Entretien avec Peter Monsaert, réalisateur du Ciel flamand, l’art de filmer tout en pudeur.

Après un premier long-métrage remarqué, Offline, Peter Monsaert nous revient avec son second long-métrage, Le ciel Flamand, drame familial aux accents de thriller extrêmement bien ficelé. Peter Monsaert a une vraie démarche de cinéaste et l’on sent que les domaines variés qui ont jalonné sa carrière artistique – théâtre, cinéma, installations vidéo et art communautaire – n’y sont pas étrangers. Le Cinéaste a accepté de répondre à nos questions à l’occasion de la sortie son excellent film Le Ciel flamand qu’il a aussi scénarisé.

Etait-ce une volonté de faire cohabiter l’univers de la famille et celui de la maison close ?
Oui. J’ai fait beaucoup d’interviews avec des femmes qui travaillent dans ce business. Elles m’ont toutes dit : « nous sommes beaucoup plus que notre profession ». Quand on parle de quelqu’un, on parle de tous ses aspects. Lorsqu’on évoque les prostituées, elles ne sont que ça. J’ai essayé de les montrer à la fois comme mère, sœur, enfant de quelqu’un.

Vous vous êtes documenté à ce sujet ?
Oui. J’ai visité beaucoup de clubs où je restais dans la cuisine avec les filles la plupart du temps, comme dans le film. J’entendais les conversations au bar, la manière dont elles parlaient avec les clients. Elles revenaient ensuite discuter dans la cuisine. Ma vision de l’homme ne s’est pas améliorée. Elles ont toutes dit deux choses : « Veux-tu nous présenter comme de vraies personnes ? » et que « les hommes sont les mêmes, des bêtes ». J’étais confronté au fait d’être moi-même un homme. Le plus sordide que j’ai entendu c’est un homme qui est entré en étant pressé, a payé pour une demi-heure et est sorti après cinq minutes parce que son enfant dormait dans la voiture. On se demande comment on peut agir de la sorte.

Vous présentez le bordel comme un lieu de travail, sans voyeurisme, sans entrer dans les chambres. Etait-ce prévu ou est-ce que vos recherches ont changé votre manière d’aborder le lieu ?
C’était un peu les deux. J’ai écrit le scénario parallèlement aux recherches que je faisais. Dès le début je sentais que je ne voulais pas quelque chose de spectaculaire… Je voulais montrer la vie entre les filles qui travaillent là. Et pas la relation client-fille.

Votre cinéma a la particularité de ne pas être voyeur, c’est la même chose dans Offline. Le père repousse la caméra quand sa fille veut se dénuder. Dès que l’on risque de voir trop de choses on s’éloigne…
C’est une sorte de pudeur, j’essaie d’avoir beaucoup de respect pour mes personnages. Et aussi pour les personnages réels, sur lesquels je base mon scénario. J’essaie de leur laisser toute leur complexité.

Avec vos comédiens c’est un peu la même chose, Wim Willaert me disait que sur le plateau c’est assez libre, que chacun apporte sa pierre, comment définiriez-vous votre direction d’acteur ?
Je sais très bien ce que je veux, mais je ne le dis pas aux acteurs et je dirige sans qu’ils le sentent… Sans qu’ils aient l’idée qu’ils sont dirigés. J’utilise les outils que j’ai. Cela commence en leur donnant de bons dialogues, en les plaçant dans des endroits justes. C’est comparable à un entraineur de foot. Etre sûr que le pitch est bien, que tout est là pour bien jouer…

Il faut des bases solides…
Oui et quand on travaille avec de bons comédiens, on sent à un moment donné que ça va aller. Parfois je dois juste leur préciser de très petits détails pour diriger dans le bon sens. Il suffit d’être un peu psychologue.

