Terry Gilliam livre ses secrets de fabrication lors d’une Master Class au BRIFF

Œil mutin, ensemble en jean et tunique africaine, calé dans des birkenstocks, Terry Gilliam débarque le sourire aux lèvres ce 21 juin sur la scène de Flagey avant de s’effondrer, bras ballants dans le fauteuil qui l’attend. Rien à faire, cette pointure du cinéma et ex-Monty Python fait le show, sincèrement, rire tonitruant à l’appui. Le cinéaste offrira aux professionnels une Master Class digne de ce nom en livrant généreusement ses secrets de fabrication. Evénement à l’initiative de l’ARRF (l’Association belge des Réalisateurs & Réalisatrices de films) et du BRIFF.

Flash-back sur la carrière du maître avec les génériques en papier découpé qui ont fait sa marque de fabrique, comme les affiches, sorte de territoires personnels qui ont scellé son style. Ce personnage atypique né dans le Minnesota qui a demandé à être destitué de la nationalité américaine dans les années 2000, se dit ravi d’être en Belgique, pays des débuts du surréalisme, courant dont on l’imagine aisément se sentir cousin.

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Côté scénario, Terry Gilliam explique son processus d’écriture en mimant une main accrochée à son cerveau, que quelque chose l’attaque la nuit, une idée à développer. S’il place souvent ses récits lors d’époques comme le Moyen Age, ce dont il essaie de parler dans ces films est bien le monde dans lequel nous vivons. Il est plus facile selon lui de faire rire les gens en prenant du recul sur la réalité. Il illustre ainsi son amour pour le Moyen Age, où règne la simplicité des statuts des personnages : roi, princesse et chevalier… Depuis que le roi est tombé le monde s’est complexifié, il est beaucoup plus difficile de savoir qui est l’ennemi. Se plaignant des politiques actuelles aux USA, il déclare au passage avec humour vouloir attaquer Trump en justice pour son remake illégal de son film Brazil.

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Humble, il se juge moyennement doué en écriture de dialogues et souligne l’importance de bien s’entourer, conseil qu’il avait transmis à Quentin Tarantino lors de l’écriture de Reservoir Dogs sans imaginer quel phénomène allait devenir ce projet. Les idées principales sont les siennes et servent de base de travail. Ses collaborateurs amènent ensuite les leurs et son rôle consiste alors à filtrer toutes ces nouvelles idées. Etre réalisateur implique de connaître tous les postes, comme pour imaginer les effets spéciaux qu’il souhaite invisibles. Il a beaucoup lu, dialogué avec de nombreuses personnes et dès lors, il sait que ce qu’il demande est certes parfois difficile, mais pas impossible.

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Dans la recherche des acteurs qui vont incarner les protagonistes de ses films, Terry Gilliam privilégie la surprise
. Il a bien sûr une idée de la personne recherchée, mais au final, le ou la comédienne qu’il découvre ne correspond jamais à ce qu’il imaginait. La relation humaine est primordiale comme avec Jean Rochefort qui n’avait pas pu achever le tournage de Don Quichotte, personnage qu’il incarnait au départ. Même si l’instinct guide souvent ses choix, l’humeur, l’intelligence et le don sont des éléments essentiels dont doivent être dotés ses collaborateurs comédiens.
Adam Driver porte véritablement L’homme qui tua Don Quichotte et ne ressemblait effectivement pas à l’acteur qu’il imaginait au départ. Le cinéaste ne voyait pas en lui un leader ou un acteur exceptionnel. Pour Joana Ribeiro la situation était similaire. Il lui a accordé sa confiance par instinct, « autour d’une tasse de café ».

Terry Gilliam aime faire jouer ensemble des stars et des débutants
. Il insiste sur l’importance de « Dinner, get drunk and having fun » : dîner, boire et s’amuser, pour devenir plus intime avec ses comédiens, sa botte secrète. Pour lui la clé ce sont vraiment les acteurs. Il ne souhaite pas diriger à proprement parler. Lui crée « l’aire de jeu » et la sécurise, afin qu’ils puissent y jouer et s’amuser. Il ne souhaite pas contrôler mais supporter, aider à créer l’atmosphère nécessaire et regarder en confiance. Il observe sa propre réaction pour prévoir celle du public. Dans le cas de scènes importantes, il privilégie des story boards. Un dialogue se crée entre son œil et sa main, comme déconnectés l’un de l’autre qui devient intéressant. En dessinant, les idées se précisent et précèdent le texte. Il ne veut surtout pas copier les films existants et préfère laisser s’exprimer son inconscient, se référant parfois à des œuvres picturales.

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En montage le cinéaste conseille de laisser dans un premier temps le monteur assembler l’Ours (un premier montage grossier du film). Il a pris l’habitude de tester les montages comme il le faisait pour les pièces des Monty Python afin de voir la réaction du public. Il pose ainsi des questions aux quelques spectateurs sollicités et retourne en montage affiner son film. Il insiste encore sur le fait qu’il faut écouter les gens, pas seulement les professionnels et les amener au point de confiance qui leur permettra de dire ce qui ne leur a pas plu au réalisateur, moment toujours un peu délicat.
Côté son, il cherche à ce que cet élément rende la réalité de l’histoire. Il travaille d’abord sans musique au montage. Sa démarche tend vers une musique thématique et chaque protagoniste se voit attribuer un thème.

Le prochain projet de Terry Gilliam est de réaliser Mr. Vertigo avec Ralph Fiennes dans le rôle-titre
. Mais après s’être rendu à Cannes afin de chercher des financements, Terry Gilliam s’est aperçu que Ralph Fiennes en premier rôle ne convainquait pas les producteurs. Il se dit une nouvelle fois piégé. Pour l’heure, L’Homme qui tua Don quichotte qu’il aura mis 25 ans à réaliser, sortira dans les salles belges le 25/7.

Master Class du 21 juin 2018 à Flagey, dans le cadre du BRIFF