Troisième volet d’un triptyque commencé en 2015 avec l’envoûtant Ixcanul, Ours d’Argent au 65ème festival du film de Berlin, poursuivi par Temblores, La Llorana se révèle une oeuvre majeure dans la filmographie de Jayro Bustamante. S’inspirant de l’histoire, de la réalité, et de la politique du Guatemala, Jayro Bustamante (Entretien) investit le film de genre. Il adapte dans son récit une légende guatémaltèque et crée un long métrage oscillant entre thriller politique et épouvante tout en tension.
Accusé d’être responsable d’une guérilla, le Général Don Enrique Monteverde s’apprête à assister à son procès face à des paysans mayas. Les témoignages sont éloquents. Les veuves voilées de tissus fleuris témoignent de terribles atrocités commises sous la responsabilité du Général. Les hommes étaient séparés des femmes et des enfants, tout était brûlé avant que les tueries ne commencent. Dans la riche maison bourgeoise du Général résident ses proches soutiens. Sa femme, Dona Carmen, Margarita Kenéfic, sa fille médecin, Natalia de la Hoz et sa petite fille adolescente. Ils sont assistés par une armée de domestiques mayas, dont Valeriana, Maria Telon, fidèle à la famille depuis ses 26 ans. On découvrira aussi la jeune servante Alma, Maria Mercedes Coroy qui interprétait le personnage principal dans Ixcanul.
La légende populaire de La Llorona (La Pleureuse) raconte que, abandonnée par un homme et dans un moment de désespoir, celle-ci noya ses enfants dans la rivière. Ce mythe va insidieusement se mêler au présent des protagonistes. Les croyances du peuple maya permettent au cinéaste d’intégrer une dimension fantastique dans la froide réalité du pays. On retrouve une finesse d’écriture dans le scénario toujours très juste, qui louvoie entre réel et fantastique.
La critique d’une société guatémaltèque fracturée, déjà présente dans les deux premiers opus du triptyque, Temblores comme Ixcanul est toujours saillante. Le monde riche de la famille protégée dans cet immense manoir aux pièces et aux matières chaudes (et dont on ne verra jamais l’extérieur) est éloigné du peuple et des dures réalités du pays. Le fossé est d’autant plus grand que les manifestations continuent à l’extérieur par le son. Le travail de la bande son est remarquable. L’émotion exulte grâce à cette dimension sonore, aussi bien dans l’univers fantastique par des sonorités inventées ou peut-être rêvées par les personnages, que dans le réel, avec les bruits extérieurs des manifestations, comme ces tambours qui viennent soulever le coeur du spectateur tant ils se révèleront menaçants pour les personnages confinés dans leur espace clos mais encerclés.
La Llorona est une oeuvre majeure car le film politique et le film de genre, d’épouvante s’imbriquent brillamment. Tous les éléments du récit sont justifiés. Jayro Bustamante dessine des personnages qui se révèleront au fil des événements et de manière très complexe, tiraillés par la culpabilité ou l’incompréhension en référence à l’Histoire. Une très grande réussite.
Entretien avec Jayro Bustamante