Monster (L’Innocence) de Hirokazu Kore Eda

Kore Eda Hirokazu, Palme d’Or en 2018 pour Une Affaire de Famille décrochait l’année dernière avec Broker (Les bonnes étoiles) le prix du meilleur acteur pour Song Kang-Ho. Le japonais revenait cette année sur la Croisette avec Monster une histoire qui prend place dans une petite ville du Japon. Suivant ses thèmes de prédilection, le cinéaste signe un drame à la fois déchirant et d’une grande douceur développant toujours beaucoup d’empathie pour ses personnages. La construction narrative étonnante constitue l’originalité de ce film. La seconde particularité du film, rarement mise à l’écran dans le cinéma japonais est la question de l’homosexualité. Le film a décroché les Prix du scénario et la Queer Palm au 76ème Festival de Cannes. A lire aussi: Entretien avec Ando Sakura.

L’énergique Saori Mugino, Ando Sakura, mère célibataire, voit son jeune fils Minato, Kurokawa Soya, commencer à avoir un comportement étrange. Persuadée qu’il a un problème à l’école avec un professeur, sa mère va débarquer dans l’établissement pour éclaircir les faits responsables du malaise de son fils.

Le film propose plusieurs lectures de l’histoire. Le récit multidirectionnel éclate et du film de genre déviera vers le drame. Le début du film nous plonge dans le film de genre car les comportements de Minato sont réellement étranges. Il apparait presque comme un animal et sa mère suit comme un jeu de piste les éléments qui permettraient de comprendre l’état si mystérieux du jeune garçon. C’est la première collaboration de Kore-Eda avec le scénariste Sakamoto Yuji qui travaille et affectionne les mêmes thèmes que le cinéaste. Monster est aussi le dernier film du compositeur Ryuichi Sakamoto décédé en mars 2023.

La force du film réside en grande partie dans la construction narrative qui reprend par chapitres le point de vue de différents personnages (comme le faisait Akira Kurosawa dans Rashomon en 1950), à partir d’un même événement dans la ville, un immeuble en feu. Une première histoire terminée, le cinéaste vient se détacher peu à peu de sa signification première, pour que la vérité du récit se réinvente à chaque fois selon le point de vue d’un nouveau protagoniste. Le cinéaste dévoile peu de choses de l’enfance de ses personnages dans les premiers trois quart du récit. L’intimité de ces adolescents est rude. Minato est orphelin de père tandis que son ami Hoshikawa subit un père alcoolique. Dans une vie quotidienne à l’apparence parfaitement normale la violence subie par les enfants, de la cour d’école au milieu familial est insoupçonnable.
Se méfier des apparences, la transformation de la réalité par la parole des uns et des autres comme les réseaux sociaux savent superbement la déformer. Kore Eda évoque les défauts humains, avec le harcèlement généralisé envers des élèves ou un professeur, Mr Hori, Nagayama Eita, la violence intra-familiale et le regroupement de ces êtres qui se reconnaissent et se choisissent en dépit de tous les drames comme les deux petits garçons vont se créer un monde à eux deux, secret, une bulle d’air dans l’adversité d’un monde malveillant. Ce film sur ces choses de la vie qui nous échappent reste miraculeux car chaque spectateur pourra lire l’histoire à sa manière.