La Villa, son précédent film, dressait le portrait nostalgique d’une génération dont les valeurs sociétales disparaissaient. Dans Gloria Mundi, Robert Guédiguian établit un constat fort des mutations de la société actuelle dans une vision analytique nouvelle qui propose une vision de la lutte « intra-classes ». Le cinéaste dessine le portrait d’une famille qui survit dans la jungle d’aujourd’hui. Gloria Mundi est un film violent, tant ses protagonistes se débattent dans un monde devenu glacial et individualiste. Ariane Ascaride (Entretien) a remporté la Coupe Volpi de la Meilleure Actrice à la Mostra de Venise cette année pour son rôle.
Au coeur de ce récit : l’argent. La naissance d’un enfant est filmée dans un montage grandiose mis en musique en hommage au cinéma d’Artavazd Péléchian. Après cette arrivée au monde magnifiée on découvre la famille marseillaise qui accueille ce petit ange. Son père Nicolas, Robinson Stévenin chauffeur Uber, est son propre patron. Sa mère Mathilda, Anaïs Demoustier, enchaîne les contrats de 3 mois à l’essai comme vendeuse, en toute conscience du côté sans issue de ce cercle pernicieux. Aurore sa soeur, Lola Naymark et son copain Bruno, Grégoire Leprince-Ringuet, ont ouvert un magasin pour convertir du cash dans un quartier pauvre de la ville. Ambitieux, ils ont tout compris au système, n’envisagent pas de procréer et profitent du pauvre sans empathie. La grand-mère du bébé, Sylvie, Ariane Ascaride, est femme de ménage. Elle se refuse aux grèves tant elle est sans le sous et vise à aider les siens. Richard, Jean-Pierre Darroussin, son mari, est chauffeur de bus.
Guédiguian décrit un monde impardonnable, où les protagonistes se heurtent au libéralisme avec une violence féroce. Dans ce monde-là on ne peut même plus s’occuper d’un bébé ni s’aimer, parce qu’on a plus le temps, il faut travailler, sans cesse.
Le seul protagoniste qui prend de la hauteur à l’abri du monde est Daniel, Gérard Meylan, qui sort de prison. Inadapté à la société qu’il découvre, désargenté, il se loge dans une chambre minuscule qui lui rappelle sa cellule. Lui seul a du temps, et un peu comme un sage à l’écart du chaos, il écrit des haïkus.
Le cinéaste pose le conflit intra-classe en avant dans cette histoire. La lutte des classes ne s’effectue plus suivant le schéma originel, classe inférieure/supérieure mais à l’intérieur d’une même classe, celle qui a du mal à boucler ses fins de mois, et au diable la solidarité. Le luxe semble nous dire le cinéaste est le statut social, les acquis sociaux, avoir du temps pour vivre. Les taximen se battent contre le chauffeur Uber, la femme de ménage contre ses collègues grévistes à qui ils demandent « une hauteur de vue » qu’elle n’a plus. Le délégué syndical se voit reproché d’être protégé contre tout licenciement en cas de dérapage de la grève. Le cheminot lui, aura sa retraite. Les nantis sont ceux qui ont un statut, un boulot stable et un peu de sécurité pour l’avenir (le statut de cheminot opposé aux périodes d’essais de 3 mois dont abuse le patron de magasin). Le libéralisme 2019 de Gloria Mundi monte les gens d’une même classe les uns contre les autres en imposant les acquis sociaux comme des privilèges.
Ce film nous bouleverse bien sûr car ce bébé Gloria, ne débarque pas dans un monde paisible entourée de gens aimants qui ont du temps à lui consacrer. Même la babysitter craignant de ne pas être payée ne dépannera pas les parents. Finalement l’homme libre semble nous dire Guédiguian est celui qui, enfermé entre quatre murs laisse voguer sa pensée. La vraie liberté dans le film se situe là. Celle de l’esprit.
Entretien avec Ariane Ascaride