Lauréate du Magritte de la Meilleure Actrice pour La Route d’Istanbul de Rachid Bouchareb l’an dernier, Astrid Whettnall est cette fois engagée en politique à travers le personnage de Véronique Bosso, fervente dunkerquoise dans la série Baron Noir, dont la 2e saison est actuellement diffusée sur Be tv. 2018 sera une grande année cinématographique pour cette actrice qui enchaîne les projets ambitieux : on la verra dans Territoires de David Oelhoffen avec Reda Kateb et Matthias Schoenaerts et dans une comédie de Rémi Bezançon (Le Premier Jour du Reste de ta Vie) avec Fabrice Lucchini et Camille Cottin. La classe des grandes actrices avec en plus la simplicité et la chaleur d’une vraie Bruxelloise, rencontre avec une comédienne joyeuse et passionnée par son métier.
Stéphanie Lannoy : Comment êtes-vous arrivée sur l’aventure de Baron Noir ? Astrid Whettnall : C’est une histoire un peu folle ! Rachid Bouchareb cherchait une comédienne pour jouer dans La Route d’Istanbul. Ziad Doueiri (réalisateur de Baron Noir et dont Rachid Bouchareb a produit le film L’Insulte ndlr) lui a conseillé de regarder dans le coffret des Césars, car il m’avait vu l’année précédente dans Au Nom du Fils de Vincent Lannoo. C’est comme ça que j’ai rencontré Rachid. Deux mois avant que je parte tourner son film en Algérie, Ziad m’a proposé de venir tester un rôle tout en me précisant que ce ne serait pas moi qui l’obtiendrai car je ne correspondais pas à ce qu’ils recherchaient. C’est comme ça que j’ai passé une audition sans savoir que j’en passais une. J’ai été prise le soir même et dès que j’ai fini de tourner en Algérie j’ai commencé à tourner à Dunkerque deux mois plus tard.

Qu’avez-vous pu lire du scénario de la série à ce moment là ? Les deux premiers épisodes que j’ai trouvés brillamment écrits. Il y avait un vrai sujet, des enjeux humains et de bons dialogues. J’ai aimé cette plongée dans les arrières coulisses de la politique. J’avais regardé le long-métrage de Ziad Doueiri, The Attack (L’Attentat ndlr), que j’avais trouvé super et je savais qu’en plus son chef opérateur Tommaso Fiorilli participait. En plus une chaîne Canal+ et des producteurs qui prenaient des risques, c’est une vraie prise de risque de faire une série basée sur la politique. Même House of Cards utilise des crimes, des histoires d’amour et j’adore cette série mais ici on ne sort pas du tout de la politique. Si on est fan, on est nourri par intraveineuse de politique pure et dure et si comme moi, on n’y connaît pas grand-chose, on apprend beaucoup. Ca m’a éveillé une conscience politique que j’avais moins avant, mais ce sont surtout des destins humains que l’on suit.
Comment avez-vous appréhendé votre personnage, Véronique Bosso, une femme très politique ? C’ est vraiment la femme politique pour laquelle je rêverais de voter. Elle est aussi très humaine. Quand l’histoire commence elle est avec les habitants de Dunkerque en train de se battre pour eux, pour sa mairie. C’est quelqu’un de très loyal au caractère très affirmé qui vient d’un milieu populaire. Elle est intelligente mais a surtout un engagement pour des valeurs humanistes extrêmement fortes. Ca la pousse dans tout ce qu’elle fait. Elle ne déroge jamais à son engagement, c’est une femme de parole donc j’ai travaillé sur quelle femme elle était, battante, courageuse. Ensuite j’ai évidemment beaucoup regardé de discours pour voir comment les hommes politiques s’expriment à une conférence de presse ou face un journaliste en privé.
Comment définiriez-vous sa relation avec le Baron Noir, Philippe Rickwaert ? C’est une grande amitié. Ils ont commencé la politique ensemble, ils sont dunkerquois et étaient sans doute à la même école. Elle admire énormément l’animal politique. Même si Philippe Rickwaert ne renie jamais ses idéaux, il fait parfois des arrangements peu glorieux pour arriver là où il doit aller. Véronique Bosso n’irait jamais par là mais elle lui est tellement fidèle qu’elle est prête tout un temps dans la saison Une, à l’aider à masquer ses petites erreurs, jusqu’au moment où il va trop loin. C’est une femme extrêmement intègre qui évolue magnifiquement, elle va de Dunkerque à l’Élysée.
