« Et si l’amour allait plus loin qu’une enveloppe corporelle ? » Gabriel D’Almeida Freitas, Matthias et Maxime

Humoriste, scénariste et acteur québécois, Gabriel D’Almeida Freitas interprète le rôle principal du dernier film de Xavier Dolan, Matthias et Maxime. Diplômé en cinéma, ce touche-à-tout s’est aussi formé à l’école de l’humour nationale du Québec. Il a depuis développé plusieurs web-séries dans lesquelles il joue parfois. Xavier Dolan lui confie le rôle subtil et complexe d’un jeune homme qui, suite à un baiser anodin avec ami d’enfance va être bouleversé, confronté au doute sur sa sexualité. Matthias et Maxime était présenté à Cannes en Sélection Officielle. C’est à Namur, au FIFF, un peu en décalage horaire que nous retrouvons l’acteur arrivé la veille.

Stéphanie Lannoy : Vous poursuivez une carrière très éclectique. Comment décidez-vous de vos choix artistiques ?
Gabriel D’Almeida Freitas : Tout ce que j’entreprends je le fais par passion et j’aime mêler les deux aspects de mon savoir-faire. Ma formation d’humoriste sur scène m’a aidé devant la caméra. Mon expérience en tant qu’auteur m’est utile dans des lectures de textes. Etre touche-à-tout dans de nombreux métiers différents m’aide pour jouer au cinéma et c’est ce que je préfère. J’ai fait cinq Web séries, cinq séries télé, j’ai aussi joué dans un autre long métrage mais celui-ci est mon premier rôle principal dans un projet cinématographique de cette importance.

Comment ce projet vous a-t-il été proposé ? Xavier Dolan a voulu écrire un film sur l’amitié et souhaitait travailler avec ses amis. Il a écrit le scénario et a pensé à moi pour le rôle de Matthias. A la base il ne pensait pas nécessairement à lui pour interpréter le rôle de Maxime, mais je crois qu’il aurait été un peu triste de ne pas participer à ce projet d’amitié.

Xavier Dolan place l’action du film autour de cette bande d’amis dans les années 1990. Ces amis ont été au secondaire ensemble. Mathias et Maxime eux, se connaissent depuis qu’ils sont tout petits. Dans la vie on est proches, un peu comme une famille et c’est ça que Xavier voulait relater dans le film. On se voit souvent, on s’appelle beaucoup et quand quelqu’un vient au Québec on fait souvent ce genre de rassemblement là, on joue à la boulette… (rires).

Xavier Dolan voulait distiller un peu de vérité dans son film… Tout à fait. Les personnages sont loin de ce que nous sommes réellement dans la vie. Mais l’énergie du film et les rapports entre les personnages, comme pouvoir se taquiner sans malaise, insulter l’autre sans que cela ne soit blessant ressemblent à la vraie vie. Il a aussi repris des phrases de sa jeunesse et certaines réactions ou gags dans la vie de tous les jours.

A quel moment du projet vous a t’il proposé le rôle ? Xavier aime faire lire son scénario tout au long du processus. Je travaillais à ce moment-là à Bali pour une émission de télé. Il m’a écrit en disant qu’il pensait à moi pour un rôle. À mon retour on a déjeuné ensemble et il m’a demandé si je voulais faire partie du film dans le rôle de Matthias. Quelques semaines plus tard je suis allé chez lui, il s’est assis et m’a lu tout le film. Il interprétait tous les personnages en s’accompagnant de la musique, il l’entendait déjà. Il visualisait aussi le ton de voix de certains protagonistes que j’ai rencontrés ensuite, comme celui de mon patron dans le film. Xavier l’imitait presque à la perfection, il ressentait la musicalité. Lorsqu’il lisait le texte il y avait une certaine facilité à savoir comment il voulait qu’on interprète le personnage. Il nous entend le dire lors de l’écriture.

