« La démocratie est un privilège, il faut se battre pour elle » Robert Schwentke, réalisateur de L’Usurpateur

Après avoir débuté au cinéma en Allemagne, Robert Schwentke a connu le succès aux Etats-Unis en réalisant des blockbusters comme Flight Plan avec Jodie Foster ou les deux derniers volets de Divergente. Avec L’Usurpateur (Der Hauptmann) le cinéaste effectue un virage à 90 degrés et plonge dans l’Allemagne du chaos à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Adaptant au cinéma l’histoire fascinante et effrayante de Willi Herold, déserteur s’étant fait passer pour un capitaine de l’armée allemande, Robert Schwentke réalise incontestablement un grand film qui fera date dans l’histoire du cinéma allemand. C’est au Festival du film de Rotterdam que nous avons rencontré ce sympathique cinéaste allemand à l’allure américaine, citoyen responsable aux enjeux du monde actuel.

Stéphanie Lannoy : Pourquoi avez-vous décidé de réaliser un film en Allemagne après plusieurs réalisés aux USA ?   Robert Schwentke : Cette histoire m’a fait revenir en Allemagne car elle ne devait pas être racontée à la manière d’un film américain. Le film devait être allemand, en allemand, avec toutes les nuances de la langue, et à propos de l’Allemagne. La question ne s’est jamais posée. Je souhaitais raconter cette histoire pour diverses raisons. Il fallait juste organiser les choses et trouver le temps pour y parvenir.

Comment avez-vous découvert l’histoire de Willi Herold ? Je cherchais une histoire qui me permettrait de parler de la structure dynamique du national-socialisme (nazisme ndlr). J’ai grandi avec l’idée – que je considère comme un mythe national – selon laquelle la Wehrmarcht était propre. Et en 1989 il y a eu une grande démonstration de preuves photographiques venant des archives russes qui prouvait que l’armée régulière était impliquée dans des génocides, des massacres et autres atrocités. Cela a provoqué un grand scandale en Allemagne. Quand j’ai vu La Chute (de Oliver Hirschbiegel sur la chute d’Hitler ndlr), j’ai eu un grand problème avec ce film car il suggérait que seul un homme avait agit. C’était presque une apologie. Je me suis alors dit qu’il était temps de réaliser un film où l’on voit le 3ème, 4 ème, 5ème rang de ces criminels, en constituer l’histoire et la raconter de leur point de vue. Si vous la racontez de leur point de vue, la proposition pour le public est très signifiante et diffère d’un film où le spectateur peut s’identifier au personnage. Comme un personnage moral qui donne sa voix à ce que nous aimerions avoir dit. Nous aimerions tous avoir été braves, avoir fait face, mais le fait est que ce n’est pas le cas ! (rires). Je recherchais activement une histoire qui me permettrait d’assembler tous ces éléments. Je savais que cela devait être une histoire vraie car je ne pouvais pas la créer moi-même. J’avais besoin d’un fait réel que je pourrais traiter comme un adversaire. Que je puisse interpréter, challenger, sur lequel je puisse m’énerver et utiliser pour mes propres objectifs. J’ai trouvé plusieurs récits mais ils ne convenaient pas bien. J’ai ensuite trouvé l’histoire de Herold qui remplissait mes conditions. Cette histoire me permettait aussi de m’intéresser aux différents niveaux de la machine, d’en bas, du soldat de base jusqu’au General.

C’est aussi une question de point de vue… En Allemagne il existe seulement deux films réalisés du point de vue des criminels. Et les deux parlent des criminels de premier plan. Je voulais faire un film comme Lacombe Lucien (de Louis Malle ndlr) qui montre le côté opportuniste, criminel, pathologique des gens qui alimentent le système et le maintiennent en vie. Ils ne l’ont pas créé, n’en ont pas inventé les lois ni les règles, mais en sont les chevilles ouvrières.

Peut-on qualifier votre film d’analyse du comportement humain dans des conditions extrêmes ? C’est une analyse de multiples choses. L’analyse des circonstances nécessaires pour qu’un massacre se produise. Cela signifie qu’il y a certaine rhétorique. En diabolisant les gens dans les baraquements, en y faisant uniquement allusion en tant qu’insectes, que cafards. Il y a la somme de toute l’éthique judéo chrétienne qui nous entoure. Je ne suis pas religieux mais j’ai grandi dans un environnement judéo-chrétien où c’est une affaire de tuer un être humain. Ici vous pouvez oublier ça, tuer est ok parce que ce ne sont plus des êtres humains, nous les avons déjà déshumanisés. Et bien sûr, l’illégal doit devenir légal. Peu importe le crime que vous perpétrez, vous ne pouvez pas être légalement responsable puisque c’est permis. Si vous parlez d’analyse du comportement humain sous certaines conditions, oui bien sûr, Mais ! Le film n’est pas une tragédie au sens classique ou au 3e acte le roi meurt. Cela n’est pas inévitable. Cette tragédie-ci pouvait être évitée. La seule chose qu’il fallait est que quelqu’un dise stop. Mais chacun s’en est accommodé pour différentes raisons. Il existe tout un spectre de personnages. Nous avons un personnage idéologiquement motivé qui veut toujours faire ce qui est juste, l’un qui est possiblement un sadique et certainement un criminel. L’autre qui n’a pas le cran pour affronter ce dont il est témoin et clairement lutte contre. Et vous avez un gars qui est au centre de tout ça et dont le but premier est de survivre. Et survivre est essentiel, tout le reste est secondaire.

