Un Autre Monde, Stéphane Brizé poursuit sa trilogie sur le monde du travail

Après La Loi du Marché et En Guerre, Un autre Monde vient compléter la trilogie de Stéphane Brizé sur le monde du travail. Au centre de cette trilogie, l’analyse des rapports humains au travail et leur violence sous l’angle de fictions crues, captivantes et souvent bouleversantes. La boule au ventre, c’est ce qu’on avait ressenti en regardant La loi du marché. Des rapports vifs, conflictuels où la recherche de sens devient soudain vitale pour des protagonistes en déséquilibre. Vincent Lindon est de tous ces drames sociaux, comme un double du cinéaste. Et évidemment, les rôles qui prennent aux tripes sont ce dont l’acteur raffole. Sélection Officielle à la Mostra de Venise 2021.

Vincent Lindon incarne Philippe, directeur au sein d’un groupe industriel, qui doit répondre aux exigences incohérentes d’un management international. Le cadre doit lancer un plan de licenciement dans son entreprise. Côté famille, brisée par la pression d’un travail envahissant, l’homme est en plein divorce.

La famille décrite par Stéphane Brizé est en état de décomposition. Le délitement est entamé derrière les sourires heureux des photos de familles aseptisées. Anne avait abandonné sa carrière, mais l’emploi du temps de monsieur a eu raison de l’équilibre familial. Deux enfants, une fille partie à l’étranger et Lucas, formidable Anthony Bajon, un fils adolescent qui paiera les pots cassés de ces bouleversements.
Ce qui est intéressant dans ce long métrage c’est l’histoire. Un homme face à l’obligation de répondre à un plan d’économies dans un contexte bénéficaire. Stéphane Brizé conserve les mêmes processus de mise en scène avec ici beaucoup de symboliques. Il exploite ces concepts pour insuffler une impression de réel au récit. Il joue sur le champ et le hors champ avec l’imaginaire du spectateur. Le couple incarné à l’écran est celui d’Anne et Philippe, Vincent Lindon et Sandrine Kiberlain acteurs divorcés dans la réalité. Les photos de famille ajoutent de la réalité dans la fiction, les photos du couple jeunes sont bien réelles. Le cinéaste floute la frontière entre réalité et fiction pour plonger le spectateur dans une sorte de réalité recréée. De la même manière, le cinéaste fait appel pour incarner une implacable dirigeante du groupe à Marie Drucker. Qui d’autre qu’une figure du petit écran qui entrait dans tous les foyers français pendant des années à 20h lors de la grand messe du JT pour interpréter cette marâtre d’entreprise ? Cette stature populaire ancrée dans la tête du spectateur conforte le rôle de l’ancienne présentatrice en Directrice impitoyable, coordinatrice des différentes entreprises du groupe à l’international en vue des licenciements.

Le héros, Philippe est en quête du sens d’une vie étiolée, il s’est perdu. Le travail est l’une de ses priorités, mais quel sens a-t-il lorsque tout s’effondre ? Quels choix adopter face à des demandes toujours plus pressantes de « couper des branches » ? D’économiser sans cesse en licenciant des salariés jusqu’à provoquer leurs accidents et maladies ? Les profits des actionnaires ou le bien-être des salariés ? Dans son histoire Stéphane Brizé a tranché, ouvrant les yeux du spectateur sur un capitalisme outrancier qui tue l’homme.

Entretien avec Stéphane Brizé pour Une Vie.