Avec « La Femme de Mon Frère » son premier long métrage, La Québécoise Monia Chokri nous offre une tragicomédie contemporaine, réjouissante et furieusement drôle. Elle y dépeint une trentenaire en colocation avec son frère qui se débat pour éviter de devenir adulte dans une société en perdition. Phénomène à Cannes cette année, le film a décroché le Prix Coup de Cœur du Jury en section Un Certain Regard.
Exit les clichés. Sophia, brillamment campée par Anne-Élisabeth Bossé, appartient à ces héroïnes contemporaines hors stéréotypes, personnages dont on assume de montrer les failles, un peu à la manière dont les esquisse Lena Dunham. Après 8 ans d’études vouées à un Doctorat en philosophie, Sophia obtient le graal tant attendu et se retrouve au chômage sans aucune expérience. Malgré sa trentaine, elle vit encore une relation fusionnelle avec son frère Karim, Patrick Hivon, également son colocataire. Le jour où ce dernier tombe amoureux de sa gynécologue Eloïse, Evelyne Brochu, blonde angélique au teint diaphane, « la femme par-fait-te » selon elle, son monde Vascille.
Monia Chokri avait joué dans L’âge des Ténèbres de Denis Arcand ou dans Les Amours Imaginaires de Xavier Dolan, du cinéma Québécois qui fait sens. Son expérience de comédienne se ressent dans sa manière de diriger les acteurs, notamment dans des séquences familiales hautes en couleur. On assiste ainsi à de très beaux moments de jeu par des comédiens triés sur le volet qui nous offrent même quelques scènes d’anthologie. Lors du dîner chez leurs parents Sasson Gabai et Micheline Bernard, on découvre des parents décomplexés qui rient et dansent, à l’opposé de leurs rejetons trentenaires restés coincés dans leurs fauteuils. La visite de Sophia chez Jasmin Mani Soleymanlou est aussi une petite pépite, ou un baiser « erroné » n’aura finalement pas lieu grâce à l’interprétation hilarante des 2 acteurs.
Monia Chokri se révèle aussi l’auteur d’un scénario bien écrit qui fourmille de répliques cinglantes. Elle choisit d’établir un découpage précis des séquences et pose le montage au coeur du film. Le film est constitué surtout de plans proches plutôt fixes, évitant de suivre les personnages par des mouvements de caméra. On notera aussi l’utilisation du Faux raccord et une mise en scène des séquences de fêtes assez joyeuse. La musique complète le tout par l’originalité de sa composition, et les chansons s’enchainent colorant joliment le récit.
On sort de ce film ragaillardi par tant de sincérité et d’humour. Partant de sujets dramatiques, la séparation de la fratrie, le renoncement à l’enfantement dans une société à l’avenir assombri, et surtout le refus et la peur de grandir dans ce monde angoissant ou l’héroïne peine à trouver du sens, Monia Chokri parvient à éclairer son récit par un humour corrosif. On aime.