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« Je cherchais à incarner le sacré autrement que par la religion. L’art est une autre forme de religion, une sorte de quête de sens de vie »
Lauréate de la Caméra d’Or au dernier Festival de Cannes, Houda Benyamina réalise avec son film Divines un triplé gagnant aux Césars en remportant celui du Meilleur premier film, Meilleur espoir féminin pour Oulaya Amamra et Meilleure actrice dans un second rôle pour Déborah Lukumuena. Divines, œuvre magistrale, souffle un vent de fraîcheur dans un cinéma français en mal de pluralité. Relatant une histoire bouleversante en banlieue, celle de Dounia et de son amie Maimouna, ce film foisonne de cultures, d’influences et flirte avec le sacré. Houda Benyamina, également fondatrice de l’association 1000 visages qui ambitionne de démocratiser le cinéma, était au dernier Festival de Namur, l’occasion d’une discussion fort intéressante avec cette personnalité hors du commun.
Stéphanie Lannoy : Est-ce difficile de monter un premier long-métrage en France aujourd’hui ?
Houda Benyamina : Divines est un film sans casting, dans un quartier populaire réalisé par une femme française d’origine maghrébine et c’est aussi le premier long de mon producteur Marc-Benoit Créancier. C’est plus compliqué quand on n’est pas du sérail. On est allés tout chercher par la ténacité et la force.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Il avait vu mon court-métrage Ma poubelle géante et a ensuite produit mon moyen-métrage Sur la route du paradis. On a une relation très fusionnelle artistiquement.
Comment s’est passée l’écriture du scénario ?
J’ai écrit avec mon ami d’enfance, Malik Rumeau jusqu’au traitement. On s’est ensuite rendus compte qu’il fallait un scénariste confirmé car de nombreuses lignes narratives devaient s’entremêler, c’est une tragédie. J’ai travaillé par la suite pendant environ 2-3 ans avec Romain Compingt.
D’où vient le projet du film ?
A l’origine, j’avais envie de faire quelque-chose sur la colère. Quand j’étais plus jeune j’étais quelqu’un d’assez en colère, violent. J’avais aussi vu un documentaire avec des gamines qui dansaient le coupé-décalé dans une cellule de prison. Des flics les regardaient. Je me suis dit que j’aurais pu être ce genre de gamines. J’avais également vécu les émeutes de 2005 de l’intérieur et je me suis toujours questionnée sur cette colère restée sans écho. J’avais envie de donner mon regard sur la société par le prisme de la jeunesse. Je souhaitais aussi raconter une histoire universelle d’amitié, d’amour, avec une recherche de sacré.
On sent quelque-chose de l’ordre du divin, du sacré dans le film…
L’idée était de voir comment le sacré allait être incarné. A la fois par la musique mais aussi par le rapport à l’espace, du haut et du bas. Le rapport à la lune aussi, au ciel, c’était quelque-chose qui m’intéressait. La question du sacré est au cœur même de ma vie et de ma quête, je cherche dieu à travers mes films.
C’est par la danse que Dounia et Djigui le danseur se rapprochent, ils dialoguent d’abord par le corps. Le langage du corps est signifiant pour vous ?
Pour moi, l’émotion vient avant le verbe. Je cherchais à incarner le sacré autrement que par la religion. L’art est une autre forme de religion, une sorte de quête de sens de vie, d’élévation spirituelle, de connaissance du monde intérieur aussi. L’acteur est un corps avant tout. L’outil principal est le mouvement. La psychologie d’un personnage se situe selon moi dans ce qu’il fait, plus que dans ce qu’il dit et le langage du corps ne ment pas.
Comment s’est passé le casting ?
Pierre-François Créancier a fait un casting sauvage. J’avais détecté et formé des gens de mon association (1000 visages ndlr) comme Jisca Kalvanda, ou l’actrice principale, ma petite sœur Oulaya Amamra, même si au début je ne voulais pas forcément que ce soit elle.
