Lais Bodanzky est une scénariste et cinéaste brésilienne qui a notamment réalisé le film La bête a 7 têtes qui lui valut les prix du Meilleur long-métrage de fiction et de Meilleure réalisatrice aux Grand prix du Cinéma Brésilien en 2002. Elle se distingue par des dons multiples puisqu’elle réalise des fictions comme des documentaires et a aussi dirigé des pièces de théâtre. Concernée par son époque, Comme nos parents tout en étant une histoire captivante, réussit en filigranes une fine analyse de la place de la femme à notre époque. Ce long métrage a été présenté à la Berlinale section Panorama.
C’est par beau temps, à une terrasse Bruxelloise, que la solaire Laiz Bodanzky répond à nos questions sur son dernier long métrage. Un entretien ponctué d’éclats de rire, car même sur des sujets graves comme celui que propose son film, la cinéaste est de nature joviale. Il faut être bien dans ses baskets pour réussir un portrait familial sur plusieurs générations de femmes sans tomber dans le piège d’un regard trop féministe. Et Laiz Bodanzky respire le bien-être. Entretien.
Stéphanie Lannoy : D’où vient l’idée du film ?
Lais Bodanzky : Elle provient du désir de parler sur les femmes de ma génération, aujourd’hui. Je me suis inspirée du titre d’une chanson très connue au Brésil, dont le nom est Comme nos parents. Seul le titre m’intéresse, les paroles n’expliquent pas très bien ce dont j’ai envie de parler dans le film. Et le film ne parle ni de cette musique, ni de ses paroles. Avec ce titre, j’ai voulu parler des femmes et proposer une réflexion sur différentes générations. A quel point reproduisons-nous ce que font nos parents et que transmettons-nous à nos enfants ? De bonnes et de mauvaises choses s’en dégagent. Le titre idéal du film devrait être Comme nos mères, car ce qui m’intéresse, c’est le rapport entre les femmes et entre générations. Bien qu’étant moi-même une femme, je dois dire que j’ai discuté très peu ce thème dans ma vie. C’est comme si cette thématique ne méritait pas d’être abordée. Je me rends compte aujourd’hui que nous vivons dans une société machiste, parce que nous ne parlons pas de nous-mêmes. Ce désir de parler sur la femme aujourd’hui n’est pas mon souhait, c’est une thématique universelle qui est une réalité, pas seulement présente dans le cinéma mais aussi dans d’autres domaines.
Vous êtes aussi documentariste pourquoi avoir choisi de réaliser une fiction sur ce sujet ? Je suis documentariste, mais mon travail principal consiste à raconter des histoires, je crée des fictions avec les acteurs. J’ai fait une recherche documentaire sur les femmes dans le sport dans le cadre des femmes dans les JO pour ESPN, une chaine de télévision. Le sujet était libre, je pouvais parler de ce que je voulais dans le domaine du sport. J’ai donc décidé de parler des femmes. Quand j’ai expliqué mon sujet au directeur de projet de la chaine, « La participation des femmes brésiliennes au JO », il était très déçu et m’a demandé si j’en étais certaine, comme si je n’avais pas d’autres choses plus intéressantes à raconter. Même sans avoir fait la recherche, j’ai maintenu mon idée. L’histoire est incroyable, le documentaire aussi (Olympic Women ndlr) et donc dans le monde du sport aussi, la femme gagne sa place grâce à ses propres mérites. L’expérience que j’ai acquise dans le cadre de cette documentation m’a servi pour Comme nos parents. Je souhaite raconter de quelle façon les femmes vivent dans une société qui les opprime de façon invisible. Souvent cette oppression n’est même pas qualifiée, mais elle est pourtant bien réelle.
Comment s’est passée l’écriture du scénario avec Luiz Bolognesi ? Pour mes trois autres long-métrages j’ai discuté avec Luiz, mon partenaire depuis plusieurs années. Nous partageons la même vision du monde. Dans ce cas spécifique, nous avons décidé de modifier notre processus de travail. J’écrivais et lui faisait ses commentaires alors que pour les autres films c’était le contraire, il écrivait et je commentais. Il existe une très bonne dynamique entre nous. Le désir d’écrire a été provoqué par l’une de mes amies cinéastes qui m’a dit :« Lais, pour ce film c’est toi qui dois écrire le scénario ». J’étais surprise, mais à la fin j’ai conclu qu’elle avait tout à fait raison.
Le sujet traite justement des relations hommes-femmes, comment se sont passées les relectures ? Ca coulait de source, il n’y a pas eu de conflit. Notre souci était de montrer cette oppression invisible, mais en même temps je ne voulais pas transformer les hommes en personnages antagoniques. L’idée n’est pas d’avoir une femme contre un homme, mais plutôt de comment vivre ensemble. Durant ma recherche j’ai participé au séminaire de Maria Rita Kehl, une psychanalyste très connue au Brésil. Elle explique très bien ce qu’il se passe aujourd’hui dans les relations homme-femme dans la société. C’est comme si un couple devait vivre avec une seule couverture et que pendant toute une série d’années, plus de 1000 ans, cette couverture a toujours été un peu plus du côté de l’homme. La femme s’est rendue compte qu’elle ne se sentait pas très bien, que ce n’était pas agréable. Elle a alors tiré la couverture de son côté et maintenant elle a une nouvelle sensation de liberté, c’est plus confortable. L’homme ressent une nouvelle impression, quelque-chose le gêne. C’est de cette façon que le dialogue commence. Celui qui est confortablement installé ne prendra jamais l’initiative puisqu’il est à l’aise. Si les choses doivent changer c’est donc par les femmes. Cela doit surtout passer au départ par la relation entre femmes, nous avons besoin d’être plus solidaires.