Comment définiriez-vous le personnage de Matthias ? On découvre Mathias suivant deux parties. Dans la première il est très sûr de lui. Il est un peu hétéro normatif dans sa vie et ne se pose pas tant de questions parce que sa vie est réglée. Suite au baiser il est troublé dans son cœur et sa tête. Son château de cartes s’effondre. Tout ce qu’il croyait être une finalité se fissure. Je le trouve beau et attachant mais aussi désagréable et très immature. A la place de le vivre et d’en parler, il a 30 ans, il devrait pouvoir le faire avec ses amis et ses proches. Mais à la place il s’éloigne de sa famille, de sa copine. Il a un comportement parfois très adolescent.

Il refuse la vérité… Complètement. A la place de se dire que c’est possible, je ne sais pas si c’est la peur ou s’il a une crainte… On a tous un Matthias en nous un peu parfois. Si l’on se pose un peu plus de questions il se peut que ce changement-là dans notre vie ne soit pas si anodin ni si troublant et soit accepté.

Le désir masculin est un thème très rare au cinéma dans ce sens précis de la mise en doute de sa sexualité. C’est rare de voir deux hétéros qui tombent amoureux et c’est beau de voir ça. Le film tombe très bien en 2019, je pense que la génération des années 2000, les milléniaux sont ouverts à ça. On n’est plus nécessairement axé sur les genres ou sur la sexualité des genres. Je trouve beau que Xavier ait pris l’initiative de choisir deux hommes hétéros dont la vie est rangée, qui comme beaucoup de gens ne sont jamais posés de questions sur leur sexualité. Et si ça arrivait ? Si on était bouleversés par quelqu’un ? Et si l’amour allait plus loin qu’une enveloppe corporelle ?

Il montre la naissance d’un amour comme celui-là dans un cadre conventionnel, c’est audacieux au cinéma aujourd’hui… C’est la force qu’a Xavier d’être avant-gardiste dans ses films. On n’a pas vu beaucoup de films sur le changement de sexe et c’est ça qui est beau. Il voit cette génération-là arriver. Certaines personnes me disent que c’est un film sur des gays, je réponds, « non, à part Rivette (Pier-Luc Funk ndlr) il n’y a aucun gay dans le film ». Ils tombent en amour avec un ami et pas avec un genre. En plus le film a une fin ouverte.

Comment avez-vous préparé le rôle de Matthias ? Avec Xavier nous avons fait de nombreuses lectures, on a pris le temps de travailler à une belle préparation en amont. J’ai eu peur aussi, le rôle est quand même imposant pour moi. Ce n’était pas une peur malsaine mais d’excitation. Je voulais d’autant plus me préparer que Matthias est un personnage introverti. Dans la vie courante il ne l’est pas, mais à partir du moment où il se pose des questions intimes il fallait aussi beaucoup préparer le jeu. Xavier savait que j’étais capable de jouer ces moments de regard-là, ces moments de silence. Même pour les scènes avec la bande d’amis on a fait des lectures et on se relançait. L’idée de Batman par exemple a été ajoutée au moment de la lecture. Au départ il y a un scénario et puis certaines improvisations ont finalement été écrites.

On ressent quelque chose de très collectif dans ce film. C’est la force d’un bon dialoguiste. Xavier parvient à rendre dans un scénario le réalisme de chaque moment de vie. On n’est pas à faire des dialogues posés : quelqu’un s’arrête puis un autre reprend. Dans la vie ce n’est pas comme ça, on se coupe, on se parle et même si c’est pour ne rien ajouter des mots se disent.

Sauf que votre rôle se joue vraiment dans les non-dits. Complètement et même parfois dans son désarroi, son impuissance face à ce qu’il vit et n’est pas capable d’assumer.

Mathias et Maxime est-il selon vous l’un des films les plus personnels de Xavier Dolan ? « Juste la fin du monde » ou « Tom à la ferme » sont des pièces de théâtre adaptées au cinéma. Ici il ouvre un peu ce film-là à voir les gens qui l’entourent. L’histoire n’est pas du tout autobiographique mais je pense que dans le cadre du processus de faire jouer ses amis effectivement, on est peut-être dans l’un de ses films les plus personnels.