Elle est éblouissante dans le film…
Elle a la force des grands, c’est-à-dire qu’elle a à la fois un point de vue sur son personnage, elle lui donne toute son humanité et en même temps elle a une technicité de jeu incroyable.
Vous aimez travailler en bande ?
J’aime travailler avec des gens dont je sais qu’ils vont monter sur mon bateau et n’en redescendront jamais.
Laissez-vous un peu de liberté aux acteurs ?
Certaines choses sont très écrites, mais par moments je leur laisse une totale liberté et je me nourris d’eux aussi, de ce qu’ils proposent dans les dialogues, comme cette réplique : « Il t’as regardé comme si t’étais un big mac en plein milieu du ramadan ».
Est-ce que le souci de réel prime dans votre cinéma ?
C’est un mélange. Le film est écrit avec une dimension romanesque, des rebondissements et parallèlement il est ancré dans quelque chose de très réel. J’avais envie d’une caméra assez libre qui puisse suivre de manière très organique la vérité du jeu des personnages et à d’autres moments comme dans la séquence de la Ferrari, d’un dispositif plus cadré, pensé. Je voulais aussi tenter des choses avec Snapchat, la mise en abîme de ce que j’appelle l’ego-trip, on se filme on s’auto-filme. Je souhaitais que ce soit incarné dans le dispositif de filmage. Dounia filme le danseur, elle se filme elle avec sa meilleure amie et on comprend leur complicité à travers le générique.
Dounia choisi de chercher la réussite par un chemin très masculin…
Elle ne choisit pas un chemin masculin mais le banditisme qui est certes emprunté par plus de mecs. Ce qui m’a intéressé c’est justement de trouver les lieux communs entre les deux sexes, pas de les opposer. Le personnage de Dounia a un besoin humain avant tout. Quand j’ai fait mon travail de prospection, je me suis inspirée d’une fille qui existe vraiment et qui est en ce moment en prison. Les chiffres grossissent, les nanas dealent de plus en plus. Tout ça n’est pas masculin, cela concerne des personnes qui sont au ban de la société, qui sont humiliées et qui à un moment donné ont la rage.
Peut-être qu’on le sait moins ?
On n’en parle pas. Aujourd’hui la féminité est à redéfinir. Il y a eu des personnages incroyables même pendant les guerres. De nombreuses femmes ont été résistantes et pourtant tous les films sur la guerre ne sont jamais portés par des femmes. Elles pouvaient plus facilement passer, ont porté des bombes, des armes, on n’en parle jamais. On nous relègue toujours à l’infirmière ou à la cantinière. Aujourd’hui le cinéma est porté essentiellement par des hommes et les réalisateurs racontent leurs histoires par leur regard, leur sensibilité et leur genre. Mais les chiffres augmentent et les femmes vont pouvoir raconter de plus en plus. Un jour mon film paraîtra presque « banal ». Mais il dépasse la question de la femme, ce qui m’intéresse ce sont les gens hors normes. Comment on crée nos propres monstres…
Avec la Caméra d’Or du Festival de Cannes avez-vous eu l’impression de briser le plafond de verre ?
Non, nous n’avons pas été pré-selectionnés aux Oscars. Mais c’est une belle reconnaissance du travail de toute l’équipe. Je suis la première femme issue de l’immigration, de l’Afrique, qui ait eu une Caméra d’Or. En 70 ans, jamais une femme n’a été à la tête du festival de Cannes. Il faut qu’on soit excellentes pour exister car on n’a pas droit à la médiocrité.
Vous avez des projets ?
Je m’intéresse à des femmes qui ont été des révolutionnaires. C’est incroyable tout ce qu’elles ont fait… J’ai un traitement. Il s’agit d’une grande histoire d’amour qui commence au début d’une guerre et fini dans les années 70.
Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, au FIFF, Namur 2016.
Ndlr : Divines a été acheté par Netflix et pour le moment le film n’est pas sorti dans les salles belges, on espère quand même l’y voir…