« L’esthétique et le message », André Téchiné au FIFF

D’abord critique aux Cahiers du Cinéma, André Téchiné échoue au concours de l’IDHEC. Heureusement, que serait-il alors advenu des films que nous aimons ? De Paulina s’en va à L’Adieu à la nuit, en passant par les Roseaux Sauvages et J’embrasse pas, Les sœurs Brontë, Les Egarés, les Témoins… Cinquante ans de long métrages qui ont traversé nos vies, doucement, dessinant en toile de fond un portrait de la société de l’époque. Cet ancien petit collégien ne voyait jamais la fin des films le dimanche au cinéma car il fallait impérativement être rentré au pensionnat à cinq heures. De quoi développer son imaginaire. La leçon de cinéma présentée au FIFF fit suite au documentaire que Thierry Klifa lui consacre « André Téchiné, Cinéaste insoumis ». André Téchiné n’a pas vu le film et se défendra même d’être insoumis. Seul un ami du cinéaste pouvait réaliser ce portrait tant la démarche de ce discret cinéaste implique la confiance de l’intime.

Stéphanie Lannoy : Vous présidez le jury de Longs Métrages de cette 34ème édition du FIFF à Namur, comment se passe votre rôle de Président ?
André Téchiné :
Je me suis demandé comment procéder pour exercer cette fonction. J’ai une certaine expérience pour avoir été dans différents jurys. Nous y avions délibéré à mi-parcours pour faire le point, puis à la fin, après avoir vu tous les films. Je n’aime pas cette méthode de travail qui impliquait une sélection et une exclusion des films. On ne laissait pas assez de place et surtout de chance à chaque oeuvre. Il fallait éviter ce système comparatif qui amalgamait des films très différents, réunis uniquement pour la circonstance d’un festival. J’ai décidé, et je l’’ai un peu imposé aux jurés qui ont accepté, de voir un film pour ce qu’il est sans le comparer aux autres. C’était mon credo. Après chaque film on se réunissait pour parler uniquement de celui qu’on avait vu. Nous avons procédé de cette manière pour tous les films du festival. Jamais nous n’avons comparé le film d’aujourd’hui à celui d’hier, ou essayé de trouver des analogies entre les films. Nous sommes ensuite arrivés à la délibération finale qui a été assez sereine. Je connaissais l’avis de chacun des jurés et les films que nous préférions ont émergé de façon tout à fait naturelle. Les divergences d’opinions avaient déjà eu lieu auparavant. (Palmarès du FIFF 2019)

Dans vos films vous racontez une histoire avec toujours en toile de fond la société contemporaine… J’aime bien que le film ait une valeur instructive pour les spectateurs, mais en même temps, je tiens à ce qu’il ait aussi une valeur esthétique. Je ne veux pas que l’instruction avec le message qui la sous-tend écrase l’ambition artistique du projet. Et dans la pratique de cinéaste cette concurrence-là entre l’esthétique et l’instruction existe toujours. L’esthétique et le message si vous préférez. Quand j’ai à choisir, cela m’est parfois arrivé, je choisis toujours l’artistique. Je ne voudrais pas que le message encombre ou écrase le film. Il faut cet équilibre-là.

Avez-vous toujours cette liberté artistique ? Bien sûr que non, mais j’essaie de la trouver. J’ai fait beaucoup de films de commande, parce que les producteurs m’ont commandé certaines adaptations de romans, ou certains projets basés sur des faits divers. A l’intérieur de ces projets de commande j’essayais de trouver une liberté artistique et mon propre chemin de cinéaste pour tirer la commande vers ce qui m’intéressait moi, de me l’approprier.

Comment expliqueriez-vous votre collaboration avec les acteurs… J’ai une idée des caractères. Je suis très sensible au corps des acteurs et des actrices, à ce qu’il peut exprimer, pas seulement à ce qu’il montre mais aussi à ce qu’il cache selon leur personnalité. Je crois qu’il suffit de savoir bien les regarder. Et la voix évidemment, il faut savoir les écouter. J’ai l’impression que je n’essaie pas de capter ce que les actrices ou les acteurs croient faire eux d’une façon volontariste dans leur jeu, mais plutôt ce qui leur échappe.

