Présenté en clôture de la 58e Semaine de la Critique à Cannes, le premier long-métrage du cinéaste chinois Gu Xiaogang, Séjour dans les Monts Fuchun est une œuvre fascinante. Le cinéaste y décrit la vie d’une famille sur plusieurs années dans la ville de Fuyang où il a lui-même passé son enfance. Le film est le premier volet d’une trilogie qui s’annonce passionnante.
Autour d’une matriarche, Gu Xiaogang suit quatre frères sur plusieurs années, figeant sa vision du récit en un tableau et constatant les bouleversements d’une Chine en mutation. Les seuls repères qui résistent au temps y sont ancestraux et le cinéaste envisage son film comme une peinture, en référence à sa célèbre éponyme réalisée au XIVe siècle par l’artiste Huang Gongwang. Il filme ainsi une ville de Fuyang bâtie entre fleuve et monts. Tel le tableau initiateur du film, seule la nature subsistera ainsi au fil de l’histoire et des années. Malgré la modernité galopante provoquant la destruction de l’ancien modèle social et économique (et notamment l’immobilier), le panorama naturel de la ville résistera et la vie familiale suivra son cours.
Gu Xiaogang insuffle un principe de réalité dans son film. S’il privilégie le plan séquence, le cinéaste signe un film choral montrant le peuple dans son quotidien, notamment par des plans rapprochés de groupe qui impliquent le spectateur dans l’action. C’est ainsi que le film débute par une scène d’anniversaire dans laquelle le spectateur est directement plongé. Le cinéaste se plait ainsi à jouer avec les codes narratifs cinématographiques. Il apprécie également les jeux de désynchronisation du dialogue avec l’image, nous montrant en plan d’ensemble un couple qui se promène et nous donne à entendre la discussion d’un autre que nous découvrirons suivant le rythme du récit.
Le cinéaste s’intéresse à l’humain et aux enjeux sociétaux contemporains. La ville en démolition provoque des expropriations en pagaille et l’état dédommage les habitants. Sauf, comme le montre le cinéaste, que celui-ci ne dédommage pas la perte de son « chez soi », la perte de repère, tout en proposant des logements luxueux impayables aux jardins chinois reconstruits artificiellement. Les protagonistes doivent survivre et gagner leur vie. L’argent est le nerf de la guerre, et si le grand frère restaurateur mène son affaire rondement, le pêcheur vit plus modestement et celui que la femme a quitté gère seul son fils handicapé en courant les arnaques tandis que le plus jeune se laisse vivre.
Dans ce contexte se pose la question de la perte des valeurs et d’un retour à la mémoire collective chinoise en créant ce portrait pictural traditionnel. Le cinéaste ose parallèlement la confrontation des valeurs entre générations. La jeune Gu Xi entend choisir son futur époux, bien vite éloigné par sa mère qui le trouvera indigne d’intérêt économique et eût préféré un bon mariage arrangé. L’humanité se dévoilera chez la grand-mère qui a retenu les leçons de sa propre vie d’épouse obligée. Prendre soin des anciens est également en jeu à travers ce dernier personnage. Comment s’occuper de la matriarche dans cette société chinoise en évolution ? Et quel personnage aura le cœur et le courage de s’occuper d’une personne âgée ?
Cette fresque familiale picturale s’impose dans le cinéma chinois dans la lignée des films de Jia Zhang-ke avec le constat d’une Chine qui efface son passé et où les protagonistes doivent se cramponner pour éviter une perte de repère. Gu Xiaogang présente les racines des personnages dans la nature, dans le passé, les traditions et l’art. Il en appelle ainsi aux valeurs ancestrales dans un récit à la dramaturgie passionnante au fil du fleuve et parvient à extraire la beauté intemporelle des lieux.
En salle le 29 juillet