« Un personnage, c’est une vie dont on est responsable » Entretien avec Emilie Dequenne pour Au-Revoir Là-Haut

Emilie Dequenne dans Au Revoir Là-Haut d’Albert Dupontel

Pas son Genre
de Lucas Belvaux, A perdre la raison de Joachim Lafosse, La fille du RER d’André Téchiné, autant d’oeuvres qui soulignent avec quelle intelligence Emilie Dequenne choisi ses rôles dans des films qui comptent, d’auteurs et populaires à la fois. Une carrière sans faute et des rencontres avec des réalisateurs qui la magnifient. Cette bosseuse classieuse interprète cette fois Madeleine, jeune femme de bonne famille, mélange de douceur, d’ironie et fermeté dans le chef d’oeuvre d’Albert Dupontel, Au Revoir Là-Haut. De passage en Belgique elle nous raconte cette belle aventure.

Stéphanie Lannoy : Comment le projet de « Au Revoir Là-Haut » vous a-t-il été présenté ?
Emilie Dequenne : Très simplement, un vendredi soir par un SMS d’Albert Dupontel. Et quel SMS ! Il n’y a pas plus scolaire : « Bonjour, j’aimerais vous rencontrer, signé Dupontel Albert ». Le nom avant le prénom! (rires). Ca ne m’étonnait pas qu’il écrive comme ça et en même temps je me suis demandé si l’on me faisait une blague. J’ai demandé à mon agent de vérifier le numéro de téléphone. C’était bien celui d’Albert Dupontel, je lui répondu tout de suite parce qu’évidemment, je voulais le rencontrer et qu’il m’explique quelle nouvelle folie il allait faire. Et je ne m’attendais pas à ça.

Vous aviez lu le roman de Pierre Lemaitre ? Non, j’ai lu le scénario immédiatement après avoir rencontré Albert, mais ce n’était pas nécessaire. En une rencontre il était tellement précis et investi dans son projet qu’il m’a fait voir le film à travers son regard, ses mots, ses descriptions. Il m’a donné tous les éléments que je pouvais utiliser pour créer Madeleine. C’est insensé, mais il est comme ça Albert. Il a l’intelligence de savoir s’expliquer clairement et se faire comprendre de tous.

Vous aimiez ses films ? Ils ne m’ont jamais laissée indifférente, c’est un univers que j’adore. Neuf mois ferme d’autant plus, parce que plus émouvant, plus humain, encore toujours un peu dérangeant et en même temps peut-être aussi adouci. Quoi que j’aime tout autant Neuf mois ferme que Bernie, ce sont deux films très différents et en même temps il y a son point de vue, son regard. C’est un vrai metteur en scène, ses films sont brillants. Avec Au Revoir Là-Haut je me suis rendue compte du technicien qu’il était. Il sait exactement comment, où placer sa caméra. On a répété des mois avant de commencer le tournage dans les bureaux de production. Il nous a tellement bien expliqué les scènes dans l’espace que quand je suis arrivée sur les décors j’ai tout reconnu, pourtant ils n’existaient pas lors des répétitions. Je ne suis pas habituée à des grosses productions, je suis plutôt dans des films à taille très humaine et l’on peut vite se perdre sur un grand plateau. J’en sais quelque-chose, j’ai tourné Le Pacte des loups (de Christophe Gans ndlr) où j’étais un peu en perdition. Au vu de ce qu’il entreprenait, je savais que ça allait être assez lourd techniquement, mais avec sa façon de travailler il est impossible de se perdre.

Quel est votre rapport au film d’époque ? Le film d’époque peut donner visuellement quelque chose de très beau. Au demeurant ce qui m’émeut le plus quand je vois le film, c’est la beauté de cette succession de tableaux avec des références à des artistes que je trouve vraiment bouleversantes. J’ai l’impression qu’Albert s’est amusé à faire des plans qui sont des successions de chefs d’œuvres.

Vous retrouviez Niels Arestrup sur ce tournage après « A perdre la raison » de Joachim Lafosse… On était contents de se retrouver parce qu’on y jouait des personnages aux rapports un peu malsains. Et là, on avait un joli rapport père-fille, ça se passe plutôt bien entre Madeleine et son père. Elle est très protectrice, il est très proche de sa fille et les rapports sont très doux entre les deux. Niels est quelqu’un que j’aime beaucoup, c’est un acteur incroyable.

Comment est-ce de jouer avec un metteur en scène qui fait aussi partie des comédiens ? C’est un peu nouveau pour moi. Le metteur en scène est l’un des nôtres et c’est pour cela aussi que c’est facile de le comprendre. Il m’a dit des choses, mis des mots sur ce que je pouvais éprouver quand je cherchais à construire le personnage. Parfois, le fait de concrétiser par des mots ou par une image, une sensation, quelque chose d’un peu abstrait est un bon appui dans le travail. Et c’est vrai que lui forcément il sait et s’exprime très clairement.

