
Le cinéaste chinois Zhang Yimou revient à l’essence même du cinéma avec One Second, une comédie dramatique burlesque. S’inspirant du cinéma muet, il réalise une ode majestueuse au grand écran sur un scénario co-écrit avec Zou Jingshi. Comme pour ses long métrages The flowers of war et Coming home, Zhang Yimou adapte un roman de l’écrivaine Geling Yan. D’une finesse et d’une poésie rare, One second nous rappelle ce qu’est le temps du cinéma, en 24 images par seconde. Le film a été retiré in extremis de la sélection de la Berlinale 2019 officiellement pour raisons techniques, plus officieusement pour son propos critique envers la société chinoise qui est pourtant noyé dans le récit.
En Chine durant la Révolution culturelle. Un homme, Yi Zhang, casquette sur la tête, sac en bandoulière débarque du désert dans un village reculé où il est question d’une projection cinématographique. L’homme traverse des dunes à perte de vue, des paysages lunaires dans une tempête de sable impressionnante où il lutte contre la puissance de la nature dans des plans d’ensemble sublimes. La lumière en contre-jour est forcément très belle sur une image du directeur photo Zhao Xiaoding. L’homme rencontrera rapidement la jeune et hirsute Liu, Liu Haocun. Les deux protagonistes formeront un duo burlesque exceptionnel, la gestuelle des corps rappelant Buster Keaton, Chaplin, pour un retour au cinéma d’antan. Ces deux « gavroches » se disputeront une bobine de film jusqu’à se l’envoyer à la figure. Les personnages ne sont pas ce qu’ils semblent être au premier abord. La précision d’écriture les amènera à interpréter eux-même un autre rôle, d’où la vérité transparaitra parfois dans la douleur d’un propos ou dans une larme. Tous les enjeux du cinéma sont là et le scénario les complexifie.
La projection devient un enjeu majeur, amenée par Mister Movie, Fan Wei, projectionniste de son état et star du jour avec ses cacahuètes plein les poches. Zhang Yimou filme la salle de cinéma comme un temple. La projection est la promesse d’un grand moment festif pour tous. Le cinéaste traverse et entremêle les espaces diégétiques car le public commence à jouer son propre rôle dans le film. La foule des villageois a soif de cinéma. Et se lance dans un processus ubuesque de réparation de pellicule avec de l’eau savamment distillée lors d’un atelier de nettoyage improvisé par Mister Movie. Il fera son possible pour réparer l’irréparable et rembobiner la pellicule emmêlée. Une séquence d’anthologie où chacun mettra du sien pour réparer le film, le séchant ingénieusement dans une superbe chorégraphie d’éventails.
Après la poésie des grains de sable du désert rappelant le grain de la pellicule, Zhang Yimou revient aux sources de la projection en montrant le travail technique à la base de la magie : une image, un fil de pellicule comme les ombres chinoises derrière le drap qui constitue l’écran. Au final la projection se révélera héroïque pour projeter le film « jeunesse héroïque », film de propagande pourtant plein de promesse dans ce village reculé. Un moment intense à la poésie extrême où le héros reverra un être cher pour un moment de vie fugace décliné à l’infini. One Second est un magnifique clin d’oeil au cinéma muet, au burlesque, à la comédie réussie qui tourne au drame et nous touche au coeur.