On peut prédire des frères Fabio et Damiano D’Innocenzo, jumeaux dans la vie, un grand avenir cinématographique. Frères de sang est leur premier long métrage. Les choix narratifs, la mise en scène, tout dans ce premier film révèlent une patte de cinéaste incontestable. Dans Frères de sang, projeté à Berlin section Panorama, Fabio et Damiano D’Innocenzo se lancent dans un thriller initiatique radical et bien mené, qui prend place dans une banlieue désoeuvrée de Rome. Fabio présente le film au Cinemamed à Bruxelles, son jumeau a dû le quitter et repartir en Italie car les frères font face à un emploi du temps de ministre, avec plusieurs films sur le feu et une série, rien que ça.
Stéphanie Lannoy : D’où vient l’histoire du film ?
FabioD’Innocenzo : Elle provient de notre histoire familiale. Nous avons grandi dans un quartier de banlieue dangereux, à l’est de Rome. C’est très difficile de grandir dans ce genre de quartier. Souvent on ne nous y laisse pas de choix. Il se présente plus tard, ou jamais. Vous devez trouver votre voie dans des situations parfois vraiment très compliquées. Lorsque nous avons découvert la possibilité de faire du cinéma, nous avons souhaité partagé notre expérience.
Qu’est-ce qui vous a mené au cinéma, à réaliser ce film ? Nous ne faisons pas du cinéma de manière traditionnelle. Nous n’avons jamais étudié le cinéma à l’école par exemple, ni fait de court-métrages… Nous avons commencé à écrire pour des réalisateurs italiens importants et nous avons appris quelques règles. Il y a trois ans nous avons écrit comme ghostwriters, et c’était pour nous une sorte d’entrainement. Nous sommes aussi photographes. Nous savons observer le réel et décider de nos cadres. Le cinéma n’est pas un langage complexe pour nous. On se considère plus comme public que comme réalisateurs. Nous avons appris le cinéma en regardant des films.
Comment avez-vous procédé pour l’écriture du scénario ? On fait parfois de longs braindstormings, on discute des scènes, puis on divise le travail. J’écris ma scène de mon côté. Mon frère écrit la même, d’une manière et dans un lieu différent. Ensuite nous lisons et comparons les scènes. On définit auparavant le contexte et le point à atteindre.
Comment avez-vous choisi les acteurs ? On a choisi des acteurs qui n’étaient pas issus du milieu des banlieues, mais plutôt d’une partie riche de Rome. C’était intéressant et très stimulant car il y avait un vrai travail d’acteur et ils sont très crédibles.
Pourquoi avez-vous choisi de montrer la banlieue par le même plan d’ensemble, avec toujours les mêmes immeubles et le terrain de sport ? Nous n’aimons pas les banlieues grises, c’est très commun. En découvrant ce lieu nous l’avons tout de suite apprécié car il est très coloré. Cela faisait référence d’une certaine manière à un conte, comme ceux de Tim Burton, une histoire d’amour sur la fratrie.
Quelle importance accordez-vous au hors-champ ? Champ et hors-champ ont la même importance. L’une de nos missions dans Frères de sang était de ne pas montrer la violence de manière classique. On ne peut pas glamouriser la violence, il est donc préférable de la montrer en hors-champ. La vraie violence ne ressemble pas à celle de Scarface, elle est plus brutale. Il n’y a pas d’harmonie dans nos images. On veut juste montrer le nécessaire. Si l’on fait un gros plan du visage d’un acteur, même si nous manquons le reste de l’action, l’information nous est transmise par son visage.
Dans le film vous ne montrez pas l’accident… Les personnages ne voient pas l’homme, nous ne souhaitions donc pas que le public l’aperçoive. On peut se projeter dans Mirco, dans des émotions simples à ce moment précis.
L’Italie que vous décrivez est un pays fracturé en deux, est-ce toujours le cas ? Oui, c’est même pire. L’écart entre les riches et les pauvres s’agrandit. Dans notre film nous montrons la petite criminalité. Nous n’étions pas intéressés par la criminalité liée à la politique comme celle du Parrain, la mafia… Celle qui nous intéressait était celle de la rue.
Les parents portent une lourde responsabilité dans le récit… Manolo le père est probablement le personnage le plus désespéré du film car il rêve de se frayer un chemin pour lui et son fils. C’est un personnage très pathétique. On a une tendresse pour tous les protagonistes du film. On ne veut pas les juger. Dans notre famille des personnages comme lui existent, ce type de personne est souffrance. Son opposé est la mère qui se bat pour sortir son fils de la situation dans laquelle il se trouve, elle n’est pas stupide. On aime beaucoup la fin du film car on veut mettre ensemble deux différentes parties du monde avec le père qui admet fait partie du système et la mère qui lutte contre. Dans la dernière scène ils ne sont pas si différents. Ce sont deux humains et l’on peut comprendre les raisons de chacun.
Quels sont vos projets ? Nous préparons deux long métrages. L’un des deux est un western. Notre maître est Sergio Leone et avec Frères de sang nous avons voulu réaliser un western moderne. Nous souhaitons maintenant réaliser un western à l’ancienne et nous avons besoin de temps pour ça. On a travaillé le scénario à Sundance cet été. Cela va être un film assez important, même au niveau financier. En attendant nous voulons réaliser un conte très sombre sur l’enfance qui s’appellera Bad Tales. Et on prépare également une série. Nous écrivons et réalisons tous les épisodes, cela représente beaucoup de travail.
Comment le fait que vous soyez frères influence-t-il votre travail ? Nous nous comprenons d’un regard, c’est très naturel pour nous. En tant que jumeaux nous partageons notre vie. Si nous pouvons aussi partager un travail artistique c’est un incroyable cadeau que la vie nous donne. Quand nous avions dix ans on était très proches de la vie des personnages, de la dangereuse partie du monde. C’est alors que nous avons découvert le cinéma. Le cinéma nous a sauvé. On est très reconnaissants envers les gens qui ont cru en nous.
Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Cinémamed, Bruxelles 2018
Photo de Couverture Fabio D’Innoncenzo © Christophe Timmermans – Cinémamed