Dans une femme douce, Serguei Loznitsa livre une vision politique d’une Russie enchainée à ses fantômes – En salle le 16 août

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Serguei Loznitsa, diplômé du VGIK, célèbre école de cinéma moscovite et prix FIPRESCI de la critique internationale en 2012 pour Dans la brume, réalise ici un film à la fois politique, déchirant et surréaliste comme les russes en ont le secret. Krotkaya, Une femme douce, reprend le titre d’une nouvelle de Dostoïevski sans pour autant s’y référer directement. A travers l’histoire d’une femme, la lumineuse – dans cet univers sombre – Vasilina Makovtseva, le cinéaste ukrainien dresse le portrait d’une société russe aveugle et pervertie qui a perdu son âme.

 

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Une femme reçoit un colis renvoyé de la prison où est enfermé son mari sans aucune explication. Depuis l’isba où elle vit au fin fond de la campagne russe, elle va entreprendre le long voyage jusqu’à l’endroit où est détenu son mari. Deux jours de trajets, après lesquels elle sera confrontée à l’absurdité de l’univers carcéral. Elle se trouvera face à un mur et se verra refuser ce même colis plusieurs fois pour la limpide raison qu’il n’est « pas réglementaire ». Elle devra envisager de rester plusieurs jours sur place pour en savoir plus et espérer voir son époux. L’horreur et l’absurdité de l’univers carcéral contaminent la ville autour qui, comme le lui expliquera le chauffeur de taxi à son arrivée, vit grâce à la prison, où « certains se reposent pendant que d’autres travaillent ». Dans cette cité réside une formidable faune de personnages, plus effrayants et charismatiques les uns que les autres.  Une femme à l’air compatissant, Marina Kleshcheva, s’approchera d’elle pour lui proposer une chambre, non sans intérêt. Elle va emmener notre héroïne chez elle et s’occuper « de cette pauvre malheureuse désemparée».


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L’économie de la ville repose donc sur les « touristes obligés » de passage.  L’association des droits de l’homme est qualifiée de fasciste par les locaux, puisqu’ils « bousillent l’économie ». On ne peut qu’y voir la métaphore d’une société russe qui ferme les yeux sur un certain nombre de droits humains au profit de son économie.

 

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L’âme russe est dépeinte à grands coups de clichés traditionnels : les chants, la Vodka… Les restes du communisme sont évoqués, jusqu’au pires dérives d’un peuple qui, pour favoriser son économie est prêt à tout, proxénétisme, alcool… Tout est bon. C’est une plongée au cœur de l’absurde et des vices humains que va subir l’héroïne, jusqu’à cette scène d’apothéose où les protagonistes seront conviés à un banquet, tous habillés de blanc. C’est là qu’éclatera la farce, avec le jugement de la protagoniste principale, digne d’une scène surréaliste à la Boulgakov.

 

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Bien au-delà de la fiction et du drame, Serguei Loznitsa pose un vrai regard politique sur la Russie d’aujourd’hui et sur son peuple, amorphe aux valeurs humaines mais réactif à l’appât du gain. Ce film dresse une sorte de fantôme d’un communisme passé toujours bien présent. La dernière scène nous éclaire sur cette signification, puisque l’on s’éloigne d’un peuple endormi.