« Rêve ton film » Flore Vasseur, Bigger Than Us

Bigger Than Us est le documentaire d’une femme ancrée dans son époque, qu’elle questionne. Présente le onze septembre sur un toit de New york à 24 ans alors qu’elle y avait fondé son affaire, Flore Vasseur a un choc. Depuis celle qui se demandait « Pourquoi nous attaque-t-on? » a revu ses priorités. Ecrivaine puis réalisatrice de documentaires, Flore cherche la justesse, à mettre en lumière les inégalités d’un monde déséquilibré pour « comprendre, exposer, dénoncer » auprès de personnages forts, des entrepreneurs, des artistes, des lanceurs d’alerte, des activistes. Quelques romans (Ce qu’il reste de nos rêves) et plusieurs documentaires (Meeting Snowden) plus tard, la voilà signant Bigger Than Us, un ambitieux et urgent documentaire, fruit d’un travail acharné de quatre ans, projet réellement plus grand que nous tous, humains. Elle y suit de jeunes activistes autour de la planète dressant un constat des problèmes édifiant, mais où ces jeunes eux-mêmes véhiculent l’espoir d’une génération courageuse, contrainte de se battre pour son futur sur terre. Le film était projeté à Cannes dans la nouvelle sélection, Le Cinéma pour le Climat.

Stéphanie Lannoy: Avant Bigger Than Us vous aviez déjà réalisé un documentaire sur la jeune Melati…
Flore Vasseur : En 2016 j’ai eu la chance de partir à Bali la rencontrer pour un documentaire qui m’avait été un peu télécommandé par mon fils. A sept ans il m’a demandé: « Maman, ça veut dire quoi la planète va mourir ? ». J’avais du mal à trouver des mots pour lui expliquer. Je m’étais jusque-là adressée aux adultes avec des référents d’adulte et cela le désarçonnait. Il ne comprenait pas. J’ai alors fait en sorte qu’il ait des mots et des images pour lui. La première chose était d’aller rencontrer Melati. Je pensais faire un petit film pour mon fils et repartir sur mes gros sujets. Sauf que je suis tombée à la renverse. Tout ce qu’elle est, sa façon de vivre, de penser, de se projeter dans l’avenir… Son rapport au monde était confondant de justesse, de simplicité et de vérité. Je me suis alors dit qu’il fallait donner de l’ampleur à cette histoire.

Melati vous a-t-elle amenée vers les autres personnages du film ? Oui et non. Une rencontre n’est pas seulement ce que la personne vous dit mais ce que l’on en fait. En traitant de ce premier documentaire je me suis demandé si elle était un épiphénomène ou représentative d’un signal faible précurseur d’une tendance. J’ai fait des recherches et me suis rendu compte que de nombreux enfants étaient déjà très entreprenants. A cette période j’ai repéré Mohamad et Xiuhtezcatl. Comme vous l’avez vu dans le film ils ont débuté à l’âge de 12 ans. En 2016 ils en avaient 16. Ils étaient déjà actifs depuis des années. D’autres journalistes comme nous avaient traité de leurs sujets. J’ai tout de suite vu qu’il y avait quelque chose de plus grand que Melati. L’autre chose que j’ai remarqué parce que j’ai travaillé avec beaucoup d’activistes, c’est qu’à 16 ans, elle était déjà connue et confrontée à beaucoup de solitude. Elle était sujette à une sorte de burnout, tant la difficulté de convaincre sans cesse lui était difficile. Je me suis dit qu’il fallait qu’elle comprenne qu’elle n’était pas toute seule sinon elle allait tomber. Je lui ai proposé de partir autour du monde rencontrer des activistes comme elle.

Comment avez-vous choisi précisément ces personnages-là, j’imagine qu’il en existe un plus grand nombre ? C’est le nerf de la guerre. Le plus long a été de réaliser cette enquête. Il fallait éviter de se précipiter sur la belle histoire mais la considérer de manière extrêmement sérieuse comme le grand sujet qu’elle est. Et donc on a fait une enquête énorme.

Sur chaque personnage ? Oui et pour en trouver d’autres. On s’est basés sur quelques critères qu’on a mélangés. On s’est demandé, pêle-mêle: où est la jeunesse aujourd’hui ? 80% de la jeunesse mondiale habite hors de l’occident. Pour réaliser un portrait de la jeunesse actuelle il fallait sortir de l’occident. On voulait traiter des sujets les plus cruciaux du moment. On a regardé les objectifs du millénaire, ils sont 17. Quels sont ceux qui engagent la vie, la mort ? La liste est alors plus restreinte. Sur ces sujets on s’est demandés : qui bouge ? Où sont-ils ? Et parmi ceux-là on s’est demandés, qui est le plus solide ? L’exercice du documentaire est celui de la preuve. Je montre des choses, je ne peux pas raconter d’histoires. Il me faut des gens qui puissent me dire « Oui, il a changé ma vie ».

