“L’éclat de ses films” Sakura Ando, Monster de Kore-eda

L’actrice japonaise Ando Sakura présente un visage à la fois sympathique et familier. Venue au Festival de Cannes présenter Une affaire de Famille (Shoplifters) en 2018, elle repartait au Japon avec la Palme d’Or remportée cette année-là par le film du cinéaste Hirokazu Kore-eda. En 2012 Elle jouait également dans le long métrage en deux volets de la série Shokuzaï, réalisée par Kiyoshi Kurosawa. Elle revient cette année et pour sa seconde collaboration avec Hirokazu Kore-eda dans un nouveau long métrage, Monster (L’Innocence), présenté en Compétition Officielle au 76ème Festival de Cannes et Prix du scénario. Elle y interprète une mère courage qui protège un adolescent en perte de vitesse. Interview sur un rooftop de la Croisette.

Stéphanie Lannoy: C’est votre seconde collaboration avec Hirokazu Kore-eda. Y-a-t’il eu une évolution
dans votre travail entre ces deux films?
Ando Sakura: Dans Une Affaire de Famille je n’avais pas tant discuté que ça avec le réalisateur. J’essayais toujours d’imaginer sa vision des choses et de l’interpréter. Le scénario changeait chaque jour, je ne savais pas vraiment où nous allions et je faisais en sorte d’adapter mon jeu à la direction générale que nous prenions au fur et à mesure. Après ce film nous sommes devenus plus proches, nous avions des conversations plus intimes. Ca a fait une grande différence pour recommencer à travailler ensemble lorsque le tournage de Monster a commencé. Cela nous a permis de travailler dans un environnement plus relaxant. Grâce à cela j’ai vraiment été capable d’expérimenter chaque scène autant que je le désirais, c’était vraiment plaisant. Nous avions cette fois le scénario de Mr.Yuji Sakamoto, et comme une équipe soudée nous nous demandions tous comment en faire un film. C’était une expérimentation collective très joyeuse.

Qu’avez-vous pensé en lisant le scénario du film pour la première fois? C’est une question difficile. Entre le moment ou j’ai lu le scénario pour la première fois et celle où j’ai vu le film fini, j’étais honteuse d’une certaine manière de la pauvreté de mon imagination. Tant d’éléments dépassaient ce que j’imaginais! La première impression que j’avais eu à la lecture explosait complètement.

Comment avez-vous travaillé avec les deux jeunes acteurs Soya Kurokawa qui joue le rôle de Minato et Hinata Hiiragi celui du jeune Eri? Nous n’avons pas modifié quoi que ce soit parce que ce sont des enfants. Je les condidère comme des acteurs. Chacun des deux étaient vraiment différent. j’avais de nombreuses scènes avec Soya étant donné qu’il jouait mon fils. C’est un enfant réellement sensible qui pose de profondes réflexions. Une des scènes qui m’a vraiment épatée était celle où nous rentrons de l’hôpital à pied et il commence soudainement à courir. Il a fait de nombreuses prises pour cette séquence et il déploie parfois de superbes fulgurances. Etre capable de sentir ça était émotionnellement très intéressant.

Quelle était votre vision du personnage de Saori, quelle mère vouliez-vous jouer? Je n’avais pas vraiment d’image d’elle. Cela relevait plus des choix de l’équipe. Le maquillage, les costumes qu’ils ont préparés pour elle. De nombreux outils existaient pour essayer de créer ce personnage. J’essayais plus de me muer dans l’image qu’ils en avaient plutôt que de correspondre à celle que j’aurais pu en avoir. Par exemple si nous filmions une scène émotionnelle et que juste après je courais sur le plateau, il était possible qu’après j’ai des révélations du type: “Elle pourrait courir comme ça et ressentir de cette manière”.

Votre précédente collaboration avec Kore Eda dans Une Affaire de famille a été une réussite. Quel impact cela a-t’il eu sur votre carrière? En terme de carrière il y a peut être eu un changement, mais je ne me suis pas concentrée là-dessus. D’une manière plus personnelle, cela a changé mon rapport au temps. Le fait que je sois capable de faire partie d’une équipe et d’expérimenter cet environnement de travail m’a donné un sentiment de confiance et rendue capable de jouer de manière plus collective et joyeuse. Voir la mer ici comme il y a cinq ans par exemple je trouve ca encore plus beau! (rires).

Pourquoi pensez-vous que le cinéma de Kore Eda soit tellement apprécié a l’international? Critiquer un film terminé m’est difficile, ce n’est pas mon domaine et je ne pourrais pas vous donner une opinion là-dessus. Ce que je peux dire en tant qu’actrice c’est que Kore Eda est capable de créer cet environnement de travail particulier dans lequel nous travaillons collectivement. Cela nous procure un incroyable sentiment quand nous collaborons. C’est là que l’éclat de ses films apparait. Vous découvrez à chaque fois sur l’écran quelque-chose que vous n’auriez pas imaginé ou qui dépasse votre imagination. C’est définitivement Mr Kore Eda qui rend cela possible. Je ne pense pas qu’il s’agisse du Japon, d’un simple pays ou même d’une catégorie de films. Cela dépasse tout ça. Son cinéma transmet cette émotion et nous pouvons la ressentir. C’est pour cela qu’il est tant aimé dans le monde entier.

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Festival de Cannes 2023.
Photo de Ando Sakura ©Stephanie Lannoy