Rosa site plusieurs œuvres féministes comme la pièce de théâtre « la maison de poupée » d’Ibsen, ou les écrits de Simone de Beauvoir, Ces oeuvres ont-elles été importantes pour l’écriture?
Cette pièce a été très importante. C’est par cette recherche que j’ai pris conscience de l’importance de cette pièce dans le mouvement féministe. Et c’est en reconnaissant l’importance de cette pièce que j’ai décidé que la profession de mon personnage principal serait dramaturge. Simone de Beauvoir est évoquée lorsque Rosa écrit une petite citation dans un carnet, la scène est très rapide. Une personne qui fait des recherches sur la femme dans la société n’a pas besoin de passer par Simone de Beauvoir, parce que malheureusement ses propos sont toujours d’actualité. N’étant pas datés, j’ai trouvé tout à fait naturel que Rosa puisse la citer.
Comment avez-vous choisi Maria Ribeiro pour interpréter Rosa ? À cause de son caractère fort, je ne voulais pas une actrice qui accepte un pauvre personnage fragile, je voulais une actrice qui défende Rosa bec et ongles avec dignité. Et Maria Ribeiro est comme ça dans la vie ! (rires).
Etait-ce un challenge pour vous de trouver ce duo mère-fille ? C’était un vrai défi. Pour interpréter Rosa j’ai toujours pensé à Maria. J’ai même fait des lectures avec d’autres actrices pour pouvoir justifier ma décision. Concernant la mère, Clarice, c’était différent. J’avais invité une autre actrice qui a laissé tombé au cours du projet. J’ai dû trouver une nouvelle comédienne alors qu’on venait de commencer à filmer. C’est curieux, car dans la vie réelle Clarice s’appelle Clarisse avec 2S et dans le film c’est avec 1C, une véritable coïncidence ! (rires). Clarisse (actrice) est arrivée deux semaines avant le tournage et c’était un personnage qui collait parfaitement.
Avez-vous fait des essais avec Maria Ribeiro et Clarisse Abujamra pour tester ce couple mère-fille, qui sonne si juste ? Je l’ai découvert presque sur le plateau, pendant le tournage. On n’a pas eu le temps de travailler avant. En fait, nous n’avons pas eu beaucoup le temps de rationaliser les événements, c’était urgent, on devait tourner et n’avions pas le temps de penser ! (rires). Clarisse s’est livrée à 100 %. Elle n’a presque pas eu le temps d’apprendre le script et en plus, elle devait tellement fumer… Dans la vie réelle, c’est une ancienne fumeuse. Là, il fallait qu’elle fume beaucoup. Le premier jour du tournage, elle ne me l’a pas raconté elle-même, mais je l’ai appris après, après le tournage elle est revenue chez elle et n’arrêtait pas de vomir à cause de la cigarette.
Vous avez choisi des espaces bien cloisonnés dans le film, comme l’appartement, le jardin de la mère, la cuisine… Pour pouvoir parler de la vie de Rosa, je dois être chez elle, dans sa maison. Le choix de son appartement a été le plus difficile, parce qu’elle est l’appartement, en comparaison avec la maison de la mère. Il y a là un contraste de caractères, de générations. Avec le directeur photo nous avons décidé de la manière dont nous allions raconter cette intimité. Il s’agit d’une intimité dans le quotidien des espaces. J’ai choisi cet appartement à cause du couloir… C’est étrange, c’est comme ça ! (rires)
Vous vous attachez souvent à des « détails », des gros plans, comme celui de la main de Rosa qui essuie le lait qui déborde, en disant « merde ! » en off… Quand on filme un détail, par exemple du lait qui bout et déborde de la casserole, ou la cigarette avec un verre de vin dans l’appartement de la mère, nous sommes en train de voir les deux personnages et nous comprenons qui sont chacun d’entre eux. Mais j’avoue que parfois, c’était un peu spontané aussi ! (rires). La présence du personnage de Rosa dans cette cuisine était très importante pour démontrer qu’elle doit tout faire, elle est multifonction. Et évidemment quand on ne contrôle pas les choses, ça déraille parce que tout faire est impossible. Elle est en pleine réflexion dans la salle de séjour, elle oublie le lait qui est en train de cuire, c’est évident (rires). Il faut aussi mentionner le verre de vin et la cigarette dans la cuisine de la mère. Cette image a été faite par hasard, parce qu’après avoir tourné la scène, les personnages sont sortis de la cuisine. Ce verre de vin et les cigarettes sont restés là, la caméra était toujours en train de tourner et on attendait tous en silence. Cela n’a pas été planifié, c’est arrivé.
La beauté du hasard. Le recueil sur la princesse déchue, est-il le cœur du film ? Seules les femmes voient ce que vous venez de dire. J’ai connu cette photographe (Dina Goldstein ndlr) pendant mes recherches sur le film. Je suis parvenue à ses photos via un groupe d’e-mails datant d’une ancienne école où mes filles toutes petites encore étudiaient. Une des mères avait posté ces photos dans ce groupe et je les avais archivées sur mon ordinateur. Dans ces mêmes courriels, une autre mère écrit de temps à autre sur un sujet libre. L’un de ces thèmes était la dernière paire de chaussures que sa mère ou sa grand-mère allait acheter. J’ai été très émue par ses textes et j’ai demandé de pouvoir les utiliser dans mon scénario.
Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Bruxelles juillet 2017
Comme nos parents, La critique
Trailer : https://www.cinenews.be/fr/films/comme-nos-parents/videos/