« Le langage cinématographique de la comédie n’est pas des plus complexes. C’est une problématique de rythmique et de musicalité. Il faut que ça swingue avant tout. » Entretien avec Nicolas Benamou, réalisateur de A fond !

Dans Babysitting 1&2 co-réalisés avec Philippe Lacheau, on pressentait déjà une certaine attirance de Nicolas Benamou pour emmener ses personnages dans des aventures folles. Mêler comédie et action est désormais chose faite, puisqu’avec son quatrième long-métrage, A fond !, il réalise une comédie d’action hilarante dans laquelle les personnages sont bien inspirés de conserver leurs ceintures de sécurité. Présent à Bruxelles pour présenter son film, Nicolas Benamou répond à nos questions sur cette énigme que constitue une comédie réussie.

Après le succès de Babysitting les producteurs sont venus vous chercher ?
Ce film trainait depuis pas mal de temps sur les bureaux des producteurs parisiens. Ils avaient des réalisateurs de films d’action d’un côté, de comédie de l’autre et ne trouvaient personne qui pouvait manager les deux dynamiques du film. Ils ont estimé que je pouvais le faire et m’ont proposé ce film.

D’où vient l’idée du film ?
C’est venu de faits divers qui se sont produits dont une dizaine de cas ont été médiatisés. On a même rencontré deux personnes lors de notre belle tournée à qui c’était arrivé. L’un d’eux n’était pas traumatisé mais a tout de même roulé 40 kilomètres bloqué à 140.

Il s’est revu en voyant le film ?
Oui ! Cela arrivera de plus en plus souvent parce qu’on laisse les machines agir pour nous et au moment où elles n’assurent plus ça dérape. Combien de fois a-t-on vu son GPS nous demander de faire demi-tour sur l’autoroute ? Une fois j’allais à un mariage le GPS m’a conduit devant une forêt et me disait « vous êtes arrivé ». Non, je n’étais pas arrivé, mais comment lui dire ? (rires).

Réaliser un film d’action était une envie ?
Je m’ennuie un peu devant un film qui a pour seule dimension l’action. Ce qui me plaisait ici, c’est qu’il fallait respecter l’équilibre entre la comédie et l’action et que l’on retrouvait un peu la promesse que l’on a dans un manège à sensation.

Quels sont selon vous les ingrédients pour une comédie réussie ?
Ah, si je le savais…

Vous devez bien avoir une idée ?
Les deux vertus pour faire un film populaire sont la sincérité et l’estime du public à qui l’on s’adresse. Il existe ensuite des ingrédients spécifiques à chaque histoire que vous allez pouvoir rajouter, mais aucun n’est le bon ingrédient à remettre à chaque fois. Par contre la sincérité c’est impératif, parce que le public le sent immédiatement.

Quand on voit la bande-annonce de votre film on se dit qu’il tient sur une idée : une voiture qui est lancée à fond sur l’autoroute. On se demande comment le récit va pouvoir se développer sur une heure trente. Le scénario en est la clé ?
J’ai retravaillé le scénario en profondeur. Quand on m’a donné le scénario de base, le personnage qui venait en vacances au dernier moment avec la famille était un pote du père de famille. Ma femme refuserait un pote qui arrive au moment où l’on part en vacances. Je me suis dit que si c’était mon père qui arrivait, là, elle serait gênée mais ça passerait. Dans le premier récit ils avaient emmené la nounou avec eux, elle était lesbienne et s’était disputée avec sa petite amie le matin. C’était donc cette petite amie furieuse de son départ qui les poursuivait. Je l’ai remplacée par le gitan qui les course dans la BM. Je me suis réapproprié le scénario en effectuant des aménagements sur l’ADN du film et en modifiant les dialogues.

A quel point visualisez-vous le film, travaillez-vous avec des storyboards ?
Non, je ne dessine pas moi-même. Les gens qui dessinent reproduisent un dessin qu’ils ont dans la tête et souvent ils le complètent peu à peu. Le film c’est la même chose, je viens chercher mes petites briques pour restituer ma continuité et je complète l’image que j’ai du film plan par plan pour créer cette narration. La vision que l’on a du film évolue pendant qu’on le fabrique puisque l’on doit se réadapter. Le film est une matière vivante. Les storyboards sont parfois utiles pour certaines scènes. Il a fallu storyboarder la séquence où les enfants passent par la fenêtre car elle faisait intervenir de nombreux corps de métiers. Pour communiquer le plan de bataille à tout le monde le storyboard peut se révéler extrêmement utile. Concernant la comédie traditionnelle ça n’est pas nécessaire. Grammaticalement le langage cinématographique de la comédie n’est pas des plus complexes. C’est une problématique de rythmique et de musicalité. Il faut que ça swingue avant tout.

Pratiquement tout le film est tourné dans un huis clos, celui de la voiture, c’est un lieu extrêmement confiné…
C’est une des problématiques. La voiture a six places occupées par des acteurs donc aucun technicien ne se déplace dans cette voiture pendant qu’on tourne. On est sur la voie opposée avec des véhicules. Tout est piloté à distance par des télécommandes : la lumière, le son, les caméras qui sont robotisées et les acteurs sont livrés à eux-mêmes. On roule à côté d’eux, je les voyais par la fenêtre en direct.

