« A mon sens on doit arriver sur le plateau et vivre les situations avec l’énergie du moment et ce que renvoie le partenaire » Entretien avec Sébastien Houbani pour Noces

Sébastien Houbani, Géronimo de Tony Gatlif, Nous trois ou rien de Kheiron, incarne son premier rôle principal au cinéma avec un personnage extrêmement touchant dans le film Noces de Stephan Streker qui lui vaut le Valois du Meilleur Acteur au Festival du Film Francophone d’Angoulême.  Amir, frère aimant, va endosser toutes les responsabilités de ses proches et se poser en pivot du conflit familial. Le comédien se métamorphose en grand frère pakistanais, parle ourdou, une véritable performance.  Avec Lina El Arabi, il forme un beau duo de cinéma dont on comprend que la relation fraternelle a dépassé le cadre du tournage. Pas étonnant au vu de la générosité de cette personnalité attentionnée. Talent à suivre.

Stéphanie Lannoy : Qu’est-ce qui vous a plu dans ce scénario ?

Sébastien Houbani : Le film n’est pas manichéen. Il expose des faits mais ne juge personne. Un point de vue est donné sur chaque personnage mais le jugement moral appartient au spectateur.

Vous vous sentiez proche du personnage d’Amir ?

On est très différents, je suis plutôt quelqu’un d’amusant de volubile et mon personnage est plutôt taiseux. Il bosse en famille, dans l’épicerie de son père et j’ai l’impression qu’il n’a pas beaucoup d’amis. Je n’aime pas ce mot mais c’est un personnage de composition dans lequel j’ai essayé de rendre un maximum de vérité.

Il a un peu trop de responsabilités dans sa famille…

D’autant plus que la sœur ainée est partie. C’est un grand frère, le seul garçon de la famille. Il est l’un de ces héros tragiques qui marchent vers leur destin.

Comment avez-vous préparé le rôle ?

J’ai eu un coach pakistanais qui m’a appris à parler Ourdou. Je n’avais jamais entendu parler cette langue et ne connais pas beaucoup de pakistanais. Il m’a proposé de venir chez lui, m’a présenté sa famille, je lui ai posé des questions sur la communauté pakistanaise, ses traditions etc. Concernant la dramaturgie et l’évolution du personnage on en a discuté avec Stephan et on a nourri le personnage.

Le travail a pu se faire bien en amont ?

Oui et en même temps je suis quelqu’un d’instinctif. A mon sens on doit arriver sur le plateau et vivre les situations avec l’énergie du moment et ce que renvoie le partenaire. J’ai la chance d’avoir des acteurs formidables en face de moi, que ce soit Babak, Lina, Olivier Gourmet… On est obligé de se nourrir aussi de ce que eux nous donnent.

Pouvez-vous expliquer comment se passe la direction d’acteur de Stephan Streker sur le plateau ?

Stephan aime diriger pendant les prises. Il s’intéresse tellement à l’humain – son film le montre – qu’il ne travaille pas de la même manière avec tous ses acteurs. Il essaie de comprendre le fonctionnement de chacun, un peu comme dans le film ! (rires). Il a très vite compris qu’il ne fallait pas trop m’en mettre plein la tête, ne surtout pas toucher trop à mon instinct et que je me fatiguais assez vite. Il me disait souvent que j’étais bon les 4 premières prises et qu’après je me fatiguais.

C’est un mode de fonctionnement…

Oui et il n’est pas le premier à me faire ces remarques, c’est rassurant. J’aime aussi la proposition, j’ai besoin de me sentir investi dans le projet, de me sentir concerné et j’ai la chance d’avoir un réalisateur qui m’a entièrement fait confiance. Stephan est quelqu’un qui aime énormément les acteurs qui est très friand de propositions. Si c’est mieux il prend, si c’est moins bien on revient au texte prévu.

Il m’a confié que vous faisiez des propositions judicieuses…

Comme c’est un personnage qui est écartelé entre tous les membres de sa famille, j’avais des liens différents avec chacun.  Au fur et à mesure des situations que je jouais je me rendais compte que j’étais un peu perdu émotionnellement. Mais c’était assez logique, parce que j’étais dans le même état que le personnage. De fait, j’étais obligé de proposer car Amir est tellement complexe que même avec Stephan on avait parfois du mal à voir sa ligne directrice. Il fallait sans l’excuser que le cheminement du personnage justifie l’évolution de son état psychologique.

Stephan Streker dit à propos de vous « Son rôle est très compliqué parce qu’il est dans l’inhibition de l’action ». Etait-ce la difficulté ?

