« Une histoire d’amour teintée de réel, belle et imparfaite » Harry Wootliff signe Only You

Harry Wootliff présente Only You, une comédie romantique passionnée ne fleurant pas l’eau de rose et empreinte de la complexité des temps actuels. Originaire de Leeds en Angleterre et résidant à Londres, la cinéaste a réalisé des courts métrages remarqués, Nits nommé aux BAFTA et sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, ou Trip, présenté à la Berlinale. Elle a également écrit et réalisé des séries TV. C’est dans un café bruxellois près de la Grand Place que la jeune femme travaille sur son ordinateur, discrète et concentrée. La conversation se révèle passionnante. Harry Wootliff donne une vraie place au personnage féminin dans le récit, un renouveau en terme de cinéma. Elle s’inscrit ainsi dans une nouvelle génération de femmes cinéastes bienvenue, qui a besoin de montrer le réel à l’écran et l’on découvre avec Only You, une love story honnête envers elle-même.

Stéphanie Lannoy : Comment vous est venue l’envie de réaliser ce premier long métrage ?
Harry Wootliff : Je souhaitais écrire une histoire d’amour teintée de réel, belle et imparfaite. J’essayais à ce moment-là d’avoir un bébé sans y parvenir. Je me suis dit que ce genre d’obstacle était typique de ceux qu’un couple devait affronter ensemble et je me suis demandé comment ils le traverseraient. L’infertilité est un sujet rare sur lequel on porte beaucoup de jugements sans vraiment le comprendre de l’intérieur.

Avez-vous fait beaucoup de recherches ou vous êtes-vous basée sur votre expérience ? Un peu des deux, en construisant un scénario les éléments se mélangent. J’ai inventé certaines choses, j’en ai lues d’autres. Je suis tombée accidentellement enceinte pendant l’écriture du scénario j’ai alors dû me reconnecter avec mon état émotionnel du début de l’écriture. L’une des choses dont j’avais du mal à me rappeler était pourquoi la fécondation in vitro était une expérience si horrible. J’ai fait appel à quelqu’un pour m’en souvenir. Cette personne m’a dit avoir voulu limiter la situation à son couple. C’est si intime, intrusif et si privé. Mais d’autres gens sont forcément impliqués.

Quel était le plus difficile à écrire dans le scénario ? Le plus difficile était de ne pas rendre le récit trop médical et d’en faire une belle histoire d’amour. C’était le grand challenge. Je voulais qu’il raconte avant tout les relations humaines, l’intimité et la vie qui ne vous apporte pas toujours ce que vous espériez. Comment se débrouille-t-on avec l’inattendu ? Les spectateurs parviennent à se projeter dans les personnages même si leur vie est très différente et qu’ils n’ont pas d’enfants. Je voulais être sûre que le sujet soit universel.

Comment avez-vous choisi les acteurs Laia Costa et Josh O’Connor? Je n’avais pas vu les films de Josh car ils ne sont pas sortis au Royaume-Uni. Il a donc passé un casting sur des scènes les plus délicates, où il devait déclarer à Elena combien il l’aimait. Elles semblent simples mais sont en réalité si difficiles à interpréter. En une audition j’ai su qu’il était fait pour le rôle. J’avais vu Laia dans Victoria, où elle était incroyable. Comme elle vit à Miami nous nous sommes rencontrées par Skype.

Comment avez-vous travaillé avec eux ? On a préparé les lectures avec Elena de cette manière, à distance. Je faisais la même chose avec Josh. Nous devions ensuite répéter une semaine mais Lia était coincée à Miami à cause d’un ouragan et nous n’avons finalement eu qu’un seul jour ! C’était un peu effrayant. Nous avons passé en revue toutes les scènes où ils jouent ensemble, c’est tout.

Le couple qu’ils forment parait pourtant très naturel… Les gens me questionnent souvent à propos de la dynamique du couple et je pense que celui-ci était déjà présent dans l’écriture. Il fallait trouver les bons acteurs pour habiter ces rôles. J’étais très confiante sur le fait qu’ils correspondaient car indépendamment, ils étaient Elena et Jake. S’ils l’étaient, ils joueraient donc parfaitement ensemble. 

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Votre formation d’actrice rend-elle la direction d’acteur plus évidente ? Cela vous permet d’être plus calme sur le fait de savoir comment parler et se comporter vis-à-vis des acteurs. Grâce à ça je me sens très en confiance.

Vous connaissez peut-être aussi mieux les limites… Au départ chacun veut quelque chose d’un peu différent. Il faut donc créer la confiance. Parvenir à créer une sorte de « zone », une « capsule de concentration » entre nous pour être focalisés sur le même objectif et avoir la même énergie.

En général, favorisez-vous les répétitions ? J’aurais sans doute plus répété avec eux sans l’ouragan ! (rires). Ici il valait mieux tourner assez rapidement plutôt que répéter longuement. Je n’ai pas eu beaucoup de temps mais j’étais satisfaite. Les scènes sont souvent très émotionnelles et l’on atteignait vite l’épuisement. Nous avons par contre tourné plusieurs fois la scène de dispute qui était très complexe. Lia disait pouvoir donner autre chose à la prise suivante. Je répondais à chaque fois « Encore une ! » et elle proposait encore. Le jeu était différent à chaque fois, c’était magique. J’ai tourné rapidement à cause du temps mais aussi car dans cette situation particulière avec ces acteurs-là, c’était ce qu’il fallait faire.

