
Véritable coup de cœur, GAGARINE par son ambition et son ampleur se révèle l’un des meilleurs films de l’année 2020. De nombreux long métrages ont été réalisés dans l’espace, mais celui-ci est si singulier, humain, créatif et étonnant qu’il emmène le spectateur en apesanteur tout en le laissant sur terre. Intégré dans la sélection du Festival de Cannes 2020, ce drame de Fanny Liatard & Jeremy Trouilh, aurait bien pu décrocher la Caméra d’or si les festivités avaient eu lieu. (Entretien avec les cinéastes)
Youri, 16 ans, vit dans la cité Gagarine à Ivry sur Seine en Banlieue parisienne. A travers sa longue vue, l’adolescent rêve de devenir cosmonaute. Quand il apprend que sa cité est menacée de démolition, il met tout en œuvre pour la sauver avec la complicité des habitants.

Pour ce premier long métrage, Fanny Liatard et Jeremy Trouilh partent du social vers la science-fiction, c’est le grand charme de leur film. Gagarine est un drame multigenre. Les cinéastes brouillent les pistes et lui insufflent une dimension sociale en racontant la démolition à venir d’une cité et les bouleversements internes que subissent ses habitants, à la recherche d’une solution pour être décemment relogés. La vie des occupants est incroyablement papable. La caméra se pose dans la vie de la cité d’une manière sûre, connaissant les lieux et pourtant il s’agit bien d’une fiction.

Le casting est solaire, avec un acteur principal désarmant, Alséni Bathily (Youri), véritable découverte. On retrouve également la jeune Lyna Khoudri (Diana) (Papicha de Mounia Meddour) et Finnegan Oldfield (Dali) cette fois à contre-emploi, en caïd.
Les cinéastes dressent un portrait de la cité précis à travers ses habitants en analysant son identité. Issus de l’immigration, ces personnages ont chacun leur histoire et leurs racines leur collent à la peau. Il est beaucoup question de l’héritage, de l’identité qui les marque. Dali cite son grand père en se lançant dans des enchaînements endiablés de derviche tourneur. N’empêche que la cité c’est chez eux. Militant pour Gagarine4ever, Youri y entraine un véritable élan de solidarité. Et dans cette mixité sociale la question du langage est clairement évoquée. Diana, rom, s’exprime dans une langue que l’on ne comprendra pas, notamment avec Gérard, un forain, Denis Lavant. « On ne s’entendra pas avec les extra-terrestres car les gens qui ne parlent pas la même langue se tapent dessus » pense la jeune femme. Youri et elle vont utiliser un langage à eux, le morse qui créera des effets visuels épatants entre une grue et la fenêtre de l’appartement où vit Youri.

La mise en scène est cosmique. Les cinéastes s’acharnent avec talent à filmer des structures, des matières, comme les cages métalliques des ascenseurs ou des rails de chemin de fer. Le tout est agrémenté d’une bande son grandement inspirée de l’espace qui va même nous donner à entendre les sons étouffés du grand vide. De quoi, cette fois, propulser le spectateur sur orbite.
Derrière cette dimension spatiale on sent un fort principe documentaire, de drame social qui se dessine derrière cette fiction avec les habitants de la cité présents en figuration. On ressent le réel enrobé dans un brun de surréalisme. On assiste d’abord à un prologue d’archives en 4/3 de Youri Gagarine himself, le premier homme dans l’espace qui inaugura la cité en 1963. Au générique de fin, les voix des habitants racontant leur expérience passée dans la cité viennent confirmer le souci de réalité des cinéastes. A la figuration, la participation des vrais habitants élève le film en une fiction qui nous propulse dans l’espace. Au passage les cinéastes posent l’idée de l’écologie, de la nécessité de la destruction et de la survie en autosuffisance. Selon Youri les dimensions principales sont l’eau, la terre, l’air : les 3 éléments vitaux pour une serre. Un drame puissant et rempli d’espoir.
En salle le 14 juillet.
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