Dans Offline comme dans le ciel flamand, que soit Dirk ou Rudy, le personnage a un passé lourd et doit reconstruire sa vie. Il doit aussi retisser le lien avec sa fille. Ce sont des thèmes qui vous habitent ?
Oui. C’est quelque chose dont apparemment je dois beaucoup parler. J’ai réalisé ça à un moment donné, d’un coup, quand j’écrivais le scénario du Ciel Flamand. J’ai d’abord été un peu bloqué là-dessus. Je me suis demandé si je me répétais, et pourquoi je le faisais. Je dois raconter quelque chose sur ces thèmes, c’est comme ça et je dois l’accepter. C’est un film totalement différent mais qui portait les mêmes thèmes. Je me disais aussi que la famille c’est la seule chose à laquelle on ne peut pas échapper dans la vie. On est né quelque part. Quand on fait un enfant avec quelqu’un on est liés. Une amitié peut être rompue, mais être l’enfant de quelqu’un ou être un père, on ne peut pas nier que c’est toujours présent. Pour moi c’est le thème le plus intéressant au monde.

Dirk est un peu paradoxal. Il est à la fois en retenue et pourtant à la fin va au bout de ses actes…
Je pense qu’il retient tellement ses émotions qu’il est comparable à un volcan.

Il évolue, mais par rapport à la société c’est mal…
Oui, C’est clair que je pose des questions morales. Quand je fais des films je veux qu’ils posent des questions. Je présente une palette de possibilités, je ne vais pas donner les réponses, c’est au spectateur de faire ses choix.

Au début du film le spectateur épouse le point de vue de la petite fille. Quand il le perd, c ‘est très déstabilisant ! Il se retrouve projeté avec les autres personnages à la chercher…
Oui on la cherche littéralement. J’ai essayé dans la langue cinématographique d’augmenter les sentiments qui sont dans l’histoire et ça tourne un peu, ça devient l’histoire de Sylvie puis ça devient l’histoire de Dirk qui dès le début essaie de rentrer dans l’histoire mais qui n’y parvient pas. A la fin il y est.

Aviez-vous conscience que c’est un double choc pour le spectateur de perdre Eline, il perd à la fois son point de vue et le personnage principal à ce moment du récit ?
Faire un film c’est une combinaison entre le cœur et le cerveau. Parfois on fait des choses instinctivement parce que l’on pense que c’est bien. C’est aussi penser : je vais faire ça pour manipuler le spectateur. C’est constamment une sorte de balance entre les deux. Donc c’est difficile de l’analyser moi-même. On a bien sûr choisi de filmer Eline d’une autre manière que les adultes, c’est plus tactile elle touche les choses, à sa hauteur, mais aussi selon ses points de vue. Ca ce sont des choix. En même temps il y a des choses que l’on ne peut expliquer.

Vous filmez des détails en subtilité, comme dans la scène ou Eline est approchée par un adulte. Comment travaillez-vous avec votre Chef opérateur ?
On a parlé beaucoup avant et regardé des photos, des peintures. On essaie d’avoir la même idée pour guider le film parfois avec beaucoup de couleurs pour avoir une sorte de correspondance entre les couleurs et les choses qui se passent.
Sur le plateau on définit aussi à quel point on est proches de ce qu’on va filmer. C’est aussi très instinctif. Parfois je sais très bien comment je veux le faire avant, parfois Je ne sais pas et on essaie des choses.

On sent que votre cinéma est très sensible, chaque élément narratif est utilisé comme tel. Cela vient-il des différents arts que vous avez pratiqués, par exemple vos installations vidéos ?
C’est drôle, j’ai vu récemment le making-off du fils des Dardenne et Olivier Gourmet dit qu’on est tous le produit de ce qu’on a vécu. Physiquement et mentalement. Donc oui, mais je ne peux pas l’analyser. Ce que j’ai beaucoup appris dans le théâtre parce que j’ai joué moi-même, c’est ce qu’un acteur a besoin d’entendre et ce dont il n’a pas besoin. Mon rôle est de le rassurer et être là, de le mettre dans le bon état d’esprit, dans la psychologie du personnage.

A l’extérieur vous filmez une nature immense et des personnages minuscules tandis qu’à l’intérieur c’est plus confiné, vous filmez en gros plans, pourquoi ?
Pour le film j’avais un rythme dans mon cœur parfois très dynamique et parfois poétique, les moments de repos. C’est pour ces moments que la nature est aussi là, avec son immensité et ses très petites personnes : Est-ce que c’est le destin ? Ce qui se passe avec Eline, c’est quoi ? c’est aussi le destin ? Sylvie essaie de savoir ce qui c’est passé mais c’est parfois mieux de ne pas chercher les solutions.

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, à Bruxelles, novembre 2016.

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