La Vérité de Kore-Eda, Juliette Binoche et Catherine Deneuve au-delà des non-dits

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Après une Palme d’or remportée à Cannes en 2018 avec son très beau Une Affaire de Famille, le japonais Hirokazu Kore-Eda poursuit son analyse des liens familiaux. Il se lance dans une aventure française avec La Vérité, une comédie dramatique présentée à la Mostra de Venise qui s’intéresse au milieu des actrices et notamment à une relation mère-fille très singulière.

Fabienne, Catherine Deneuve, est une célèbre comédienne française à l’égo surdimensionné. La publication inopinée de ses mémoires incite sa fille scénariste à New York, Lumir, Juliette Binoche, et sa famille à débarquer dans la maison de son enfance. Mensonges, rancoeurs et vérités vont alors émerger.

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Kore-Eda joue avec le réel et choisit subtilement des acteurs dont les personnages résonnent avec leur propre image dans le réel. Fabienne fait bien sûr écho à la grande Catherine Deneuve. Le cinéaste pose ainsi un regard double sur la comédienne et se sert de son image. Catherine Deneuve n’a plus à essayer de jouer une star puisque, comme en témoigneront les photo-montages du personnage (anciens portraits de l’actrice plus jeune), elle a aussi été celle qui jouait dans les films de Bunuel, celle des Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy etc. Le parallèle est évident. Il en va de même pour le mari de sa fille débarquée de New York flanquée de sa propre enfant et de son mari, un célèbre acteur américain que sa mère le qualifiera vaguement: « Un acteur américain, là ! ». Le spectateur reconnait aussi le visage de ce célèbre comédien campé par Ethan Hawke.

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Kore-Eda filme à sa manière, en plans fixes, lentement et l’on reconnait ses plans en nature extérieurs, comme des respirations dans le récit. Il étudie les relations complexes entre les femmes de cette famille sur plusieurs générations, la grand-mère, la fille et la petite fille Charlotte et parvient à les retranscrire de manière assez juste. Juliette Binoche est débordante de naturel face à cette mère charismatique qui elle aussi tente de résoudre (très maladroitement) des non-dits. Toutes les relations reliées à ce personnage de star capricieuse au caractère tranché et au discours sec connaitront maints conflits. Sa biographie fera d’ailleurs de nombreuses vagues, ainsi Luc, Alain Libolt son agent de toujours, « oublié » dans la biographie, décide de quitter la star. Un livre dont l’importance se discute puisque comme le précisera l’actrice « Je suis une actrice, je ne vais quand même pas dire la vérité ! ».
A l’observation des relations entre les personnages en écho avec la réalité des acteurs, Kore-Eda ajoute la dimension du film dans le film. Fabienne est en plein tournage d’un film de science-fiction dans lequel elle interprète Emy, 73 ans, fille d’une mère qui ne vieillit pas. Une mise en abîme des relations pré-existantes entre Fabienne et Lumir par ce rôle que doit jouer la star face à une mère éternellement jeune.

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La Vérité est une jolie mise en perspective d’une réflexion sur les actrices, des relations qu’elles peuvent entretenir avec leur entourage mais aussi de la question de la vieillesse et celle de leur position dans le réel. Fabienne s’exclamera nonchalamment qu’elle « N’a ni été une bonne mère, ni une bonne amie, mais une bonne actrice. C’est le plus important non? ». Les parti-pris cinématographiques sont riches et nourrissent le récit. Bien que cette réflexion menée au sein d’une fiction soit intéressante et le choix du casting judicieux, on préfère un peu Kore-Eda dans ses histoires purement japonaises, dans son univers.