Caroline Vignal: « Une princesse peut-être, mais elle ne se laisse pas faire », Antoinette dans les Cévennes

Dans le même élan que son héroïne « Antoinette dans les Cévennes » jouée par Laure Calamy, à peine débarquée de Paris avec sa valise, Caroline Vignal prendra juste dix petites minutes pour s’installer à l’hôtel avant de se lancer dans les entretiens sur sa rafraîchissante comédie. Scénariste confirmée, cette discrète et rieuse ancienne diplômée de la FEMIS nous a séduit d’emblée par l’œuvre singulière qu’elle vient de réaliser. Une comédie aux héros atypiques : une maîtresse d’école avec de la trempe et Patrick, un âne un poil capricieux mais attachant, tous deux embarqués sur un chemin de randonnée dans les Cévennes à la recherche de « l’amant ». Alors que Caroline Vignal présentera ces héros peu discrets ce soir en clôture du BRIFF, on lui souffle notre assurance d’entendre déjà les rires fuser dans la salle.

Stéphanie Lannoy : Vous êtes scénariste de métier et avez réalisé « Les autres filles » en 1999. Qu’est-ce qui a provoqué chez vous ce retour à la réalisation ?
Caroline Vignal : Réaliser était compliqué pour moi et être scénariste était une manière de faire mon métier sans subir les côtés que je trouvais durs. A un certain moment, l’envie a été plus forte que la peur. J’ai aussi eu une conscience du temps qui passait (rires). Je me suis dit que si je voulais faire un film je ne devais pas traîner et je m’y suis remise vaillamment.

Cette histoire a-t-elle provoqué chez vous l’envie de réalisation, ou avez inventé cette histoire pour la réaliser ? J’ai eu envie de refaire un film de bout en bout et parmi les idées que j’avais pu avoir durant toutes ces années et que j’avais un peu délaissées, celle-là c’est imposée. Il s’agissait d’un vrai projet de cinéma, pas tellement de scénariste. Je pouvais confier à d’autres réalisateurs certaines de mes idées sans avoir trop d’états d’âmes mais pas celle-ci. Il s’agissait avant tout du désir de filmer cette région l’été avec ses paysages, ses lumières. C’était plus un désir de cinéma que de récit. J’ai ensuite réfléchi à quelle histoire je pouvais inventer pour emmener le spectateur dans ces lieux.

Comment est né le personnage fleuri et plutôt couillu d’Antoinette ? Le film est un peu comme un livre à la première personne, il n’y a pas de narrateur omniscient, c’est elle. Je ne suis pas du tout Antoinette mais elle a des choses de moi comme Flaubert pouvait dire « Madame Bovary c’est moi ». Je pourrais dire « Antoinette c’est moi », mais ce que je trouve beau c’est qu’elle est devenue un mélange entre moi et Laure Calamy qui lui a apporté beaucoup. Comment est-elle née… J’ai lu le livre de Stevenson (Voyage avec un âne dans les Cévennes ndlr) quand j’ai pensé à raconter une histoire située dans les Cévennes. Il m’a vraiment montré le chemin. Au départ je n’étais pas sûre de travailler sur un personnage solitaire, cela pouvait même être une famille, mais je ne parvenais pas à trouver cela intéressant. En lisant le livre j’ai senti que le personnage devait être solitaire avec un âne ou une ânesse. Etant une femme je ne me sens pas capable d’écrire une histoire complètement centrée sur un personnage masculin. Antoinette est arrivée comme cela, de manière assez naturelle.

Laure Calamy interprète des seconds rôles dans de nombreux films, la bonne copine, la collègue etc. Pourquoi la choisir pour ce premier rôle ? Il était temps de lui donner un premier rôle. C’est une actrice prodigieuse dont on voyait déjà le talent, dans la série Dix pour cent par exemple elle explose. Elle peut explorer pas mal de registres même si c’est de la comédie. Je la trouvais incroyablement drôle et très inventive. J’aime que les acteurs me surprennent et lorsqu’ils ne vont pas dans le sens du cliché. Laure a cette particularité. Elle peut être très drôle et très émouvante dans la même scène. Elle a aussi un côté populaire peu fréquent dans le cinéma français qui m’intéressait. Il y a aussi le fait qu’elle est très physique. Elle a un corps que je trouvais intéressant à filmer car il s’agit d’un film de plans larges. Il fallait que son corps existe car le personnage est aussi ce corps.

