Dans Peter Von Kant, Ozon revisite Fassbinder

Après Grâce à Dieu, Ete 85 et Tout s’est bien passé, François Ozon change à nouveau de genre cinématographique au profit d’un mélodrame inspiré du grand cinéaste allemand Rainer Werner Fassbinder. Il revisite ainsi Les Larmes amères de Petra Von Kant (1972) pour en livrer son interprétation, avec notamment une inversion des rôles masculins/féminins dans une théâtralité assumée qui rappelle Goutte d’eau sur pierres brûlantes (2000). Le cinéaste nous surprend avec cette comédie douce-amère autoproduite, condition, semble-t-il, à la liberté créative de ce sujet si singulier.

Peter Von Kant, cinéaste à succès, vit avec Karl, son serviteur qu’il maltraite. Quand on lui présente le jeune Amir, Peter lui propose de s’installer chez lui en lui promettant une carrière d’acteur phénoménale.

Dans Les Larmes amères de Petra Von Kant, Fassbinder transposait sa relation avec l’un de ses acteurs fétiches, Günther Kaufmann, en une histoire d’amour lesbien entre une créatrice de mode et sa muse. Karl (Marlène dans la version originale) serait inspiré de Peer Raben, compositeur des musiques de films qui a également été son assistant. François Ozon transpose le genre au masculin dans une logique évidente, puisque l’on perçoit aisément que la forte personnalité du cinéaste est potentiellement celle de Fassbinder. Il induit ainsi en tant que cinéaste une réflexion sur la relation entre le metteur en scène et son acteur, le pygmalion et sa muse.

Ozon s’entoure d’un casting inattendu trié sur le volet. Regard souligné au crayon, Denis Ménochet est méconnaissable en drama queen, réalisateur ultra égocentrique qui fait et défait ses amours mélodramatiques. Un rôle exceptionnel pour celui qui interprète d’ordinaire des rôles plutôt virils. Ménochet y insufle de la grâce en un mélange de légèreté et de lourdeur que l’on retrouve dans une superbe scène de danse avec Karl. Karl, le servant mutique. Celui qui agit mais ne dit mot. Le jeu de Stefan Crepon sert le rôle à merveille de ce témoin discret toujours présent. Le jeune premier, Amir, Khalil Gharbia, a l’audace de tout tenter pour avancer (Ozon s’est inspiré pour ce personnage de El Hedi Ben Salem acteur de Tous les autres s’appellent Ali, l’un des amants de Fassbinder). La meilleure amie Sidonie, est campée par Isabelle Adjani, sublime en star métamorphosée (et rajeunissante).

La célèbre Hanna Schygulla qui jouait déjà dans Les larmes amères le rôle de Karine (ici Amir), magnifie la version masculine en y interprétant la mère du cinéaste. Comme une étoile qui vient délicatement par sa présence sublimer la version de François Ozon.