The Whale, une fiction psychanalytique fascinante de Darren Aronofsky


The Whale de Darren Aronofsky est une brillante adaptation de la pièce de théâtre éponyme de Samuel D. Hunter. Les films du cinéaste (Pi, Black Swann) ne laissent jamais le spectateur indifférent, The Whale ne fait pas exception, c’est une oeuvre dérangeante. Le cinéaste entre dans l’intimité de Charlie, un quadra fragilisé par les épreuves de la vie pour un huis-clos intense. Darren Aranofsky revient à ses premiers sujets de prédilection qui ont fait le coeur de son oeuvre cinématographique et notamment son succès. Comme Requiem for a dream, The Whale raconte une réalité romancée sur l’addiction. Un drame humain à travers la figure du monstre et sa psychanalyse. Le cinéaste choisit toujours ses sujets avec minutie et se concentre ici sur l’essence du récit pour un film difficile parfaitement maîtrisé.

Charlie, la quarantaine est un être fragilisé par l’isolement. Enfermé dans son appartement il redoute le regard des autres. Malgré une vie morcelée, puisant la force de la résilience, l’homme tentera de renouer avec sa fille adolescente, car il n’est jamais trop tard pour dire à ceux qu’on aime qu’on les aime.

Darren Aronofsky met en place un casting judicieux. Brendan Fraser avec son image plutôt sympathique fait pour l’occasion son grand retour au cinéma et interprète brillamment le rôle de Charlie. On l’avait vu dans La Momie (1999-2008) ou encore Crash (2004). Face à lui sa fille, une jeune adolescente rousse au tempérament bien trempé qui a des comptes à régler avec ce père absent. L’inoubliable révélation de la série Stranger Things, Sadie Sink épouse le rôle de cette jeune fille en colère. Hong Chau est bouleversante en Liz, l’amie à jamais de Charlie. Infirmière de métier, elle l’est aussi de coeur, dans la vie. Empathique, discrète sachant crier quant il le faut elle est fidèle en amitié. Ty Simpkins est quant à lui l’intrus de l’histoire en jeune missionnaire effronté qui s’est trompé de porte.
Aronofsky réussit une description complètement psychanalytique de son récit. Trop sensible pour faire face à la vie, Charlie se terre dans son appartement. Volets clos pour fuir le regard des autres, l’appartement est une extension de l’homme qui l’habite. A la fois de son corps et de son esprit. De son corps d’abord par ses multiples ingénieux objets qui lui permettent de survivre et de se mouvoir, car Charlie est handicapé. Le déambulateur, la pince à attraper des objets, les poignées suspendues au-dessus du lit. La chambre est un antre, sorte de bordel oublié encore plus sombre que le reste de l’appartement qu’il ne parvient pas à gérer, alors il l’oublie. Et puis il y a aussi cette chambre vide et proprette restée dans la naphtaline, une représentation de son inconscient. Le cinéaste évoque ainsi le thème du monstre et de son antre par l’extension de l’homme dans cet appartement qui devient une préfiguration de lui-même.

Aronofsky décrit l’addiction de manière frontale, en en détaillant toute la complexité et l’inéluctabilité, fait très rare dans une fiction. Ici un homme qui s’empiffre allant jusqu’à garnir une pizza des restes du frigo. Le cinéaste décrit l’addiction pour ce qu’elle est: une maladie. Charlie souffre. Les conséquences sur l’humain et les proches sont évidentes. Même son amie Liz apporte à Charlie de gargantuesques sandwichs. Elle lui donne « sa drogue » et se reprend à un seul moment, car c’est ce que souhaite Charlie. Il n’y a rien à contrer, c’est inéluctable. Ici le cinéaste parle de nourriture, il pourrait s’agir de n’importe quelle autre substance, d’ailleurs l’ex-femme de Charlie, Samantha Morton, est alcoolique. Le lien au mal-être des personnages emprisonnés par une addiction est mis en évidence par le cinéaste. Le personnage principal se sauve par les plaisirs de l’esprit. L’écriture, la beauté des textes. Il enseigne à distance en coupant sa caméra car avec ce corps monstrueux, sa limite est d’être vu par la société des humains. Il survit aussi par sa résilience bouleversante envers sa fille, appuyée par un scénario aux retournements inattendus. Les Thèmes de Moby Dick parcourent le film, à travers une petite note qu’il relit sans cesse d’abord, mais aussi en contaminant la narration et les protagonistes. Le film questionne le sens de la vie, la quête inatteignable, la fuite en avant, le suicide, la remise en cause du bien-fondé de la religion (illustré par un passage biblique où le croyant devrait « vivre selon son corps et pas son esprit »). Liz constatera ainsi que l’on ne peut aider personne.
Aranofsky renoue avec la force du cinéma de ses débuts, déclinant une nouvelle fois le thème de l’addiction qu’il traite avec maîtrise et minutie dans ce fascinant récit de l’intimité d’un monstre bouleversant d’humanité.