Le péril Jeune, Un air de famille, L’auberge espagnole : Les comédies de Cédric Klapisch ont leur succès. On sait moins qu’il est aussi documentariste et que, refusé à l’entrée de l’IDHEC (ancien nom de la FEMIS), c’est maîtrise de Cinéma en poche qu’il s’en est allé étudier le cinéma à l’Université de New York. Sans doute le secret d’un cinéma français teinté de multiculturalité, l’un des ingrédients de sa réussite. Fin découvreur de talents, il a déniché Romain Duris, Cécile de France… Son dernier film, au ton juste et chaleureux raconte les retrouvailles d’une fratrie en Bourgogne qui va devoir s’occuper de l’exploitation viticole du père décédé. Un film mature, projeté en avant-Première au Brussels Film Festival dont Cédric Klapisch est l’invité d’honneur.
Stéphanie Lannoy : Comment avez-vous abordé ce sujet ?
Cédric Klapisch : Depuis 2010, je suis allé souvent faire des photos en Bourgogne, j’ai parlé avec beaucoup de vignerons et le fait d’enquêter, de faire un travail journalistique, les thématiques actuelles de la viniculture et de la vinification émergeaient. Les idées venaient parce que beaucoup de gens me racontaient des anecdotes que j’ai ensuite incorporées au film. C’est quelque chose que je fais à chaque fois : réaliser un travail de documentation de façon à enrichir le sujet.
Pourquoi avoir choisi La Bourgogne ? J’ai connu la Bourgogne par mon père qui m’a emmené avec mes 2 soeurs régulièrement acheter du vin avec lui, le goûter dans les caves. Cela forge une culture des goûts. C’était certainement la région en France que je connaissais le mieux, les paysages là-bas sont vraiment beaux et j’avais envie d’y filmer depuis très longtemps. En Bourgogne la taille moyenne d’une exploitation est de 10 hectares, dans le Bordelais c’est 30, c’est tout de suite plus industriel. J’avais besoin d’un modèle familial, artisanal. En général 5 personnes s’associent et travaillent dans un domaine. L’autre raison c’est que je n’aurais pas pu faire ce film sans Jean-Marc Roulot qui est vigneron à Meursault. Si je ne l’avais pas connu, je n’aurais pas pu faire ce film. J’ai filmé dans ses vignes. Il est acteur et vigneron, il doit être le seul. Du coup, il savait quels genres de problèmes un tournage allait poser et aussi comment les résoudre.
Etes-vous allé plus loin dans la préparation documentaire pour ce film-ci que les autres ? J’avais dejà un peu filmé certaines scènes en documentaire dans Ma part du gâteau, chez les traders à Londres, dans les open spaces. Je ne pouvais pas filmer autrement et j’avais développé une technique. L’auberge Espagnole, Casse Tête Chinois et Chacun cherche son chat avaient aussi à voir avec ça, mais ici effectivement, je suis allé beaucoup plus loin. Tout ce qui concerne les vendanges est intégralement filmé en documentaire, en mélangeant cela avec des scènes de fiction écrites. Les techniques documentaires et celles de fiction se sont mélangées.
Le tournage s’est étalé sur un an, comment s’est déroulée l’écriture du scénario durant cette longue période ? Au départ on avait un scénario complet. Le tournage a commencé le 25 août, on voulait être là un peu avant les vendanges qui ont commencé le 27. On est ensuite revenus tourner fin octobre, en décembre puis en mai-juin. Il y a donc eu 4 tournages pendant l’année. A chaque fois on reprenait le scénario avec Santiago Amigorena et on le faisait évoluer en fonction des rushes que l’on avait tournés. En janvier il y a eu une grosse période de montage, on a monté tout ce que l’on avait tourné de août à décembre et là c’est vrai que l’on a énormément retravaillé le scénario pour la dernière session du printemps, en mai-juin. Beaucoup de choses ont évolué pour tous les personnages, certains se sont même ajoutés. Donc la base de l’histoire était déjà là. La fin est la même que ce que l’on avait écrit au début, mais on a enrichi et précisé le trajet des personnages au fur et à mesure du scénario.
