Au Revoir Là-Haut est l’adaptation du roman picaresque de Pierre Lemaitre, Prix Goncourt 2013. Albert Dupontel, séduit par cette oeuvre, en a modifié le récit à divers endroits pour des raisons d’adaptation cinématographique et ces changements ont été validés par l’écrivain. Celui-ci déclare qu’à la vision du film il était « Le plus heureux des romanciers ». L’histoire est bien sûr d’une richesse incommensurable et l’on se délecte de tous ces personnages qui nous sont proposés. Le Paris des années 1920 est magnifié dans un souci pictural de narration, une image colorisée, granuleuse, superbe, qui relie le passé au présent, rappelant les autochromes d’Albert Kahn. La direction photo est signée Vincent Mathias, les effets spéciaux Cédric Fayolle, tous deux déjà présents sur 9 mois ferme, et les coloristes sont Lionel Kopp et Natacha Louis.

Tout en étant onirique, le film s’ancre dans la réalité de la Grande Histoire. Nous sommes en novembre 1919. Deux rescapés des tranchés, Edouard Péricourt, dessinateur hors pair et Albert Maillard, modeste comptable, décident de monter une arnaque aux monuments aux morts. Entreprise risquée, audacieuse et crapuleuse, dans la France des années folles, qui pourrait même se révéler spectaculaire.

Une pléiade de protagonistes vont nourrir ce récit presque charnel tant il est habité, et pour ce faire, Albert Dupontel a réuni un casting parfait. Nahuel Pérez Biscayart (120 battements par minute De Robin Campillo) interprète admirablement Edouard Péricourt, un artiste volage et inconscient qui malgré les difficultés de la vie va se révéler à lui-même et au monde, dans une métamorphose éblouissante. Albert Dupontel vit et respire dans la peau d’Albert Maillard, un homme ordinaire qui va se dévouer corps et âme par devoir, solidarité et amitié pour Edouard. Les deux acolytes vont former avec la jeune gavroche Louise, Héloïse Balster, un trio candide et joyeux. Le Lieutenant Pradelle quant à lui est tellement craint par ses troupes, qu’il nous est judicieusement présenté le visage caché dans une ombre profonde. Laurent Laffite estampillé Comédie-Française (Papa ou Maman de Martin Bourboulon), excelle dans cet être aussi charmant que manipulateur, voire vraiment salaud. L’acariâtre riche homme d’affaire Marcel Péricourt est incarné par Niels Arestrup (Diplomatie de Volker Schlöndorff). Son pesant charisme contraste avec la luminosité et la fraicheur de sa fille, Madeleine, Emilie Dequenne (Pas son genre de Lucas Belvaux) belle jeune femme blonde filiforme dans ses robes longues, qui se révélera une âme apparemment bien plus sensible que son père…
Au Revoir Là-Haut est incontestablement un très grand film, une oeuvre qui marque. Quel plaisir de découvrir cet univers, qui débute sur un mode réaliste et pourrait ensuite rappeler celui de Caro et Jeunet. Une oeuvre poétique, qui reprend de nombreux thèmes ancestraux comme celui de l’artiste maudit, du monstre, du masque et avant tout profondément humaine, qui ramène l’attention sur les petites gens de ce monde.

De l’humoriste de one-man-show au César du Meilleur Scénario original pour sa comédie 9 Mois ferme, on n’attendait pas Albert Dupontel sur ce terrain qu’est l’adaptation d’un roman épique. Et finalement quoi de plus logique, puisque Au Revoir Là-Haut pourrait être une métaphore de sa propre histoire. Un artiste qui se réalise, qui éclot à travers ses créations comme le personnage d’Edouard, puisqu’ici Albert Dupontel se révèle vraiment en signant un véritable chef d’oeuvre.
Entretien avec Emilie Dequenne !