Baron Noir est une série qui fait la part belle aux femmes… L’écriture de la série a commencé il y a plus de quatre ans, bien avant tout le mouvement féministe médiatisé qu’on connait maintenant. Les personnages féminins sont écrits exactement de la même manière que les personnages masculins. Ce sont des êtres humains avec la même intelligence, la même passion, la même ambivalence, les mêmes paradoxes, la même rage. Ce sont des personnages totalement égaux et je trouve ça génial.

Comment est-ce de jouer un personnage de série qui revient au fil des saisons, c’est différent d’un film ou du théâtre, qu’en retirez-vous ? Ce fut une découverte ! C’est comme quand on a un premier rôle, on a le temps de faire un long chemin avec son personnage, de la voir évoluer beaucoup plus. Elle nous surprend, évidemment, on s’y attache comme aux autres protagonistes. Ce sont des relations qui deviennent vraiment très profondes et puis surtout, on peut y aller par petites touches, c’est un luxe, moi j’adore ! (rires).
Est-ce qu’une proximité se crée forcément avec les autres comédiens ? On a passé 2 fois 6 mois de vie ensemble. Un an c’est beaucoup dans une vie et là on va de nouveau avoir six mois de tournage. On a de la chance, les producteurs sont des gens bienveillants, très humains et professionnels qui ont rassemblé une équipe où règne presque une ambiance de plateau de théâtre. On a vraiment un sentiment de troupe, de compagnie, ce qui est rare. C’est la famille « Baron Noir ». Quand des gens viennent pour un ou deux jours de tournage ils sont vraiment accueillis.
Comment est-ce de jouer avec Kad Merad ? Il est drôle ! (rires). Je savais que c’était un bon acteur mais son interprétation de Philippe Rickwaert m’a bluffée. Il créé un personnage avec tellement de couches, une sympathie au premier abord, ce côté humainement sympathique qu’on aime de Kad Merad dans tous ses rôles et derrière il y a une intelligence, une rapidité, un animal politique. Il peut être féroce, menaçant, faire peur, être dangereux. J’étais épatée par sa palette de jeu, elle est grandiose.
Vous vous rapprochez du personnage d’Anna Mouglalis dans la saison deux… C’est la grande classe. Elle est cool, rock ‘n’roll elle pourrait être belge ! Elle fait extrêmement attention à toutes les personnes sur le tournage. Dans le jeu, tous les deux sont pareils, ils sont très généreux et sont là pour jouer avec vous. On construit vraiment les scènes ensemble et c’est agréable.
Concernant la réalisation, la caméra est très mouvante, elle suit toujours les personnages de près, comment se passe la mise en scène ? Ziad se fout que ce soit une série politique, il veut juste que les gens soient passionnés par une histoire. Il ne veut pas de champ-contrechamp classique avec juste du texte. C’est pour cela qu’on est tout le temps en mouvement. On commence une scène on marche dans la rue, on continue le dialogue on est dans un endroit et on le finit dans une voiture. On est en mouvement perpétuel. Ziad a été le Chef Opérateur de Tarantino sur plusieurs films, il a été élevé à l’américaine par rapport à la caméra. Avec son chef Tommaso Fiorilli ils filment beaucoup au Steadicam.

Vous impose-t-on beaucoup de contraintes lors des mises en place avec la caméra, vous sentez-vous libre dans votre jeu ? Au départ j’étais un peu inquiète parce que souvent quand il y a des Steadicamers il faut faire attention au point. Ici ils sont tellement professionnels que je n’ai jamais dû faire attention. Quand on fait une répétition, le réalisateur nous demande de jouer, on en fait deux, trois, le temps qu’on ait trouvé les marques des comédiens. Il fait venir le Steadicamer et le chef opérateur et voit les mouvements de caméra. On refait la scène avec les mouvements de caméra, la lumière installe le plateau et on tourne. Cela part toujours des comédiens et du jeu.
Est-ce cette manière de tourner qui insuffle l’urgence du récit ? Je suis certaine que ça donne une urgence, et c’est aussi lié à la qualité des dialogues, de la direction d’acteurs. Le réalisateur Ziad et Antoine Chevrollier (qui réalise aussi Le Bureau des Légendes et a réalisé 3 épisodes de la saison 2 de Baron Noir alors que Ziad Doueiri se préparait avec The Insult pour les Oscars ndlr), sont tous deux de très bons directeurs d’acteurs extrêmement précis. Ce qui fait aussi la qualité de la série c’est que les petits rôles et même les figurants sont excellents. Lorsqu’il y avait des scènes avec 300 figurants dans l’Assemblée Nationale et alors qu’on avait tourné toute la nuit et que tout le monde commençait à ranger à 4 heures du matin, Ziad allait serrer la main des 300 figurants pour les remercier. Il expliquait à chaque fois entre les prises tous les enjeux de la scène aux figurants pour qu’ils jouent avec nous.