Est-ce que jouer avec Xavier Dolan qui ici réalise, apporte quelque chose de différent à votre jeu? C’est la première fois que je joue avec le réalisateur du film. Xavier parvient à différencier les deux chapeaux, pouvoir être réalisateur et acteur à la fois. Il est capable de s’abandonner dans certaines scènes, aller derrière la caméra et dire « ok parfait, on se dirige comme ça ». Il y a beaucoup de scènes de groupe, mais on a aussi des scènes en solo lui et moi. Il parvenait justement à s’abandonner dans ces moments-là, même si certaines scènes étaient un peu compliquées comme par exemple lorsqu’il devait aller regarder derrière la caméra quand on s’embrasse. J’ai trouvé ça impressionnant et beau de voir une personne aussi passionnée par la direction artistique où il faut calculer, anticiper et parallèlement s’abandonner si facilement au jeu.

Jouer avec le réalisateur facilite-t-il les indications de jeu pour les acteurs ? Je ne sais pas mais le fait de jouer avec des amis facilite en principe. Chaque personne veut aussi se donner complètement pour impressionner l’autre. Ici on est très bien préparés parce que personne ne veut s’abandonner. Jouer avec un ami est sans doute plus facile car on est déjà en confiance. Avec Xavier j’avais confiance et je me laissais aller, j’éprouvais aussi une certaine facilité à pouvoir relancer les textes.

L’amitié prend le dessus… Xavier a toujours été un comédien. Même quand il réalisait sans apparaitre dans le film, il jouait les scènes. Il lance parfois de nouvelles répliques qu’il improvise au fur et à mesure en activant la caméra et qui sont tout aussi poignantes. Il a une belle direction d’acteurs parce qu’en tant qu’acteur lui-même, il sait quelles indications donner au comédien.

Être sélectionnés en compétition officielle à Cannes était une belle surprise ? C’était magnifique ! On laisse toujours un peu faire sans oser se le dire, on se demande: « Et si jamais on était sélectionnés ? ». On était terriblement heureux. J’étais en Thaïlande quand Xavier me l’a annoncé au téléphone, j’ai crié de bonheur. J’ai appelé ma mère à minuit, je l’ai réveillée en lui disant qu’on était en compétition officielle et qu’on allait partir à Cannes. On a fait le film entre amis et en plus on part à Cannes aussi en bande. Xavier aurait pu partir seul mais il a voulu prendre le temps d’inviter tous ses amis, que l’on vive aussi l’expérience cannoise.

Quels sont vos projets ? Je développe des shows télé au Québec notamment « Open Mic », un show de stand up dans lequel je fais quelques apparitions. C’est prévu jusqu’en décembre (2019 ndlr). J’ai développé le concept avec deux amis, en enlevant le côté gros gala pour le ramener au concept de petite soirée-bar humoristique. Je joue aussi dans une série qui s’appelle Toute la vie à radio Canada avec Roy Dupuis, un comédien québécois. C’est la première saison et on tourne jusqu’en avril. C’est une production de Fabienne Larouche là-bas, sinon j’ai deux projets d’émissions télé pour le mois de janvier dont je ne peux encore pas parler parce qu’on est en développement.

Quelles sont vos envies aujourd’hui ? J’avais fait l’école nationale de l’humour pour être humoriste et une fois diplômé j’étais moins tenté, mais j’écrivais encore pour la télé. J’écris encore chaque jour pour ne pas perdre ma plume. En sortant de l’école j’ai joué devant la caméra pendant trois ans. Quand les rôles s’offraient moins à moi je suis retourné sur scène pour ne pas perdre. J’essaie toujours de garder mon côté créatif et j’ai fait ça pendant deux ans. Un mix s’est ensuite imposé entre le jeu et la scène. J’ai fait un peu théâtre aussi, des activités comme celles-là pour peaufiner mon jeu. Je préfère jouer avant tout, au cinéma ou à la télé. J’aime beaucoup les séries, on prend le temps d’y développer des personnages. Dans un film on dévoile parfois un peu vite certains secrets du personnage, alors que dans une série on peut prendre le temps de créer le personnage et l’enrichir au fur et à mesure des saisons.

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, FIFF Namur 2019.