A quel moment ont-ils su pour la prise de risque ?
Dès le début car il a fallu se positionner sur un mode opératoire. On a cherché ce qu’il fallait pour pouvoir restituer ce qui était écrit dans le scénario, en vrai. Donc tout le monde était averti dès le début de ce cahier des charges là et ça créait une excitation supplémentaire pour tout le monde.

Pourquoi avez-vous choisi des comédiens à tendance comique, voire des humoristes ?
Je le fais un peu à chaque fois. Jérôme Commandeur et Vincent Desagnat sont dans tous mes films. J’ai réalisé les DVD de Florence Foresti, on travaille souvent ensemble. Il y a un effet de bande, je pense en priorité aux copains, j’ai tendance à être fidèle. Maintenant que j’ai ajouté José Garcia à ma bande je peux vous dire qu’il sera dans mon prochain film !

Comment est venue l’idée d’André Dussolier à contre-emploi ?
André a été averti qu’il y avait un rôle écrit sur mesure pour lui. Il était très excité à ‘idée d’interpréter un rôle différent. Il m’a dit « Ca fait 40 ans que j’attends ça ! ». J’avais l’impression que c’était son premier film. Il était fan de tout et je pense que la qualité des grands acteurs qui durent, c’est d’être capables de s’émerveiller à chaque fois. Quand il tournait le film, il a été animé d’une énergie incroyable, voulant toujours dépasser la limite. On lui disait de faire attention. Je n’aurais jamais imaginé que cela puisse provoquer cela mais c’est vrai que sans cette énergie-là de la part des acteurs, c’est plus difficile. Ils ont été merveilleux. André comme les autres. Très volontaires, jamais une hésitation avant de se mettre en danger d’une façon ou d’une autre, c’est un bonheur.

La voiture ne se prête pas vraiment à la direction d’acteur, Comment avez-vous procédé ?
A Paris on a fait des lectures techniques, artistiques où l’on a défini la partition et donné les intentions. Mais ça se produit autour d’une table. L’élément spatial que représente la voiture on le découvre après, le jour du tournage. Là, tout est mis en place et on adapte ce que l’on s’est dit en préparation à la réalité. Chaque jour de tournage commençait par une répétition avec la voiture pour accéder et évoluer autour mais surtout, quand on joue les scènes en situation réelle, il faut organiser tous les corps de métiers. En plus des acteurs, les cascadeurs, deux-cent voitures de figuration, des pilotes de précision, il faut poser la scène, la répéter parce qu’on ne peut pas faire de nombreuses prises. Vu la configuration du tournage il faut être économe.

Combien de prises tourniez-vous ?
Trois ou quatre en moyenne. Quand on ne l’a pas il faut recommencer. Face à la logistique, tout le monde s’est dit qu’il fallait apprendre tout le film pour pouvoir passer d’une scène à l’autre en cas de souci. En général les acteurs apprennent leur scène pour le lendemain. Ils sont tous arrivés avec le scénario dans la tête comme une pièce de théâtre. Tout le monde a compris que cela cristallisait à un moment une concentration et une rigueur. Personne n’avait envie d’être celui qui faisait tout planter. Il y a ce côté symphonique dans la mise en oeuvre d’un film comme ça. C’est ça qui est délicieux. Evidemment vous transpirez, on ne met pas en place des scènes qui se tournent à cette vitesse avec autant de gens impliqués dedans facilement, c’est ça qui rend les choses encore plus agréables et plus appréciables quand elles fonctionnent. Quand on avait la bonne prise tout le monde exultait.

Pensez-vous que cette manière de travailler est la  plus efficace ?
La contrainte est un vrai moteur de la créativité. J’ai mis un point d’honneur à maîtriser le budget du film. Cette contrainte-là oblige à être bon tout de suite. Je ne vais pas tout réussir en une prise mais je sais que ça a pressé le citron de tout le monde et la créativité vient de là. J’étais content de réunir autant de contraintes. Même si des fois vous vous dites que c’est dur !
La démarche était aussi de se mettre en danger, que cela se ressente pour que l’enjeu du film et l’empathie du public vis-à-vis des personnages soient présents. On ressent plus d’émotions transmises par la réalité d’une image que dans une image de synthèse.

Qu’est ce qui a été plus difficile pour vous à gérer, l’humain, la technique ?
Chaque aspect d’un tournage comme ça est gérable. Le plus difficile a été d’apprivoiser l’ensemble. Vous avez une armada avec deux-cent bagnoles, en même temps il y a deux enfants au milieu, à qui l’on fait faire leurs cascades et des conditions météo qui vous empêchent de tourner pendant dix jours de pluie. Il faut garder la foi. On revient encore à cette idée de symphonie, c’est à la fois les violons, la grosse caisse, le mec avec ses cymbales et l’autre avec son triangle qu’il faut bien entendre. Il faut conjuguer tout ça et quand ça marche c’est jouissif !

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy

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