Ils se sentent plus impliqués… Oui et pour certaines scènes la caméra suit un figurant et pas la personne qui parle parce que le figurant est dément ! Il y avait des conseils d’administration à Dunkerque où certains figurants, furieux, prenaient vraiment à cœur la situation. Cela donne ce côté qualitatif qu’ont les films anglo-saxons et américains où tout le monde sait ce qu’il fait sur un plateau. On ne se rend pas compte mais notre cerveau assimile tout ça et c’est très juste.
A quel moment vous êtes-vous rendu compte du parallèle entre cette série et le réel ? Très tôt déjà. Le grand enjeu pour les deux scénaristes Eric Benzekri et Jean-Baptiste De Laffont au début était qu’ils devaient écrire la saison deux pendant l’entre-deux tours, ils ont donc dû adapter un petit peu. Il était impossible de voir « En Marche » arriver, mais dès que ça s’est produit ils ont adapté. Puis Macron est arrivé au pouvoir mais on avait déjà commencé à tourner.
Ils ont écrit un peu avant… Oui ça a été écrit avant mais il y a eu de légères adaptations. Eric Benzekri est passionné par la politique, il a travaillé au parti socialiste et connaît très bien l’animal politique. Il a mis toute sa passion dans le personnage de Rickwaert qui est un sublime héros. C’est vraiment un personnage qui veut changer le monde, qui se bat pour les gens et puis qui n’a pas le choix pour pouvoir arriver à ses fins. Et je trouve que cette série transcende la politique. Elle ne nous cache rien. Ni les mésalliances qu’on est obligé de faire, les coups tordus, les petites entorses même avec la loi, ou avec des amis, ou avec les médias parfois, mais en même temps elle nous prouve que la politique est essentielle. Que n’importe quel être humain qui se lance au départ en politique est quelqu’un qui a des passions des engagements très forts, une envie de changer le monde pour ses concitoyens, que ce soit de gauche ou de droite. Au fur et à mesure que l’on monte dans l’appareil politique ensuite les directions peuvent varier.
Il montre aussi que c’est une caste, on observe de nombreux « petits arrangements entre amis »… Oui ce sont des accords, des alliances… Mais ce sont des personnes qui se servent de la politique pour servir les gens. De nos jours on a une image très négative de la politique. Bien sûr il y a des partis qui s’effritent, les hommes politiques se sont pris des scandales dans la figure avec les réseaux sociaux. Il n’y a plus vraiment de partis politiques, et beaucoup de monstres de la politique ont été poussés à la retraite, les gens sont un peu perdus. Avant je votais parce que en Belgique qu’il faut voter par devoir mais en même temps je n’étais pas tellement persuadée de l’efficacité de mon vote.
En interprétant la vie d’une politicienne vous vous êtes posé la question des enjeux ? Oui et en lisant des textes. Surtout dans le cas du personnage de Véronique Bosso, intègre, loyale, qui se bat tout le temps pour son idéal socialiste. On est bien tous d’accord que certaines choses ne vont pas bien dans notre société. Je n’avais pas cette clairvoyance avant qui est que, si l’on veut changer les choses, les réseaux sociaux, les manifestations dans la rue ou individuellement c’est très bien, mais pour vraiment changer le monde de demain je crois effectivement que c’est en étant solidaires, en se rassemblant et en élisant quelqu’un qui nous représente, pour que cette personne-là face des lois qui pourront protéger nos valeurs fondamentales démocratiques. Si on ne le fait pas quelqu’un d’autre prendra la place.
Finalement la fiction rejoint la réalité… Cette série est extrêmement proche de la réalité c’est ça que je trouve génial et en même temps extrêmement cinématographique parce qu’on est complètement pris par l’histoire, par l’émotion. Il y a une tension, une adrénaline, un suspense. Si la politique ne nous représentait pas ce serait la barbarie. Je me rends compte aussi que si l’on ne dit rien, un peu comme je le faisais, on laisse la place aux gens qui ont des intentions très loin des nôtres avec des valeurs et des idéaux qui sont très loin de ceux que l’on voudrait donner plus tard à nos enfants.
Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Bruxelles, 2018.
Baron Noir Saison 2, La Critique!
Entretien avec Ziad Doueiri pour L’Insulte, sélectionné aux Oscars 2018