Et sur la longueur aussi… Et sur la longueur. Cette idée me percute en 2016. Je travaille sur d’autres choses et concrètement on se met à travailler en 2017. Je rencontre Marion début 2018. Mi 2018 Greta Thunberg sort du bois et je vois la violence qu’elle suscite. Si je mettais quelqu’un dans la lumière il fallait qu’elle soit inattaquable. Tellement de forces n’ont aucun intérêt à ce que cette histoire sorte, prenne, touche et motive… Si on a un début de succès on va être sur le champ de tir. Je ne veux pas y mettre des personnes incapables de l’encaisser.

Ces jeunes sont-ils menacés? Avec le film pour l’instant pas du tout. Mais dans ce qu’ils entreprennent la menace fait partie de leur quotidien. On voit la violence d’une idée à la violence de la réaction qu’elle suscite. Ils sont menacés physiquement, psychiquement. Ils sont ringardisés, exclus des groupes, oui bien sûr. Ca fait partie du travail.

Sur le générique il est écrit que vous avez co-écrit le film avec Melati. S’agit-il une co-écriture ou d’une écriture qui s’est faite au montage, comment s’est passé votre collaboration ? Il fallait d’abord savoir si cette quête lui parlait. On a ensuite dressé des listes ensemble, échangé. Je ne voulais pas traiter seulement d’environnement mais ouvrir à d’autres sujets. On a créé le concept ensemble, le fil narratif. Ensuite je m’appuie tellement sur ses mots, Melati a été d’une générosité incroyable. Je ne sais pas combien d’interviews j’ai faites, elle a elle-même écrit. Je lui demandais d’écrire tout le temps. Je pensais me servir de ça à la caméra et finalement on a utilisé un autre procédé narratif. Je suis partie à chaque fois de ses écrits.

De ses sentiments, de ses émotions ? Oui. Il aurait été vraiment malhonnête de ne pas dire qu’elle a été co-auteure.

Comment le montage s’est-il passé, j’imagine que vous aviez de nombreux rushes ? On avait 300 heures de rushes. Plusieurs choses magnifiques se sont passées. La première c’est qu’on a eu l’idée, entre les tournages – on a tourné 7 mois – de se donner rendez vous en public à Paris dans un lieu ouvert à tous. C’était gratuit et avant le covid. On a fait des restitutions en public avec des personnes qui nous avaient aidé pour le crowdfounding et qui venaient juste écouter le récit d’un tournage. On n’avait aucune image à montrer. Ca a été incroyable parce que ça m’a forcée à rassembler mes idées après chaque tournage et de débriefer comme je l’aurais fait avec mon équipe, en public, mais de façon hyper structurée pour des gens qui n’étaient pas des professionnels de cinéma. C’est l’exercice le plus intelligent que j’ai fait.

Cela vous a permis de prendre du recul… J’ai dû tout de suite rassembler mes idées, mettre une cohérence, dire ce que j’avais vécu, aimé ou pas, les problèmes, les points de blocage, et entrer dans une discussion avec eux où je pouvais observer les réactions. J’ai constaté de cette manière que les camps d’initiations étaient extrêmement importants. J’ai aussi compris que certains aspects du récit étaient plus complexes ou secondaires. J’ai vu des gens qui se posaient des questions. J’ai parlé de mes problèmes et certains m’ont proposé des solutions. Ces débriefs ont été filmés. La première chose qu’on a faite en débutant le tournage était d’appuyer à nouveau sur play. On a eu 7 fois 2 heures d’échanges, de questions, cela donnait une trame. Ensuite on a fait un énorme dérushage. A chaque retour de tournage on dérushait, on n’avait pas de monteur à l’époque. J’ai organisé les choses telles que je le pensais et la monteuse a dû embarquer dans le train tel que moi je l’avais vécu, mais elle l’aurait peut-être fait différemment. Elle est tellement courageuse qu’elle a accepté et je dois vraiment lui rendre hommage. Là c’est une vraie co-écriture encore un binôme, finalement j’en ai dans tous les sens et c’est magique !

De nombreuses femmes composent votre équipe… Oui, il y a 90% de femmes. Je ne sais pas pourquoi. On est dans cette énergie. Le projet nous parle et nous plait. C’est un truc de soeurs un peu, d’équipe. Et je dois rendre hommage aussi aux hommes. Trois fondamentaux, Denis Carot le producteur du film, Rémi Boubal le compositeur et Christophe Offenstein, le directeur de la photographie. Ce sont des hommes en phase avec l’énergie féminine, qui n’en ont pas peur, l’accueillent et la magnifient. D’autres hommes ont participé mais n’ont pas tenu des postes clés. Effectivement on est une bande embarquée à un train d’enfer et on rigole. Toutes les personnes qui sont arrivées avec je pense des positions dominantes ont souffert.