Tout à fait. Ce personnage constitue un parfait symbole de tout le film. Comme Zahira, il n’est pas victime de monstres mais d’une situation monstrueuse. Il n’est pas un monstre,  je ne crois pas, sans pour autant excuser quoi que ce soit. Pour rappel, dans la vraie histoire le frère n’arrêtait pas de répéter au procès qu’il aimait sa sœur. Je crois que c’est à partir de ce moment-là que Stephan a trouvé intéressant d’en faire un film. Il s’est dit qu’on disait toujours que l’amour était la chose la plus forte au monde mais qu’est-ce donc qui avait pu se placer au-dessus et tout emporter ? C’est de cela dont on parle.

Lina est arrivée très tard sur le projet, une semaine avant le tournage, comment s’est passée la préparation ensemble ?

Une des meilleures choses qui nous soit arrivée est que je sois arrivé en amont et elle en dernier car au final on a pu vraiment nourrir cette relation frère sœur. J’étais plutôt prêt et elle n’a pas eu d’autre choix que de s’abandonner. Elle avait une semaine pour se mettre au niveau en langue Ourdoue alors que ça faisait un mois et demi que je le bossais. Je ne voulais surtout pas être dans un truc de performance où je maîtrise très bien et qu’elle soit un peu bancale. On s’est donc enfermés une semaine à l’hôtel avant le début du tournage et on a travaillé, je l’ai fait travailler. Aujourd’hui on s’appelle tous les jours, Lina est comme ma petite sœur. J’ai 34 ans, elle en a 21. J’ai aussi été pris d’empathie pour cette fille de 18 ans qui arrivait sur le tournage pour son premier rôle au cinéma et non des moindres. C’est un rôle très lourd à porter avec une langue étrangère. Je me suis pris d’affection pour elle, je me suis dit que je n’aimerais pas être à sa place. Je l’ai considérée comme une petite sœur sans l’infantiliser, Lina c’est aussi une actrice extraordinaire, elle m’a énormément appris en retour. Ce lien a vraiment nourri nos personnages et je pense que l’on ressent cette complicité entre nous à l’écran alors qu’au final nous ne jouons pas tant de scènes que ça ensemble, 3 ou 4 sur 1h 38 de film.

Ce sont peut-être des moments clés comme dans les escaliers où elle lui demande « Tu seras toujours là pour moi ? »

Je pense que cela se joue aussi dans les regards.

Comme dans la scène du petit-déjeuner ou Lina lance un regard noir à Amir…

Elle ne reconnait pas son frère qu’elle voit prendre parti. C’est à partir de ce moment-là que le personnage d’Amir va être écartelé entre sa sœur et son père.

Vous étiez sensible au message véhiculé par le film ?

A partir du moment où l’on fait un film comme ça on s’engage forcément. Mais je n’ai pas la prétention de dire que je suis un acteur engagé. L’une des premières discussions que l’on a eue avec Stephan était sur le fait que certes le film parle de mariage forcé, de double culture, mais c’est avant tout un drame intra-familial et c’est surtout cela qui m’a intéressé. Stephan nous a beaucoup protégé de tout l’aspect politique et sociétal que pouvait soulever ce film pour que l’on puisse se concentrer sur nos personnages et être instinctifs. Je suis un jeune acteur, à la lecture j’ai tout de suite vu que ça allait être un film engagé, mais on a tellement parlé du drame intra-familial que c’est maintenant, à force de faire des interviews, des avant-premières, que l’on découvre la dimension du film et les questions qu’il soulève. Je m’y attendais bien sûr, mais pas autant.

Zahira est coincée par la tradition et Amir aussi… 

Ca va plus loin que la tradition. Stephan a découvert dans son travail d’enquête au sein de la communauté pakistanaise qu’au-delà de la tradition il y a l’honneur et encore au-dessus existe le fait de vouloir sauver les apparences. A un moment, le frère dit au père que Zahira  attend un bébé d’un pakistanais, d’un musulman, ça aurait pu très bien se passer. Ils se mariaient très vite avant que cela ne se voie et puis voilà. Sauf que là, c’est le père qui insiste pour être lui-même respecté au Pakistan et se dire : « J’ai réussi à marier ma fille ». C’est un honneur et de l’apparence.

Avez-vous des Projets ?

On va reprendre la pièce de théâtre Croque-Monsieur de Marcel Mithois en tournée probablement en fin d’année. C’est du Boulevard, je n’avais jamais fait ça de ma vie, c’était très intéressant. Je suis dans le premier long-métrage de Lydia Terki Paris la blanche qui sortira le 29 mars en France. A la rentrée je serai dans le film de Thierry Klifa Tout nous sépare. Il y a d’autres projets en cours, je ne suis pas superstitieux mais un film c’est tellement fragile que je préfère que cela se confirme pour en parler.

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Bruxelles, février 2017.

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