Comment avez-vous composé cette famille ? Avec Santiago Amigorena, on s’est dit assez tôt sans trop savoir pourquoi, que ce serait bien qu’il y ait 2 frères et une soeur, et qu’elle soit plus douée qu’eux pour sentir et goûter le vin. C’était un point de départ que l’on pourrait changer si cela ne fonctionnait pas pour l’écriture. Mais au final, le fait qu’elle soit plus douée que ses 2 frères est devenu très important. On a ensuite écrit des scènes qui vont dans ce sens, ou celui qui est plus âgé a plus d’expérience, est plus solide et en même temps conserve une blessure d’enfance qui fait sa fragilité. Cette fratrie fonctionne comme une sorte de moteur à 3 pistons ou chacun aide l’autre a un moment différent. La soeur aide le grand-frère, le grand-frère aide le petit et la soeur. Chacun s’entraide sans le vouloir. En même temps, ils sont très différents et n’ont pas forcément envie de s’aider, mais la fraternité est plus forte qu’eux.
Cette fratrie aurait-elle pu être la vôtre ? Mes soeurs et moi sommes parisiens et n’avons pas du tout une vie de viticuleurs ou d’agriculteurs. On est très différents tous les 3, mais les liens sont très forts. La seule chose qui est personnelle dans cette histoire est d’essayer de se dire : pourquoi est-ce que le mot fratrie et le mot fraternité ont la même racine ? Pourquoi ce qui est écrit sur toutes les écoles de France, issu de la révolution française et qui est sensé avoir un rôle social, part des histoires de frères et soeurs ?
Comment avez-vous choisi les 3 comédiens de cette fratrie ? J’avais très envie de faire un film avec Pio Marmai depuis longtemps, je me suis dit que j’allais partir de lui pour ce film. Je venais de revoir François Civil au casting de Dix pour cent et assez rapidement, je me suis dit que tous deux pourraient être frères. On a fait une séance de travail, la complicité était directe entre eux. Trouver la sœur a été plus compliqué. On a vu une vingtaine d’actrices et dès que Anna Girardot est venue devant eux ça a été le déclic. C’est quelque chose d’un peu mystérieux, une question d’alchimie entre les gens. Tous les trois sont très différents et en même temps il y a du lien entre eux.
Pio Marmai dit qu’il avait l’impression qu’il ne savait pas trop ou était la limite entre ce qui était vécu sur le tournage et sur le plateau. On a l’impression que vous vous nourrissez de petites choses du réel chez chacun de vos acteurs… Je me sers de ce qu’il se passe dans la réalité pour fabriquer la fiction. Et de fait, à un moment, la frontière entre les 2 devient compliquée. C’est ce que l’on disait sur le documentaire/fiction. Ce qui est intéressant c’est que ce ne soit pas comme un documentaire, et de la même façon que cela ne soit pas que recomposé pour la fiction. C’est bien de se nourrir de la vérité des choses. Mais ça, c’est vrai autant pour l’histoire que pour les acteurs. Je vole des choses aux acteurs, ça m’intéresse.
Comme dans la scène ou Juliette, saoule, perd les consonnes, ce qui est arrivé dans la réalité à Ana Girardot… C’est arrivé 6 mois plus tôt. J’avais juste noté la phrase parce que je trouvais ça drôle. J’avais filmé les acteurs quand ils étaient saouls. Ce petit film a servi de référence, cela fait partie du travail. A partir du moment où je savais qu’ils avaient une scène festive où il fallait qu’ils soient saouls, je me réferais à ça. Je leur ai montré comment ils étaient en leur disant « tu vois quand tu as bu tu parles de cette manière, avec les consonnes qui s’en vont… » C’était une manière de les aider à travailler plus en profondeur pour que cela soit un peu vrai. Il n’y a rien de pire que les acteurs qui jouent mal l’ivresse.