Vous avez choisi de montrer des moments très réalistes, le test de grossesse, les bleus sur le ventre d’Elena… C’était nécessaire pour vous ? Pour moi c’est quelque chose d’assez nouveau, que l’on ne voit pas souvent au cinéma. Comme quand elle a ses règles et prend un tampon. D’une certaine manière vous voyez juste une femme assise. Et c’est fou mais même les règles constituent un tabou. Je n’ai pas voulu censurer Elena. Elle est juste qui elle est et réagit naturellement dans les situations auxquelles elle est confrontée, de manière saine et rationnelle. Il existe toujours un sentiment consistant à dire que l’émotion est irrationnelle. Je ne suis pas d’accord. Je pense que nous vivons dans un monde ou les qualités masculines sont considérées plus productives que celles des femmes. J’ai écrit l’histoire à partir des émotions que je ressentais.

Et de vérité… Et de vérité, je suppose que c’est la même chose que pour les scènes de sexe. Tout provient de l’émotion narrative. Si une action est là, c’est qu’il est nécessaire de la montrer.

Pensez-vous faire partie d’un renouveau du cinéma réalisé par des femmes ? Devenir réalisatrice pour une femme n’est pas quelque chose de normal, mais de plus en plus de femmes le deviennent. Etant donné que j’ai réalisé ce film il comporte bien sûr une perspective féminine. Un homme pourrait évidemment avoir fait ce film puisqu’il s’agit d’un couple, une femme et un homme. Et je tente de montrer les habitudes des personnages. Un homme ne pourrait pas montrer les habitudes d’un personnage féminin. On aurait probablement créé deux histoires différentes à partir de matériaux divers. Même en regardant le football féminin vous prenez conscience que vous êtes habituée à voir des hommes jouant au foot. Je pense que de la même manière on est habitués à voir des histoires probablement plus intéressantes pour les hommes, choisies par eux. Nous vivons un moment intéressant, oui.

Quelle fonction occupe la musique dans le film ? La musique revêt différents rôles au cours du film. Notamment avec la chanson d’Elvis costello qu’ils écoutent. Je l’ai choisie car pour moi elle est emblématique. Elle possède la sensualité, la noirceur, l’intensité… C’est un morceau incroyable.

Cette chanson est aussi un moyen d’expression entre les deux personnages, Jake l’utilise comme message pour Elena… Oui elle constitue une entrée dans leur relation. Ils l’utilisent ensuite comme un rappel, ce qui est très émouvant car à ce moment-là rien ne va vraiment fonctionner entre eux. J’ai trouvé le morceau chanté par une chorale espagnole sur Youtube avant de tourner. Ce fut compliqué mais nous avons pu en obtenir les droits. Au départ ce n’était qu’une idée mais au final il collait parfaitement au film. Dans la seconde partie du film, c’est intéressant, la musique est composée par un très bon compositeur.

Pourquoi spécifiquement la seconde partie ? Je ne sais pas. J’ai juste senti que la seconde partie du film devait être plus instrumentale alors que la première était constituée de morceaux chantés. J’aime bien que la musique d’un film soit un mixage de différentes influences et que l’on s’en rappelle, qu’elle ne soit pas juste présente en arrière-plan. Comme au moment de la FIV. Cela peut paraitre incongru d’entendre cette musique écossaise et de voir Elena commencer le processus de FIV. Je trouvais que cela fonctionnait bien dans son incongruité.

Vous évoquez aussi la question de la différence d’âge. Elena a une dizaine d’années de plus que Jake… On ne pense rien d’un homme plus âgé qu’une femme. Je ne voulais pas spécialement lancer le débat, mais mes protagonistes sont très particuliers et je ne voulais pas en faire des clichés. Je désirais que l’on se connecte avec l’histoire et donc que l’on ne voit pas quelque chose de trop familier. Je me suis dit, « pourquoi pas ? ». Même s’il y a eu beaucoup de pressions pour que je réduise la différence d’âge.

Pourquoi ?  Par des hommes ? Exactement ! (rires). Si l’écart est trop court cela ne constitue pas vraiment un problème. On est très habitués à voir des hommes âgés avec des femmes plus jeunes. On m’a aussi demandé de rendre Elena plus vieille, mais c’est aussi un cliché. Et cela nourrissait cette idée que l’on peut blâmer les femmes d’une certaine manière, ce que je souhaitais éviter. Il est tard, Elena a oublié d’avoir des enfants, elle est extrêmement ambitieuse… Je voulais être sûre que ce serait aussi difficile que possible de la juger.

Vous montrez aussi toute la difficulté pour elle de se retrouver dans un environnement amical constitué de jeunes parents trentenaires… Et pour Jake aussi. Quand ils se rendent à cette fête, il s’éloigne dans le jardin. C’est très dur pour lui d’être là. C’est difficile pour eux d’évoluer dans ce contexte. Nous ignorons beaucoup de choses sur la fertilité. Nous devons en prendre conscience et avoir des enfants aussi tôt que possible. D’un autre côté, de nombreuses amies trentenaires ont des bébés. D’une certaine manière j’ai construit une histoire dans laquelle des gens peuvent s’informer, afin de s’assurer que l’on ne nourrissait pas des clichés.

Avez-vous des projets ? J’ai un nouveau projet de film que nous tournerons en mars avec Ruth Wilson une actrice britannique, produit par The Bureau – déjà producteur d’Only You – Jude Law et Ruth. Il s’agit d’une célibataire. Une autre situation un peu taboue pour une femme.

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Bruxelles, 2019