Grâce à Dieu de François Ozon, une courageuse fiction documentée

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Ours d’Argent au dernier festival de Berlin, Grâce à Dieu est un film polémique. Sa sortie a bien failli ne pas se faire, car le film est produit alors que le procès n’a pas encore eu lieu. Question délicate s’il en est de réaliser une œuvre « inspirée de », mais qui prend franchement position avant que la justice ne se soit prononcée, alors que l’œuvre risque d’influencer le verdict. A l’heure actuelle l’instruction judiciaire est en cours, aucune date de procès n’a encore été fixée. François Ozon quitte le registre des comédies au ton léger (Potiches, Huit femmes) pour se confronter à un récit plus sobre dont beaucoup d’éléments sont inspirés de faits réels et notamment basés sur des témoignages. Il s’agit d’une enquête que l’on va suivre avec toute la tension qu’elle suppose.

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Alexandre, Melvil Poupaud, vit à Lyon avec sa femme et ses cinq enfants. Il découvre un jour que le père qui a abusé de lui lorsqu’il était petit, officie toujours entouré d’enfants. Il va alors batailler, bientôt rejoint par d’autres victimes de ce même homme de Dieu, dans l’espoir que cela cesse et que la parole des victimes puisse enfin se libérer.

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François Ozon a découvert le site de l’association « La parole libérée », et rencontré le fervent catholique Alexandre, qui lui a confié ses lettres. Le récit est d’ailleurs beaucoup construit en voix-off par divers courriers des protagonistes qui se répondent. Suite aux témoignages recueillis et lus, le cinéaste a d’abord eu l’idée de réaliser un documentaire. Devant les réactions des vrais protagonistes lassés des interviews, il a choisi de s’orienter vers ce qu’il sait faire, la fiction. L’histoire est donc très proche des témoignages recueillis. La parole des victimes ne peut se libérer qu’après de longues années, et pour beaucoup, comme pour Alexandre, la prescription des faits est réelle. Ozon montre à travers ses personnages des vies plus ou moins bouleversées par ce traumatisme subit pendant l’enfance. Le rangé Alexandre, l’enjoué François, Denis Ménochet, et le fragile Emmanuel, Swann Arlaud (Entretien), vont oser extérioriser ce qui s’apparentait à de la honte. Avant cette association « des abusés », chacun est immensément solitaire avec sa douleur. Familles, institution catholique, personne ne souhaite vraiment écouter et remettre en question l’impensable face à un homme de Dieu. A chacun de se débrouiller avec sa foi…

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Le récit prend place dans la ville de Lyon, personnage central du récit. Le point de vue sur la ville épousé par le cinéaste est extrêmement signifiant. Envisagée par des plans d’ensemble dès le début du film la ville est scindée en deux « étages » géographiques. La Basilique surplombe une ville dominée et c’est comme cela que François Ozon pose son histoire. A travers ce point de vue affirmé, le diocèse de Lyon règne sur cette ville basse. Ceci d’autant plus que le film nous montre une bourgeoisie catholique de la ville profondément liée au clergé, dans tous ses aspects, commerce, politique. On notera de superbes images, notamment du religieux, les reliques, les dorures, etc. du chef opérateur belge Manu Dacosse, qui collaborait déjà avec le cinéaste sur L’Amant Double.

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Cette œuvre raconte des faits d’agressions sexuelles envers des enfants devenus adultes, dont les témoignages sont difficiles à entendre. Ozon ne sombre jamais dans le voyeurisme par la sobriété de sa mise en scène. On reviendra très peu dans le passé, juste en filigranes par quelques inserts. Au-delà de cela le prêtre incriminé Bernard Preynat, Bernard Verley, présenté comme malade reconnaitra toujours les faits face à ses victimes. Choisir de montrer précisément ces scènes où le bourreau avoue, le reconnaître malade, lui ôte quelque part sa responsabilité d’homme. Le responsable désigné devient alors le Cardinal Barbarin, François Marthouret, à travers lui le Diocèse de Lyon, le Vatican, et par extension l’Eglise Catholique dans son ensemble. C’est ici l’irresponsabilité de l’Eglise envers les prêtres pédophiles qui est visée. Les hommes de Dieu coupables étaient simplement déplacés lors du constat de pédophilie, et ce depuis plus de 30 ans.

Entretien avec Swann Arlaud

NB :  Le 3 août 2018, la prescription est passée de 20 à 30 ans à partir de la majorité des victimes. Et la non dénonciation d’actes sexuels sur mineurs est dorénavant considérée comme un délit continu. Du côté de l’Eglise, invoquant la « présomption d’innocence » le pape a refusé la démission du Cardinal Philippe Barbarin, Archevêque de Lyon (mars 2019).