Vous êtes un découvreur de talents, comme pour Romain Duris ou Cécile de France. Que cherchez-vous de particulier chez vos comédiens ? J’aime bien que les acteurs aient une densité dans les films, c’est un mot que j’utilise de plus en plus. Je disais beaucoup sur Romain qu’il a une capacité à être à la fois léger, il peut avoir un rôle comique, de trublion, mais même avec ce côté bouffon, il a un côté dense. J’aime bien aussi le mot incarnation, le fait qu’un acteur amène son corps, sa viande, sa carne. Incarnation exprime mieux que le mot véracité ou justesse, le fait qu’il y ait une authenticité de leurs personnages. L’incarnation c’est le fait qu’il y a du poids, du corps, c’est ça que je cherche. Quel que soit le type de film que l’on fait, de la comédie, du drame, un film léger, philosophique ou poétique, il faut qu’il y ait cette base du corps qui installe l’acteur.
La musique est très étonnante, à la fois moderne et ancrée dans le terroir. Quelles étaient vos directives lors de la collaboration avec Loïk Dury et Christophe Minck? Avec les compositeurs on souhaitait qu’elle soit moderne et en corrélation avec la nature, la vigne, la France. Le vin est tellement un emblème français que l’on voulait que la musique soit au service de cet emblème. C’était compliqué de trouver quelque-chose qui soit électro. Très rapidement on a vu que l’électricité était une des composantes de cette musique. Il y a beaucoup de sons de guitare électrique distordus. L’idée de l’électricité est venue involontairement, par exemple quand Juliette est sur le tracteur, des espèces de filtres électriques un peu distordus fabriquent beaucoup d’émotion. Ce n’est pas pour fabriquer quelque chose qui va sonner comme le rock américain ou comme de la techno un peu bizarre, là c’est vraiment lié au terroir, avec des sons modernes.
La musique évoque des choses ancestrales et étonne l’oreille… De la même façon que moi, j’étais étonné de voir la jeune génération des vignerons. On ne s’attend pas à ce qu’ils soient aussi branchés. Quand on va dans une cuisine en Bourgogne, c’est très design par exemple. Je m’attendais un côté plus « vieux bois », à l’imagerie que l’on attend de la campagne en Bourgogne, on se dit que cela va être très traditionnel, alors qu’en fait ce sont des gens très modernes. La musique était là pour dire ça. Ce n’est pas parce qu’on est à la campagne ou que l’on parle d’un produit très traditionnel, que l’on ne devait utiliser que de la musique classique.
Avez-vous assisté à des conflits de générations en Bourgogne ? Les jeunes de 25, 30 ans privilégient des méthodes de travail très bio. Nombreux tiennent à cette notion de préservation de l’environnement. La génération des parents en général est plus pragmatique : c’est plus facile si on met des engrais, des pesticides et c’est moins cher. L’opposition nait de ces divergences. La question du bio est très clivante sur les générations.
Ce qui nous lie est-il votre film le plus mature ? Dans Paris il y a aussi une volonté d’être moins sur une histoire « d’ado-adulescent ». Peut-être que oui, parce que j’ai pris mon temps. J’ai beaucoup considéré que j’étais bon quand j’allais vite. Chacun cherche son chat, Le péril jeune ou L’auberge Espagnole, je les ai faits très vite. Je me disais que j’étais un meilleur réalisateur quand j’allais vite et là je me suis dit le contraire, au lieu de filmer dans l’urgence je me suis dit, je vais filmer dans l’ultra lenteur, ce qui ne veut pas dire que le film est long. Il s’est étalé sur un an et de fait, d’autres choses sont nées. Une maturation s’est opérée.
Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Bruxelles juin 2017
L’avant-première de Ce qui nous lie a eu lieu au White Cinéma, à Bruxelles, dans le cadre du Brussels Film Festival 2017