Le statut de Marion Cotillard productrice du film, à la renommée internationale a-t-il beaucoup aidé à la visibilité du film ? Cela a aidé, bien sûr, mais c’est attendu. Marion est plus que ça. Ce n’est pas pour rien que c’est l’une des plus grandes actrices au monde, elle a une intelligence incroyable d’à-propos, de situation. Elle est la première à avoir compris que le film avait une portée politique dingue et à y avoir cru. Marion a travaillé avec les meilleurs techniciens et c’est elle qui a demandé à Christophe Offenstein de venir. Sans lui le film n’aurait pas cette facture cinématographique. C’est un très grand technicien capable de vous dire : « la technique est au service de ton film, pas l’inverse », alors que tout le monde était en train de m’embêter avec des caméras etc. Christophe est dans cette humilité-là. C’est aussi quelqu’un d’une grande générosité. La deuxième chose qu’il a faite était de me mettre une caméra entre les mains alors que je ne suis pas technicienne. Beaucoup d’images sont les miennes et il n’a aucun problème avec ça.

Vous étiez deux au cadre ? Trois ! lui, moi et Tess Barthes, qui est arrivée du haut de ses 27 ans dans le film comme assistante de Christophe et qui à la fin, prend en charge le tournage à Jakarta. Là il n’y a que nous deux. On est tellement portées par ce qu’on a fait, avec Melati et l’une avec l’autre que voilà !

Christophe Offenstein est au service du récit et vous a transmis ce qu’il fallait faire… Oui et surtout la confiance, comme Marion qui m’a dit : « rêve ton film ». Je l’ai ensuite transmis à la monteuse à qui j’ai dit « rêve le montage » et à Remi « rêve ta musique ». On est dans le rêve, dans le grand. Oublie ta peur, vas-y ! En fait il se passe quelque chose de très intime, quand je regarde le film c’est comme si cela ne m’appartenait pas du tout alors que j’étais là à chaque seconde. Et c’est super. Parce qu’il est à chacun de nous.

On dirait que vous faites corps avec votre film, comme dans ce live sur instagram hier soir que vous avez fait avec Marion Cotillard et certains des jeunes activistes. Cela rapproche les gens. Votre cible est-elle la jeune génération ? Les premières personnes auxquelles je pense ce sont mes enfants. Je veux qu’ils soient heureux. Je suis maman. Je veux qu’ils comprennent qu’il existe des façons de vivre qui sont plus chouettes que d’autres. Ma fille a été là au montage. Elle s’est tout pris dans la figure et parfois on avait des images bien plus difficiles que celles montrées. Mon premier public était ma fille. A la fin du film elle m’a demandé : « Ca sert à quoi finalement de faire un film ? Et après ? » On a alors lancé un important site internet et trouvé en France un sponsor pour lancer 100 000 places pour 100 000 jeunes. Ils savent.

Cela vous pousse à avancer ? C’est hyper stimulant. Ma cible c’est le coeur, la joie, la vie en chacun de nous. Ma cible c’est l’utilité. Mon point c’est de mettre ce film dans les mains des gens pour lesquels il est utile. Cela peut-être des parents, des profs des jeunes, des grands parents, des politiques, tout le monde en fait. J’aimerais juste que mon film aide à déclencher des conversations.

La grande force de votre film n’est-elle pas d’aller dans le détail contrairement à ce que font les médias ? Je pense à la personnification du réfugié dont on voit le visage face à la figure médiatique vague du « migrant », d’ailleurs vous n’utilisez pas tellement ce mot si peu précis… Quand je pense aux 300 heures de rushes j’ai du mal à vous dire que je suis allée dans le détail ! Je pense qu’on est dans l’incarnation. Il y a la figure du migrant et là il y a Mohamad. Pourrait-on écouter Mohamad ? Il y a l’Afrique et puis Memory et Winnie.

Et la permaculture… Et les femmes et les filles qui font des enfants, qui se retrouvent grand-mères à 24 ans. On est dans l’incarnation. Les combats sont hyper incarnés. On est sortis des statistiques. J’adore cette phrase, je la suis tout le temps: « Pour se mettre à hauteur d’enfant il faut se hisser sur la pointe des pieds ».

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Bruxelles, septembre 2021.

Photo de couverture: Flore Vasseur ©Hannah Assouline_Festival de Cannes