Après Une Vie, drame d’époque romantique, Stéphane Brizé retrouve les thèmes sociétaux contemporains qu’il développait dans La Loi du Marché pour s’y attaquer au corps à corps. Sur un scénario co-écrit avec Olivier Gorce, le cinéaste livre dans En Guerre une analyse brutale de notre économie mondialisée.On y retrouve Vincent Lindon, lauréat du Prix d’interprétation Masculine au Festival de Cannes 2015 et César du Meilleur acteur pour son rôle dans La loi du Marché, éblouissant et combatif comme jamais. Le film est présenté en Compétition Officielle au Festival de Cannes.
Malgré de lourds sacrifices financiers engagés par les salariés de l’usine Perrin Industrie et des bénéfices d’entreprise records, la Direction décide de fermer le site. Accords bafoués, promesses non respectées, les 1100 salariés refusent cette décision et se battent pour sauver leurs emplois et leur usine, menés par Laurent Amédéo, porte-parole et délégué syndical qui mène les négociations. Aux côtés de Vincent Lindon, on trouve de nombreux acteurs non professionnels, comme c’était déjà le cas dans La loi du Marché. Citons la convaincante Mélanie Rover (Mélanie), fidèle syndicaliste qui met sa vie en pause dans l’espoir d’une vie meilleure.
Les employés sont confrontés à l’incommunicabilité, l’impossibilité de parler à quelqu’un au sein de l’entreprise qui appartient à un groupe international et dont le patron est en Allemagne. Stéphane Brizé dresse aussi à travers cette fiction le terrible constat du politique, qui, tels des hommes de paille dépassés par l’économie et les fermetures d’usine, annoncent leur soutien aux ouvriers, mais au fond se montrent totalement impuissants.
Chez Stéphane Brizé le langage cinématographique fait toujours sens. Cette fois encore, il adapte sa mise en scène au sujet, au contexte, et ne craint pas d’exploiter la narration cinématographique dans toutes ses possibilités.
Le cadrage serré envisage ainsi toujours le groupe, les personnages ne seront jamais isolés. C’est bien le collectif ici, l’humain que l’on évoque. Durant les manifestations ouvrières la caméra se perd presque dans le mouvement créant une image parfois abstraite, dont il ne subsiste parfois que des couleurs, relatant le chaos, la foule. Le cinéaste joue aussi sur la durée des séquences. On assistera ainsi à un affrontement entre manifestants et policiers filmé de très près, une situation étouffante et dangereuse impliquant les personnages. Le cinéaste incite le spectateur à éprouver la violence extrême de la scène en laissant sa durée à l’action. Il nous implique en nous faisant ressentir la réalité du drame et sa violence.
L’histoire du film est régulièrement entrecoupée par les reportages d’informations télévisées sur les grèves vécues par les personnages. Ces séquences médiatiques synthétisent et sélectionnent des informations sur l’évolution les grèves. Ces reportages considèrent les faits d’un seul point de vue choisi, un axe niant la complexité de la dramatique situation des employés de l’usine. Le spectateur, lui assiste en direct à la globalité des faits et peut en tirer ses conclusions.
La Caméra, proche des protagonistes, assume le statut de témoin. Durant les réunions syndicales elle se pose en spectatrice, comme nous, mouvante, nerveuse à l’extérieur d’un groupe dont on voit certains personnages de dos. Le cinéaste utilisera même le format rectangulaire d’une caméra de téléphone portable, toujours comme témoignage, filmé par un inconnu.
Le film se déroule dans une atmosphère très tendue, agrémentée d’une musique sourde et mécanique presque abrutissante de Bertrand Blessing, qui accompagne la machine de la mondialisation qui broie l’humain, figure du film.
Un bon film est souvent celui qui nous trotte dans la tête, nous pousse à réfléchir et ne nous lâche pas de si tôt après sa projection. En Guerre, établit un constat trash, dur, brutal et nous pousse à réfléchir sur notre société contemporaine et la mondialisation où l’homme est broyé.