Le très engagé Michael Moore renverse le titre de son Fahrenheit 9/11, réquisitoire contre Georges W. Bush et Palme d’Or du 57e Festival de Cannes, en Fahrenheit 11/9, jour de l’annonce de la victoire de Trump à la présidence des Etats-Unis, le 9 novembre 2016. Le documentariste y dresse un portrait de l’Amérique contemporaine et décode les mécanismes qui ont conduit à l’élection de Trump, ou « comment est arrivé ce à quoi personne ne voulait croire, même pas Georges Clooney ». En juin 2016, Moore écrivait déjà un essai intitulé « 5 raisons pour lesquelles Trump va gagner« .
La conception d’une statue de cire (plus vraie que nature) du nouveau président nous amène subtilement à l’être réel, de chair, et à une plongée dans la société du spectacle dans laquelle il évolue. Trump est un personnage béni des médias, qui au départ se délectent d’un protagoniste aussi bien dessiné, avec ses déclarations trashs comme « Le Rêve américain est mort ».
Michael Moore construit un portrait de l’Amérique d’aujourd’hui à travers divers drames qu’a connu le pays, l’incompétence politique qui règne et l’abstention électorale, conséquence de ces états de fait. Il montre le démocrate Bernie Sanders laisser sa place à Hillary Clinton et constate que l’irrespect du vote des électeurs conduit à la perte de la démocratie. Le cinéaste entretient un lien particulier avec sa ville de natale, Flint dans le Michigan, ville pauvre où la population est principalement noire. Le cinéaste raconte « la crise de l’eau », comment l’eau potable de sa ville a été contaminée au plomb suite aux décisions du gouverneur républicain Snyder, et a rendu toute la population, dont 10 000 enfants, malades à vie. On se dit qu’une ville oubliée ainsi dans ce grand pays que sont les Etats-Unis n’illustre plus le rêve américain. Lorsque l’on découvre sur l’écran que cet endroit a servi de terrain d’attaque à l’armée américaine, on reste sans voix. Forcément.
La voix off du narrateur Michael Moore vient soulager par des pointes d’humour cette réalité dramatique. Le documentariste décèle malgré tout de l’espoir parmi la population. Les femmes sont bien sûr les premières à réagir avec leur « marche des femmes », face à tous ces prédateurs sexuels qui dominent médias et politique, chiffres à l’appui. Et puis, il y a les jeunes. Après la fusillade dans un lycée de Parkland en Floride, les étudiants se sont révoltés contre la NRA, Trump, et leur engagement a provoqué 700 marches de révolte dans tout le pays.
La structure du film est particulièrement réussie et le travail de montage impressionnant. Michael Moore a, de plus, un incontestable talent pour recueillir les témoignages. Entre événements réels et images d’archives, il mélange habilement différents supports qui vont nourrir son propos, reportages télévisés, extraits de films de cinéma, archives. Le film dégage de l’émotion mais ce n’est jamais de la manipulation. Le réalisateur s’y entend en terme de dramaturgie, avec la musique par exemple, funèbre ou comique quand il le souhaite. Heureusement que Moore possède cette liberté de ton et cette responsabilité éthique de cinéaste car le propos du film glace le sang.
Dans un intelligent et pédagogue montage parallèle il compare ainsi l’ascension de Trump à celle d’Hitler. Dans un pays où, dit-il, ont été réalisés les meilleurs films, Metropolis Nosferatu… est arrivé Hitler, un homme qui n’avait pas d’expérience politique, qui ne parlait pas comme les politiciens, qui exaltait les foules par des slogans « l’Allemagne avant tout », « un travail pour chacun », qui a installé des camps… La comparaison est vertigineuse. Le documentariste montre Trump évoquer sur le bout des lèvres le sujet du « président à vie ». L’Amérique prend feu, il y a urgence.