Comment avez-vous choisi Max Hubacher pour le rôle de Herold ? Lorsque j’ai terminé Divergente, on a fait un grand casting. Je suis allé en Allemagne et j’ai vu tous les acteurs de cet âge. Ils étaient tous très bons mais Max était le meilleur. Je suis revenu plus tard après la saga parce qu’à cet âge tout change tellement et si vite. J’ai voulu le revoir et il était clairement la bonne personne. Nous avons beaucoup travaillé ensemble. Beaucoup répété, nous avons beaucoup et constamment échangé des idées.

Etait-ce nécessaire pour vous de montrer cette violence telle qu’elle est ? Nous ne montrons pas toute la violence et elle n’est pas explicite. Vous pouvez voir des choses beaucoup plus gore le dimanche à 20h a la TV. Vous devez montrer la violence, la façon dont les victimes meurent sans quoi vous les trahissez. Si vous faites un film sur le fascisme ce n’est pas pour faire un film de divertissement.

Pourquoi avez-vous choisi de tourner en noir et blanc ? Il y a une anecdote à ce propos. Michael Powell, un grand réalisateur, a vu un test de tournage de Raging Bull de Martin Scorsese tourné en couleur. Michael Powell était le maitre de la couleur au cinéma. Il y a beaucoup réfléchi ainsi qu’à la manière de créer une image. Il a dit à Martin Scorsese qu’il ne pouvait pas tourner ce film en couleur parce que s’il le faisait, les gens s’enfuiraient à cause du sang. Ils ne seraient pas capables de regarder ce film. S’ils restaient ils ne seraient pas capables de voir l’histoire derrière qu’il essaie de faire. Pour lui, Scorcese essayait de raconter une histoire sur des personnes, pas sur le sang, une histoire au sujet d’un homme violent. Scorcese a donc suivi ce conseil que j’ai également suivi (rires).

Dans votre film il y a aussi un plan en couleur… J’aime l’idée que les gens voient ce film sans savoir qu’il s’agit de faits réels, il n’y a qu’une image en couleur. Vous vous dites « oh mon dieu cela pourrait être arrivé ». A la fin du film il y a cette petite légende. Ce que j’aime, c’est que cela vous amène en un éclair à repenser tout le film. Cela vous prend un moment pour réaliser ce que vous regardez. Lorsque vous comprenez de quoi il s’agit vous commencer à repenser au début du film pour un moment. J’apprécie aussi l’idée qu’alors que vous pensez le film terminé, une autre partie du film débute. Aux USA J’ai montré le film à quelques-uns de mes amis réalisateurs et tous ont critiqué le choix de placer ce plan en couleur à ce moment-là. Ils expliquaient être plongé dans le récit et me demandaient pourquoi je les en rejetais. Mais c’est là toute l’idée : je ne veux pas que vous y soyez plongés je veux vous en sortir. C’est là toute l’approche Brechtienne. Vous avez besoin de distance, de contempler et de réfléchir, et cela fonctionne.

Le générique de fin est aussi très effrayant, voulez-vous alerter les gens ? Je veux alerter les gens et les faire réfléchir. Qu’arriverait-il si une voiture remplie d’hommes armés jusqu’aux dents en sortaient s’approchaient de vous et vous demandait de montrer vos papiers ? Nous devons réellement commencer à réfléchir avec nos esprits occidentaux démocratiques à savoir comment dealer avec des barbares. Et je veux être très clair là-dessus : Le pouvons-nous ? Quelqu’un comme Trump a un tel mépris pour le processus démocratique, comment dans une démocratie faites-vous face à cela ? Bien sûr une démocratie peut se défendre elle-même. En Allemagne après la république de Weimar nous nous sommes assurés que la constitution puisse s’auto-défendre. Mais vous devez juste utiliser les outils pour cela. Et cela dépend des gens. Ce que je ressens c’est que nous nous sentons parfois trop en sécurité. La démocratie est un privilège et il faut se battre pour elle.

Quelles sont vos influences ?  Je suis un grand fan de Bunuel. Mon réalisateur préféré est Jacques Rivette, je regarde souvent ses films. Je suis aussi un grand fan du cinéma japonais, Shohei Imamura, Nagisa Oshima, Ozu, MIzoguchi… Parmi les films européens Elia kazan, Antonioni, les habituels. Je n’ai pas vraiment grandi avec le cinéma americain mes deux films favoris sont 2001 L’Odyssee de l’Espace (de Kubrick ndlr) parce que cela nous montre ce que le cinéma peut être. Et comparé à Kagemusha, L’Ombre du guerrier (de Kurosawa ndlr) tout ce qu’on peut réaliser semble ridicule.

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, IFFR, Rotterdam, 2018

L’Usurpateur, Critique