Animals de Nabil Ben Yadir, un électrochoc contre la haine

Après Les Barons, La Marche, Angle mort (Dode Hoek) Nabil Ben Yadir effectue un virage à 90° et signe avec Animals son film le plus radical, à la fois par son sujet et sa mise en scène. Ce thriller est un véritable électrochoc contre la haine, inspiré de la terrible histoire de Ihsane Jarfi assassiné en 2012 pour homophobie. Le cinéaste signe un plaidoyer contre les discriminations par une confrontation directe avec la haine de l’autre et la violence. Un film choc dont il vaut mieux être prévenu, mais aussi un geste radical de cinéma qui fait date. Forcément. Le cinéaste a co-écrit le scénario avec Antoine Cuypers réalisateur de Préjudice, un gage qualitatif de plus. Le film a décroché le Prix de la fiction la plus dérangeante au Tournai Ramdam Festival et sortira en salle le 9 mars. A lire : notre entretien avec Nabil Ben Yadir.

C’est la fête d’anniversaire de la maman de Brahim, beau gosse de 30 ans, toujours célibataire. Il attend impatiemment son copain Thomas qu’il a invité. Mais voilà, Thomas n’arrive pas.

Déjà présent dans Dode Hoek, Soufiane Chilah assume le rôle fort et difficile de Brahim. Blond aux yeux bleus en amande, petites lunettes, le calme Loïc, Gianni Guettaf, embarqué lui aussi dans ce récit se révèlera d’un ordinaire terrifiant. Vincent Overath, Serkan Sancak, Lionel Maisin également acteurs non professionnels, font aussi partie du casting.

Le génie de Ben Yadir est de combiner un objectif essentiel, profondément humaniste avec un geste fort de cinéma pour faire passer un message. Le sujet est lourd, le cinéaste a assisté au procès des assassins d’Ihsane Jarfi, premier crime pour lequel la justice belge a retenu la circonstance aggravante d’homophobie. Il réalise Animals en accord avec la famille de celui-ci, dont le père, Hassan Jarfi, ancien professeur de religion a créé une fondation contre l’homophobie* en hommage à son fils.

Ben Yadir réalise méticuleusement une fiction sans concession, un témoignage par la sensation qui déstabilise le spectateur dans une volonté de lui faire ressentir les conséquences de la haine et de la violence gratuite. Il établit des partis pris de mise en scène radicaux et plonge le spectateur en immersion avec son personnage principal. La caméra témoin – à l’image Frank Van Den Eeden – est mouvante et colle au héros. Un cadre serré l’enferme dès le début dans sa condition de manière inéluctable, sans contrechamps, sans échappatoire au rythme de ses allées et venues filmées en plan séquence. Le cinéaste laisse le soin aux acteurs de filmer les scènes de violence avec des GSM, ce qui éloigne un peu l’action. Le son signé Pierre Mertens, prend toute son importance, notamment dans des moments d’attente et de silence.

« Tu mets pas PD et musulman dans la même phrase ! » entendra-t-on. Homosexuel, Brahim fait aussi partie de la minorité musulmane. On ne peut que saluer Nabil Ben Yadir pour son courage et sa prise de responsabilité forte contre la haine envers les minorités le tout dans un exercice cinématographique complexe et réfléchi à chaque instant.Ces choix narratifs justifiés permettent au spectateur de vivre cette histoire le coeur ouvert. Le cinéaste intègre la puissance narrative du cinéma et sa capacité à nous faire réfléchir quitte à faire polémique, car oui, Animals (en français dans le texte, issu des mots de l’un des accusés au procès), est un film populaire à projeter en salle et au plus grand nombre, surtout aux jeunes. La haine, la différence, les minorités, la violence gratuite, le débat est lancé.

(*) Vers la fondation Ihsane Jarfi