On fait difficilement plus italien que le cinéaste Nanni Moretti, Palme d’or du Festival de Cannes 2001 avec La Chambre du fils, dont l’oeuvre respire l’Italie profonde. Le titre de son documentaire Santiago, Italia interpelle et crée d’emblée le lien entre le Chili et l’Italie. A travers ce film le cinéaste rappelle la main tendue par l’Italie aux dissidents politiques chiliens brimés suite au coup d’état militaire de 1973 mené par le général Pinochet, signant la chute d’Allende. L’Italie était le seul pays européen à ne pas avoir reconnu la prise de pouvoir par la junte qui arrachait alors le pouvoir à Salvador Allende, pourtant démocratiquement élu.
Santiago, Italia est un choc. Nanni Moretti a pour habitude de jouer dans ses œuvres, et c’est lui que l’on découvre, observant un panorama de la ville de Santiago contemporaine. Le cinéaste s’efface alors devant les témoignages qui amèneront des images d’archives de l’époque d’Allende. Témoins nostalgiques d’une époque d’unité populaire remplie d’espoir de justice sociale, de bien-être et de renouveau, les témoins se succèdent, comme des cinéastes, Patricio Guzman, des avocats Carmen Hert, des journalistes, des ouvriers… Les faits historiques nous sont alors donnés à voir. L’accession au pouvoir d’Allende démocratiquement élu, et l’enchaînement des faits, la spirale néfaste sous l’influence des USA, à la mise en place de ses réformes, jusqu’au bombardement du palais présidentiel La Moneda, par l’armée et la mort suspecte du chef d’état, qualifiée de « suicide ».
Mais le plus surprenant dans les témoignages d’opposants à ce putsch, est que l’on s’aperçoit que ceux qui racontent aujourd’hui ont échappé à une mort certaine. Moretti nous raconte comment tous les sympathisants d’Allende ont été torturés et exterminés. Comment le stade de la ville a accueilli des prisonniers, comment la villa Grimaldi est devenue un endroit où l’on s’occupait des « disparus ». La police de l’époque tenait un discours calibré aux familles qui cherchaient désespérément leurs proches. Les témoignages sont difficiles à entendre, comme celui de Marcia Scantlebury qui raconte ses inimaginables séances de tortures. Moretti montre tout ce que ces innocents ont subi.
Et par le plus beau des surréalismes, les témoins racontent comment ils se sont un par un réfugiés dans l’ambassade d’Italie à Santiago, en attendant un avenir meilleur. Dans un geste courageux, l’Italie a sauvé et accueilli ces innocents, qui plus tard se sont parfaitement intégrés à la vie locale en redémarrant leur vie à zéro, acceptant souvent un travail d’ouvrier malgré leur spécialisation de carrière.
Dans ce documentaire remarquable, Moretti montre comment l’Italie a donné leur chance à ces Chiliens qui ont deux pays mais se revendiquent profondément italiens. En montrant la dramatique histoire vécue par chacun des personnages qui étaient promis à la mort, le cinéaste humanise et universalise la figure du réfugié et combat la peur des migrants que nos frileuses sociétés contemporaines tentent de construire avec la montée des extrémismes.