Son partenaire à l’écran est Patrick, un âne. Comment avez-vous envisagé un personnage si particulier ? L’une de mes filles était encore assez jeune lors de l’écriture et l’un de ses films préférés était Ratatouille, que j’ai vu un nombre incalculable de fois. Par moment je pensais le personnage de Patrick comme s’il s’agissait d’un film d’animation. Je ne me censurais pas. J’ai en moi une part d’enfance encore très vivace, je ne suis pas dans le surplomb, je crois à ce personnage et je l’ai inventé avec une forme de naïveté. Une fois que j’ai eu le scénario, une des premières choses que j’ai faites a été de me renseigner pour savoir comment travailler avec des ânes. J’ai rencontré une dresseuse propriétaire d’un âne qui est l’un des acteurs principaux du film (rires). On a lu le scénario ensemble. Je lui ai demandé si certaines choses étaient impossibles mais elle a trouvé des solutions à tout. Parfois à des situations qui pouvaient paraitre simples. Comme au moment où Laure dort sur l’âne. Les ânes se couchent très peu, ils dorment debout. A l’écriture cela paraissait faisable et pourtant c’était assez compliqué à obtenir.

On sent le conte apparaitre en filigranes derrière ce personnage assez enfantin. Vous faites justement référence à ce tableau (lorsque Antoinette dort sur l’âne), clin d’œil à Blanche-neige, faites-vous d’autres références au conte dans le récit ? Celui-là est le plus conscient. Pas vraiment mais je suis très nourrie de contes, j’adore ça. La simplicité de la narration permet d’aller vers des choses très profondes. C’est ça qui me plait. J’aime les films de Rohmer Conte moraux, Conte de printemps, Conte d’été etc. D’ailleurs même si ce n’est pas un conte – enfin un peu –J’avais beaucoup revu le Rayon Vert au début de l’écriture, c’est un de mes films préférés. Il a ce côté d’une grande simplicité. Juste quelqu’un qui se promène à qui il arrive des choses, des rencontres… Cela m’a servi. Je n’arrive pas à être aussi drastique que Rohmer, je finis par faire venir un peu de figurants…

Rohmer est très drastique en effet (rires)… C’était sa façon de faire ! Et en même temps j’admire énormément ça et je rêverai de pouvoir tourner en équipe très réduite comme il le faisait mais je n’y parviens pas pour l’instant. C’est vraiment une façon de penser les choses en amont, de se dire constamment « je vais tourner en petite économie donc j’écris en fonction de ça ». A un moment mon imagination m’entraine vers des choses qui ne coïncident pas avec ce type d’économie.

Antoinette réalise un parcours initiatique, elle porte en elle un aspect candide toujours en rapport avec le conte. On l’imagine en robe de princesse dès le début du film pour le spectacle scolaire… La robe du début est un peu plus une robe de sirène !

Tous les autres randonneurs se détachent un peu d’elle finalement … Oui, mais il y a aussi des gens bienveillants. Le rôle que joue Marie Rivière dans le premier repas est un peu celui d’une bonne fée. Le couple qui l’accueille est aussi très bienveillant. Quelques personnages la brusquent un peu mais finalement pas tant que ça, les gens sont plutôt gentils. Et oui elle a ce côté princesse, cela me fait penser à cette phrase, je crois que c’est dans Peau d’âne où à un moment Deneuve dit : « Si le prince charmant ne vient pas me chercher, alors j’irai le chercher moi-même » C’est une princesse peut-être, mais elle ne se laisse pas faire. Elle ne reste pas assise sur le banc tranquillement attendant qu’on vienne la chercher.

Antoinette est une princesse moderne. On a rarement vu des héroïnes comme ça dans le cinéma et ça fait du bien de voir des personnages de femmes qui prennent leur destin en main… Ce n’est pas une victime. C’est une fille qui prend les choses en main, pas toujours pour le meilleur (rires), mais il y a ce côté ou elle y va et si ça se passe mal elle se relève. Cela consiste un peu à se dire finalement que quelques soient les risques, le ridicule, il vaut mieux essayer…

Aller au bout. C’est ça. En tous cas se bouger, ne pas rester à pleurer dans son coin.

Pourquoi avoir choisi Olivia Côte « la femme de l’amant » pour faire face à Laure Calamy ? Laure est plutôt petite avec un visage de petite fille rond avec des grands yeux et Olivia est grande, assez anguleuse, blonde alors que Laure est brune. Le contraste entre les deux me paraissait intéressant et amusant. Olivia est une actrice assez géniale. Elle avait peu de temps sur le tournage avec sept grandes scènes qu’on a tournées en plan séquence. Elle l’a joué avec une grande intelligence en ayant tout à fait compris mes intentions.

