« Un portrait très beau et très fort d’une humanité qui atteint toute sa grandeur par la souffrance » Martin Provost à propos de Chien de Samuel Benchetrit, Bayard d’or au FIFF

Photo ©FIFF_barbarabrauns

Martin Provost a présidé le Jury de la 32e Compétition Officielle du FIFF qui vient de s’achever, sacrant Chien de Samuel Benchetrit grand vainqueur avec 3 Bayards, dont l’Or, récompensant le Meilleur Film.

La cérémonie des Bayards vient juste de se terminer. La sérénité de Martin Provost tranche avec le tohu-bohu alentour. Il répond aimablement aux questions en sirotant une bière. Président du Jury cette année, Martin Provost est avant tout un cinéaste aux œuvres singulières comme Séraphine (César du Meilleur film et Meilleur actrice) interprété par Yolande Moreau ou plus récemment Sage Femme avec ces deux grandes comédiennes, Catherine Deneuve et Catherine Frot.

Stéphanie Lannoy : C’est le premier jury que vous présidez ?

Martin Provost : C’est le deuxième, j’ai présidé le jury de Cabourg il y a deux ou trois ans. Ce sont deux festivals totalement différents et la sélection n’est pas du tout la même.

Qu’est-ce que vous avez pensé de la sélection du FIFF cette année ? Elle est très exigeante avec des films pas toujours faciles. Au fur et à mesure des projections je me suis dit que ça n’allait pas être simple de faire un choix, parce que beaucoup de films étaient très bien. Décider ensuite de qui on va récompenser, c’est une responsabilité. Celle du président du jury, ce que j’étais (rires) et je n’aime pas trop ça, mais j’espère avoir mené à bien la barque du jury.

Les films de la sélection sont très différents, ils vont de la fiction au documentaire…  Oui, les films sont tous extrêmement différents. Concernant le documentaire j’étais assez clair. Il aurait fallu un documentaire exceptionnel qui pouvait nous transporter. Je ne dis pas qu’un genre est meilleur que l’autre, mais le travail diffère. Je suis un homme de fiction, je sais ce que cela représente. Il est vrai qu’aujourd’hui on mélange beaucoup le documentaire et et la fiction. Je suis toujours un peu dubitatif à ce propos. On était très contents de remettre le prix de la photographie à Raymond Depardon (Pour son documentaire 12 jours ndlr). On a trouvé que c’était un prix juste, parce que le film est absolument formidable, mais lui donner le Bayard d’Or n’avait pas de sens pour nous. Alors que le reconnaître en tant que photographe et cinéaste prenait tout son sens. Maman Colonelle (documentaire de Dieudo Hamadi ndlr) a reçu le Prix du Jury. On ne sait jamais trop ce que c’est que le Prix du Jury, mais on est quand même tous du même jury et on a voté pour tous les prix (rires). C’est un film aussi très fort, bouleversant et on avait envie de le récompenser.

Avez-vous récompensé le film Chien de Samuel Benchetrit pour les valeurs d’humanisme qu’il propose ? Pas seulement. Aussi pour sa qualité, c’est un très grand film. Il va rester et ce n’est pas toujours le cas. Il m’a tout de suite bouleversé, j’ai éprouvé quelque chose de très profond. Chez les membres du jury c’était un peu plus partagé. Certains ont éprouvé la même chose que moi mais sont beaucoup plus jeunes, n’ont pas la même expérience. J’ai pensé à Thérèse d’Alain Cavalier, à des films comme ça. Un portrait très beau et très fort d’une humanité qui atteint toute sa grandeur par la souffrance. C’est presque un film Christique pour moi. Et je l’ai vu tout de suite. Au fur et à mesure des discussions et des autres films, le jury était d’accord avec moi pour voir que c’était un film complètement à part, même dans sa forme. Il est autant réussi par le fond que par la forme. C’est un film difficile, sublimé par la forme et qui est très accessible grâce au jeu de Vincent Macaigne. Il réunit beaucoup d’ingrédients d’un grand cinéma français comme on n’en a pas toujours. Je me suis beaucoup reconnu dans le film et je crois que je ne suis pas le seul.

De nombreux films de fictions sont très politiques… Je n’ai pas dit pour rien ces quelques phrases de Jean Cocteau tout à l’heure, je pense que c’est plutôt une bonne chose. Parce que la poésie manque dans notre monde et a été énormément remplacée par la publicité. On est dans un monde tellement commercial… La place de la poésie est de plus en plus minime. C’est très agréable de voir la poésie revenir dans le cinéma, le bonheur de raconter des histoires. Pour moi c’est très important. Le cinéma politique a son importance aussi, il est nécessaire, mais il ne faut pas qu’il prenne la place d’un cinéma romanesque, qui nous emporte ailleurs. Et en effet, il y a des traces de cela dans pas mal de films de la sélection. Le film qui rassemble tout cela c’est Chien. Parce qu’il est à part, absurde. Il vous touche et en même temps vous terrasse. Et ça, c’est quand même assez rare au cinéma.

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, FIFF Namur, Octobre 2017

Palmarès du FIFF 2017

Entretien avec Martin Provost pour Sage femme