C’est votre première collaboration avec Laurent Lafitte… Je suis épatée par ce comédien. Il est capable de tourner et d’être au théâtre en même temps, de jouer deux pièces de théâtre par semaine, enfin la Comédie-Française quoi, c’est une école ! J’en serais incapable.

Il interprète Pradelle, un vrai personnage de « salaud »… Je le trouve magnifiquement… dégueulasse, il est terrible. Il disait en interview que l’on trouve toujours une part d’humanité chez les gens. Là il avait essayé, mais avait eu beaucoup de mal à comprendre ! (rires).

Il ne juge pas son personnage… On ne peut pas juger un personnage, si on le fait cela veut dire que l’on met une distance, on ne peut alors plus l’incarner, donc on est obligé d’être. Et c’est vrai que quand on ne trouve rien pour le sauver c’est dur. Pradelle est quand même foncièrement mauvais, c’est difficile, mais les sociopathes, les psychopathes, ça existe.

Comment considérez vous le costume en tant que comédienne ? La construction d’un personnage passe par le costume, que ce soit d’époque ou contemporain. J’adore les essayages, des choses s’y construisent. Je m’habille en dernier avant de tourner, un peu comme un changement de peau. Dans le contemporain c’est moins évident, cela peut ressembler à des choses que vous portez. Mais pour moi c’est un élément essentiel de la composition du personnage. Ca oblige à se tenir différemment, c’est un petit ingrédient magique qui fait une petite partie du job à ma place et forcément dans le film d’époque, cet effet est décuplé.

Avez-vous des projets ? Beaucoup mais je préfère ne pas en parler, je suis hyper superstitieuse. Plutôt des tournages parce que je n’ai plus envie de jouer au théâtre, ça me rend trop malheureuse. Quand j’étais gamine je répétais toute l’année pour jouer la pièce trois fois, là vous répétez moins de 2 mois et vous jouez toute l’année. Au bout de 50 représentations je n’y arrive plus, c’est trop fatiguant.

L’effet de naturel du jeu s’estompe… C’’est effectivement ça, mais beaucoup d’acteurs diront le contraire. Niels dirait que tous les soirs on se réinvente, que le théâtre il n’y a que ça de vrai et je peux le comprendre, j’adore le théâtre. Si j’avais la possibilité de jouer une pièce vingt, trente voire cinquante fois maximum, pourquoi pas. Mais ça prend trop de temps, en plus je suis très famille, et l’idée de quitter la maison tous les jours à l’heure à laquelle tout le monde revient me fend le cœur. En plus, les week-ends en famille c’est terminé. Peut-être quand les enfants seront plus grands.

Quand on observe l’itinéraire d’Albert Dupontel, celui de l’artiste qui se réalise, pensez-vous qu’il y a un lien entre l’histoire du film et la sienne ? Oui, je pense que c’est très personnel étrangement cette histoire pour Albert. Il s’est investi vraiment, je n’ai jamais vu ça et c’est une adaptation d’un livre et pourtant c’est un film d’auteur et pourtant c’est un film spectaculaire. Il a réussi quelque chose d’assez unique dans le paysage cinématographique français voire européen. Et effectivement c’est nourri de lui, on ne peut pas s’empêcher de penser à l’avenir qui lui était destiné, aux parents. J’ai rencontré sa mère l’autre soir à Paris, une femme charmante qui est tellement fière de son fils. C’est beau de voir ça et elle a raison. Je ne le connais pas suffisamment pour me permettre de dire que c’est ultra personnel mais on ne peut pas faire un film comme ça et mentir, ce n’est pas possible.

Vous refusez beaucoup de scénarii? Oui, plus que je ne tourne. Ce n’est pas que c’est mauvais, je n’ai pas la science infuse. C’est juste que je ne peux pas m’engager sur un film si je n’y crois pas à 100%. Si l’intuition ne prend pas le dessus, une petite voix qui me dit « bon allez vas-y !», alors tant pis.

Avoir débuté dans le cinéma avec les Dardenne oblige peut-être à une certaine exigence… Avec les frères on est obligé d’y aller à fond et j’ai envie d’envisager tous les personnages comme ça. Pour moi, il s’agit d’un véritable engagement de l’ordre du sacré envers un film, un personnage. Un personnage c’est une vie. Dans une autre réalité certes, mais c’est une vie dont on est responsable à partir du moment où l’on s’engage.

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Bruxelles, Octobre 2017
Au Revoir Là-Haut, Critique