique, la littérature et la peinture ? Accolons le mot classique au cinéma, aucun site film ne sera jamais plus vieux qu’une pièce de Shakespeare.
Comment avez-vous sélectionné les 108 films qui composent le long métrage ? Je connaissais très bien ces films, j’avais l’habitude de les commenter en direct. Il y a 25 ans, j’avais même fait ça à New York avec une VHS. Pour le film j’ai réécrit mes commentaires, réenregistré. Ces 108 films permettent de faire un voyage dans le cinéma de Lumière. Je les ai séparés en chapitres qui permettent d’avoir une sorte de premier aperçu.
Vous démontrez que ces films sont à la base du langage cinématographique… On découvre que les Lumière ont expérimenté beaucoup de choses, ils étaient ouverts parce qu’ils n’avaient pas de recette. Et l’histoire du premier travelling à Venise, ce n’est pas simplement que l’opérateur l’a fait. Quand il le met en place, il envoie le film à Lyon comme ils faisaient tous avec une lettre : « Monsieur Louis, j’ai pensé un truc, j’ai mis la caméra sur un bateau j’ai pensé que ça pouvait donner quelque chose… Si ça ne vous plaît pas détruisez le film, ne me renvoyez pas ». Quelque chose prouve que tout était hypothèse, c’est pour ça que c’est un cinéma si moderne. La modernité c’est de poser des questions, ce n’est pas d’apporter des réponses, c’est de dire « pourquoi pas ? ».
Pourquoi était-il nécessaire de replacer les frères Lumière dans l’histoire du cinéma ? Le film est aussi destiné à combattre pas mal d’idées reçues sur Lumière. Celui qui invente le cinéma n’y croyait pas. Évidemment, il n’a jamais dit que le cinéma était un art sans avenir, mais l’idée qu’il puisse l’avoir dit est belle. Sa place dans l’histoire était très particulière, pas vraiment un inventeur ni un cinéaste et je voulais dire qu’il est complètement les deux. Comme inventeur évidemment il n’est pas tout seul, je cite toujours les autres Muybridge, Edison etc. Toute grande invention humaine est une œuvre collective, sauf que Lumière a fait ce qu’il fallait pour finir le travail. Il n’y a aucun inventeur après lui. Je fais du futur historique dans le film, je me sers de cinéastes, Raoul Walsh, James Cameron. Car les questions que se sont posées les cinéastes tout au long du siècle, Lumière se les est posées en premier. Celles de tout cinéaste quand il arrive chaque matin sur son plateau, où placer les éclairages, les caméras etc. Lumière fait partie de cette famille-là et en était pourtant exclu. On dit souvent que Lumière invente une machine et Méliès invente le cinéma, que Lumière faisait du documentaire et Méliès de la fiction. Tout cela n’est pas vrai. J’ai constitué un film contemporain d’une heure et demie, un objet d’aujourd’hui. C’est la première fois que les films Lumière retournent au cinéma depuis 1900-1905 et que les gens vont payer leur place pour aller les voir.
La structure narrative du film fait le lien entre passé et présent dans l’Histoire du cinéma… Le générique est un hommage à 1900 de Bertolucci, qui commence de la même manière avec un dézoom et puis je voulais mettre Scorsese à la fin pour là aussi créer un lien avec le contemporain. Entre les deux je voulais que le film ne soit composé que d’images Lumière.
Vous citez beaucoup Bertrand Tavernier en off… Bertrand qui est président de l’Institut Lumière, est venu avec moi lors de mes tournées en Amérique. Je commentais en français et lui en anglais. Il traduisait et a apporté des choses, comme quand je le cite dans cette belle expression : « ils ont offert le monde au monde ». Il a été important dans ma formation de cinéphile.
Comment se passe la restauration des films Lumière ? On en a restauré 150 et on va lancer un nouveau plan de 300 films. Je connais ceux que j’ai choisi de restaurer, mais parmi les 1500 il y en a aussi des ratés. Pour la restauration on a très rarement des négatifs, parfois des positifs. On est à chaque fois partis du meilleur élément que l’on avait pour scanner puis faire une restauration digitale. On a fait une version 4K puis on a refait un négatif, des positifs et un jeu de 35. Une restauration c’est presque une hypothèse, c’est aussi une proposition et le scintillement digital fait songer à celui du cinématographe. A l’écran, l’image est dans l’image parce que que je voulais que tout monde comprenne qu’à l’origine les bords étaient ronds car souvent les films n’étaient pas projetés avec le cadre prévu.
Ce sont aussi les petits incidents qui vous plaisent dans ces films ? Et dans le cinéma en général. La perfection a quelque chose d’ennuyeux. C’est pour ça que j’ai même laissé les poils caméra dans la restauration, ils font partie du film. Certains ont des petits sauts de montage, on voit même l’écriture ou les perforations, parce que c’était le cas. N’empêche que vous voyez le film comme vous ne l’avez jamais vu. Et c’est émouvant le cinématographe Lumière, il y a quelque chose de l’ordre de l’incertitude. J’aime bien ce film sur le ballon captif, l’image bouge beaucoup et le flou est beau. Cette non perfection fait que les types se demandent « pourquoi je ne filmerais pas comme ça ? ». Et certaines photos des années 30 sont prises de cette manière.
Pourquoi avoir choisi la musique de Camille Saint-Saëns ? La grande interrogation c’est le rapport de Louis Lumière à son époque. Nous n’avons aucune archive, il faut faire des hypothèses. Je ne voulais pas faire d’autre choix qu’un musicien de cette époque. C’est l’atmosphère musicale de la musique française de l’époque. Je parle de Marcel Proust à plusieurs reprises, la musique devait accompagner avec la même tonalité. Pour l’anecdote, Camille Saint-Saëns est le premier musicien officiel de l’histoire du cinéma puisqu’il est le premier à qui on a commandé une musique de film.
Prévoyez-vous une suite ? On a appelé ça L’aventure commence pour que la suite s’appelle L’aventure continue que le troisième s’appelle Le retour de l’aventure. Je n’ai pas mis tous les sujets, J’en ai gardé ! (rires) Et il fallait que je sois là pour accompagner le spectateur. Mais quand le DVD sortira, vous baisserez le son et regarderez les films pour ce qu’ils sont !
Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, FIFF Namur, octobre 2017
Lumière! L’aventure commence, Critique!