Les films de Chaplin ont marqué votre enfance, ceux de Bergman votre adolescence. Ces cinéastes ont marqué votre carrière, quelles sont vos influences aujourd’hui ? De façon honnête et donc très égoïste je me suis intéressé à mon propre cinéma. Je ne sais pas si ce sont des influences, en tout cas, après Bergman il n’y a pas eu un cinéaste dont j’ai pu tirer des leçons dans l’exercice de mon art. J’ai découvert des cinéastes que j’aimais beaucoup mais ça n’a rien à voir. J’aime beaucoup un gros succès public en France actuellement, mais avec des critiques réservées que je trouve injustes, qui est le dernier film de Tarantino (Once Upon a Time…In Hollywood ndlr). C’est vraiment un film que je trouve remarquable et très impressionnant.

Vous fêtez cette année vos cinquante ans de cinéma, depuis Pauline s’en va… Je n’ai pas compté mais ça doit être ça… 50 ans…

Que faites-vous comme bilan aujourd’hui, est-ce plus facile de réaliser un film ?  Non les films que je fais – je n’aime pas ce mot – sont des films d’auteur, et c’est toujours très difficile de trouver un producteur. Le montage financier d’un film reste toujours aussi difficile.

Même pour vous… Bien sûr, puisque j’appartiens à une catégorie dont la loi du marché se méfie. J’ai l’impression que les rêves des financiers dans le monde de l’industrie du cinéma consistent à prendre le moins de risques possibles et de faire en sorte que tous les films soient les mêmes. C’est la standardisation. Plus un film risque d’être personnel et plus ça les effraie, et je ne suis pas le seul à être dans cette logique-là.

Travailler avec des acteurs et des actrices de renommée n’aide-t-il pas les projets ? Si bien sûr, ça aide. Au moment du film Hôtel des Amériques, Catherine (Deneuve ndlr) était une star à l’époque. Patrick (Dewaere ndlr) était une grande vedette, et moi j’avais envie comme cinéaste de les réunir et de faire un film sur le couple de ces acteurs. J’ai pu trouver un financement pour ce film parce que Catherine et Patrick ont gentiment accepté d’y participé. Le star-system compte énormément.

Quels sont vos projets ? Quand on est jeune on a la vie devant soi. Avec toutes les incertitudes que cela implique, les attentes, les espoirs et aussi les combats. Il ne faut pas avoir peur des mots, avec l’âge la vie est forcément plus courte. Je dis ça sans pathos et sans mélodrame, c’est très factuel. Je ne peux donc pas l’envisager de la même façon. Et je ne sais pas si je vais faire un autre film ou non. Je me pose la question – car je pense qu’il faut quand même se la poser une fois – de réaliser un film qui ait une valeur testamentaire. Mais en même temps je n’ai pas envie de faire un film testamentaire, c’est ça le problème. Je crois que j’aimerais faire un film comme si j’allais indéfiniment continuer à vivre. Alors que je sais que ce n’est pas vrai, c’est un déni. Il arrive un moment où il faut parler de la mort, tous les cinéastes arrivent à ce moment-là. Tout à l’heure on parlait de Chaplin et de Bergman. On parle vraiment des plus grands cinéastes, et Chaplin par exemple, a fait un film testamentaire, Limelight (Les Feux de la Rampe ndlr). C’est un film génial, testamentaire, sur le spectacle et les âges de la vie. Bergman quand il réalise Fanny et Alexandre, qui est une somme gigantesque, réalise aussi une œuvre testamentaire.

Vous faut-il agir comme les autres cinéastes ? Faut-il agir comme les autres ? Non, et en plus ce sont des références écrasantes. C’est pour ça que si je fais un autre film, je crois quand même que ce sera un film joyeux et que les personnages principaux seront plutôt des enfants ou des adolescents je ne sais pas.

Comme c’est souvent le cas dans vos films.
Comme souvent chez moi, oui, comme vous dites! (rires).

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, FIFF Namur 2019.
Photo ©Pauline Willot – FIFF 2019