Laure Calamy dit que vous tenez à ce que les acteurs jouent votre texte, c’est vrai ? Oui, je suis assez psychorigide. Je me sens très légitime dans l’écriture des dialogues, j’adore ça. Je ne vois pas l’intérêt quand c’est précis de rajouter des choses. L’écriture est très musicale pour moi. Il y a du rythme et de la musicalité dans les mots et si on ajoute ou on enlève un petit élément comme une négation ce ne sera pas pareil. Il existait une différence de classe sociale entre les lignes. Vladimir et Eléonore sont issus pour moi d’une classe sociale un peu plus privilégiée que celle du personnage d’Antoinette qui est institutrice. Et c’est terrible, mais les institutrices aujourd’hui sont un peu considérées par certains parents comme des employées. Je voulais que cela soit là sans être dit. Et pour Olivia, dans le dialogue il y avait tout le temps les doubles négations. Quand elle disait son texte elle s’exclamait : « M’enfin je ne vais quand même pas dire « ne » ! ». Parfois j’ai un peu lâché, mais dans certains milieux les gens disent les doubles négations. Ce genre de détail est précis. Laure a aussi ajouté quelques répliques dans le feu de l’action dont je suis enchantée car ce sont souvent des phrases très drôles. Par exemple quand elle tape sur l’âne je crois que « Bourrique de merde ! », c’est elle. Je suis un peu vexée car c’est l’une des répliques qui me fait le plus rire et ce n’est pas moi qui l’ait écrite ! (rires). Ils ne se rebellaient pas du tout, je pense qu’ils sentaient que c’était juste. Laure, Benjamin (Lavernhe ndlr) et Olivia sont tous des comédiens de théâtre, ils savent travailler avec du texte. En arrivant sur le plateau ils le savaient au cordeau. La seule chose sur laquelle j’ai un peu lâché, c’est que j’ai appris à faire vivre les plans, à ne pas couper dès que ce que j’avais imaginé était filmé, parfois j’ai laissé un peu tourner. Il peut alors se passer de très belles choses en fin de plan.

Dans le cheminement d’Antoinette avec son âne la question du rythme parait essentielle au récit. Le film est aussi formidable parce qu’on ne s’ennuie pas durant cette randonnée. Avez-vous opéré des changements au montage ? C’était une gageure pour moi que l’on ne s’ennuie pas, mon cinéma n’est pas un cinéma de contemplation et en même temps il était nécessaire que l’on ressente quand même la durée parce que quand on marche on affronte le temps. Il fallait qu’on le ressente. Les plans silencieux de marche devaient être suffisamment forts pour que sans être très longs on puisse ressentir cet élément. On a d’abord cherché cet équilibre au tournage et en découpant le film avec le chef opérateur (Simon Beaufils ndlr). J’ai l’impression que finalement on est restés assez fidèle au scénario et au découpage. D’ailleurs la monteuse (Annette Dutertre ndlr), a commencé à travailler pendant le tournage avant que j’arrive. On a tourné six semaines dans les Cévennes puis la dernière le début de l’histoire à Paris. La monteuse travaillait déjà depuis plusieurs semaines, je suis à ce moment-là allée voir un premier ours de toute la partie cévenole. J’étais soulagée, j’ai vu que le film tenait. C’était déjà presque en place même si ensuite on a évidemment beaucoup travaillé.

La structure était là. Et même à l’intérieur des scènes elle était juste, la monteuse avait senti le rythme. Je pense qu’il était induit par la mise en scène. J’ai travaillé avec une équipe formidable et avec la monteuse notamment on s’est trouvées. On avait le même tempo. Je parle aussi de musique parce que c’est quelque chose que j’ai vécu sur mon premier film. Quand on n’a pas besoin de s’expliquer et qu’on a la même musique dans la tête c’est génial.

Cette comédie est-elle inspirée votre expérience ?… J’ai fait le chemin de Stevenson en entier au tout début de l’écriture du scénario. J’étais déjà allée marcher dans ce coin là mais sans idées derrière la tête, en vacances. Là j’étais un peu en observation, un insider (rires). Je me nourrissais sciemment de ce que je pouvais voir. C’était aussi pour observer vraiment les paysages parce que j’étais allée me promener dans les Cévennes mais pas sur le chemin de Stevenson donc il fallait que je vois ce que c’était vraiment. C’est là que j’ai découvert deux lieux qui devaient absolument être dans le film. Le Mont Lozère qui est cet endroit où elle fait l’ascension puis se casse la figure trainée par l’âne etc. et le village du Pont-de-MontVert où elle franchit la rivière sur un petit pont. Ces endroits sont très emblématiques du chemin de Stevenson et on se souvient d’eux quand on a fait la randonnée. Le vrai représente 220 km et c’est tellement bien.

Avec un âne ? Non, je n’ai pas eu ce courage ! (rires).

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Bruxelles, 2020.

Photo de couverture: Caroline Vignal par ©Julien Panié, Chapka Films, La Filmerie, France 3 Cinéma