Nicolas Philibert avait fortement marqué les esprits avec son documentaire Etre et Avoir qui remportait le Prix Louis Delluc en 2002. Il aventure cette fois-ci sa caméra dans une école d’infirmiers près de Paris, à Montreuil, pour nous faire découvrir l’apprentissage de ce métier si particulier. Chaque année elles (et ils), sont plus de 30 000 à entreprendre ces études. Parmi elles figurent 12% d’hommes, et le cinéaste a choisi de qualifier cette majorité féminine, détournant la règle de la langue française où le masculin l’emporte toujours sur le féminin. Il a donc décidé de qualifier le groupe par : « elles » ou « les infirmières ».
Le film est construit en chapitres. Le cinéaste observe d’abord tous les gestes techniques dont la maîtrise est primordiale à l’apprentissage. En premier lieu le rituel du lavage des mains, nécessaire pour évacuer tout risque de contamination. Comment prendre la tension, lever un patient handicapé, faire une piqûre. Autant de gestes dont on ne soupçonne même pas qu’un jour notre médecin aux mouvements si fluides les a lui-même appris. Vient ensuite le code de déontologie des infirmiers, avec des directives telles que ne pas vendre son âme aux lobbys, éviter de dépasser les limites imposées par la profession sous prétexte que l’on ferait partie du corps médical. Refuser ainsi de donner la mort, acte réservé au seul médecin.
Ces gestes apparaissent dans le montage sans conséquences directes, jusqu’à ce que le cinéaste introduise la notion d’urgence de soin dans le discours des protagonistes. Après les essais techniques sur des mannequins, les étudiants testent leurs premiers gestes sur des patients lors du stage de première année, comme ceux des années supérieures. On constatera alors les tentatives des élèves et leurs éventuelles erreurs sur des patients plus ou moins effarouchés, sujet intéressant et rarement montré à l’écran.
Au delà des automatismes de la gestuelle à acquérir, les qualités humaines de chacun sont primordiales pour exercer ce métier exigeant nécessitant patience et dévouement envers l’autre. Le compte rendu du stage filmé sous forme d’entretien avec un professeur en témoigne. Chacun peut alors extérioriser son vécu et les situations auxquelles il a dû faire face. Le difficile accompagnement de patients en phase terminale d’un cancer, avec malgré la rudesse de l’épreuve la satisfaction d’avoir accompli son devoir jusqu’au bout.
Le dispositif filmique est assez simple et se fait discret pour laisser toute la place à l’action. Nombreux sont les plans rapprochés et l’on assiste aux entretiens en champ-contrechamp. On retiendra tout de même quelques longueurs dans ce documentaire hyper précis sur l’apprentissage des élèves. On appréciera aussi la diversité des personnages témoignant de la réalité d’une France métissée. Lorsque Nicolas Philibert filme les enfants, soudain tout s’éclaire car il a un véritable talent pour filmer les petites bouilles et les conserver au montage. Comme le visage de cette adorable petite fille dont les yeux roulent à gauche et à droite pendant que l’élève infirmier lui fait une perfusion.
Ce documentaire rend hommage à une profession qui souffre, dont les budgets baissent années après années et qui subit souvent le problème d’être en sous-effectif. Et comme une professeur l’explique justement, il est impossible d’effectuer tous les soins correctement en ayant trop de patients. En insistant sur la précision, le sérieux des soins et le don de soi de ces infirmiers, le documentariste démontre l’impossibilité de réaliser une médecine digne de ce nom dans de mauvaises conditions de travail. Il renvoie par là même le spectateur à une question essentielle : Quelle médecine veut-on à l’avenir, nous, spectateurs, infirmiers ou patients potentiels ?
Le film sélectionné par le Festival du Film de Locarno 2018 a été projeté en première mondiale dans la section Fuori Concorso.