
Après le très remarqué Martin Eden, Pietro Marcello signe L’Envol, adaptation du roman Les Voiles écarlates de l’écrivain soviétique Alexandre Grine. La mise en scène du film témoigne du goût pour la peinture de cet ancien élève de l’Académie des Beaux-Arts de Naples. Avec ses co-scénaristes Maurizio Braucci, Maud Ameline et la collaboration de Geneviève Brisac, Pietro Marcello assume une grande prise de liberté par rapport à l’oeuvre originelle romantique et anti-militariste. A l’écran c’est un ravissement.
Soldat rescapé de la Première Guerre Mondiale, Raphaël revient chercher son épouse qu’on lui annonce défunte. A sa place il découvre un bébé, sa fille, soigneusement élevée par la patronne d’une ferme, l’altière Adeline, Noémie Lvovsky, qui lui proposera le gite et le couvert. La jeune Juliette grandira ainsi librement à la campagne. Libre d’imaginer, de rêver, d’écrire et de chanter à la suite de son père artiste. Dans la forêt la jeune fille rencontrera une magicienne, Yolande Moreau, qui lui promettra que des voiles écarlates viendront un jour l’emmener loin de son village. Juliette ne cessera jamais de croire en la prophétie.
Raphaël Thiery interprète ce poilu boiteux de retour de 14-18, abimé par la Guerre, au visage antique savamment sculpté, ses arcades sourcilières proéminantes cachant souvent ses yeux. L’homme, taiseux, est lui même doué de ses mains. Musicien, dessinateur cet homme bourru se révèlera artiste, qui transforme tout ce qu’il touche en oeuvre d’art. Une bûche de bois deviendra vite entre ses mains une merveille figurative. Raphaël décidera de consacrer sa vie à élever sa fille. Figure lumineuse, Juliette Jouan irradie l’écran d’une beauté naturelle et de ses passions. Elle est la révélation du film. L’actrice a adapté en musique le poème de Louise Michel, L’Hirondelle, devenue la chanson du film qu’elle interprète et qui n’était pas prévue au scénario.
Une famille de substitution matriarcale se crée dans la fermette surnommée « La cour des miracles » par les villageois, qui voient d’un mauvais oeil ce Raphaël débarqué de nulle part. La patronne de la ferme est accusée d’être une sorcière. Le forgeron, sa femme et sa fille comme Raphaël et Juliette sont tous vus comme des marginaux habitant en marge du village avec ses secrets cachés. Les personnages de cette cour des miracles ont tous une force de caractère, un don, une qualité vraie. Si la patronne Adeline est maternante, Raphaël est un roc et Juliette une fée.
Le récit passe du réalisme paysan à une poésie ensorcelante. Par sa mise en scène, sa manière de filmer impressionnante, légère, proche des personnages, le cinéaste fait entrer le spectateur dans un tableau d’époque avec des jeux de clairs-obscurs subtils et beaux. Si le personnage de Raphaël est un artiste, on entre dans une une oeuvre d’art au sens pictural du terme. Des images d’archive de la Première Guerre Mondiale (notamment de l’Armistice en Baie de Somme ou des extraits du film Au bonheur des dames de Duvivier) ajoutent une émotion pure au récit. Comme cette manière de filmer les mains caleuses de l’homme, où l’on sent que le souci documentaire du cinéaste reprend le dessus pour insister sur la puissance de ces mains imposantes, riches de pouvoir et de magie. La citation du début du film annonce d’ailleurs le mystère de ces mains : « On peut faire de prétendus miracles avec ses propres mains ». Pietro Marcello signe un film proche des femmes, qui s’attache à la personnalité de Juliette, une héroïne du passé qui initiera ses propres choix de vie pour s’émanciper. Vers son envol ?