« J’avais envie de tirer les choses vers le haut, vers la complexité, parce que le monde est complexe » Entretien avec Christelle Berthevas scénariste d’Orpheline de Arnaud Des Pallières

Christelle Berthevas à droite, Arnaud Des Pallières et les comédiens Solène Rigot, Sergi Lopez et Adèle Haenel, FIFF Namur 2016 – Photo ©FIFF_FabriceMertens

Orpheline est la seconde collaboration de Christelle Berthevas avec Arnaud Des Pallières après le très réussi Michael Kohlhaas.  La talentueuse scénariste joue ici un rôle prépondérant dans la réalisation du film puisqu’elle est à l’origine de l‘histoire pour laquelle elle a écrit des pans de sa propre biographie. Orpheline a remporté le Bayard d’or du Meilleur Réalisateur au FIFF, et celui de la Meilleure Comédienne pour ses quatres interprètes (Adèle Haenel, Adèle Exarchopoulos, Solène Rigot, Véga Cuzytek). Christelle Berthevas s’était alors prêtée au jeu des questions-réponses en pleine effervescence après la cérémonie et avait accepté de nous en dire un peu plus sur ce film dont le scénario est particulièrement bien structuré et constitue une des spécificités du film.

Stéphanie Lannoy : Est-ce un peu une nouvelle tentative scénaristique que l’on récompense ?

Christelle Berthevas : Une nouvelle forme je ne sais pas, mais je pense que l’on récompense une audace et une liberté de création à laquelle Arnaud Des Pallières et moi sommes très attachés. On a la chance d’être accompagnés par des producteurs qui nous ont soutenus, notamment Arnaud, depuis très longtemps. L’audace se situe dans la structure et dans l’incarnation du personnage par quatre actrices. Arnaud l’a défendue jusqu’à la fin car il y a eu des inquiétudes, pas des producteurs, mais de certains financeurs, inquiets que le public s’y perdre. On se répète quand on écrit que le spectateur est toujours plus intelligent que ce que l’on imagine. J’avais personnellement envie de tirer les choses vers le haut, vers la complexité, parce que le monde est complexe.

Comment s’est décidé le fait d’éclater les éléments du récit ?

Au départ il y avait trois histoires, qui sont les trois centrales, qu’on appelle par le prénom des personnages : Sandra, Karine, Kiki. Cela s’est posé assez tôt. Mais c’est un très long travail. C’est un matériel autobiographique au départ qu’il faut remettre en mouvement car c’est une matière figée. Il y a eu tout un temps de travail dramaturgique sur cette matière-là. Une fois que les trois versions ont été très avancées, on a dû se faire à l’idée que cela ne menait nulle part. L’une après l’autre racontaient quelque chose, mais on ne voyait pas cette notion d’identité à laquelle on tenait et qu’il fallait faire émerger. C’est là que nous est venue l’idée d’une quatrième histoire qui est la moins autobiographique. On a décidé de la couper en deux, d’en faire le début et la fin du film et d’enchâsser les trois autres dedans. On s’est alors rendu compte que cela marchait très bien. Puis, Petit à petit est arrivée cette histoire de grossesse… Dans tout processus de création il y a des choses conscientes et inconscientes. Certaines choses se placent toutes seules, d’autres se cherchent. Ici c’est un ajustement, c’est du travail.

Avez-vous mis longtemps à écrire le scénario ?

Cela a pris trois ans et demi de travail.

Vous avez écrit à deux ?

J’ai d’abord écrit seule et Arnaud m’a rejoint la dernière année. A la fois parce que c’est lui le réalisateur et pour s’approprier quelque-chose. Et aussi pour insuffler un dernier mouvement.

Comment fait-on pour travailler ensemble pendant un an après avoir travaillé seule ?

Chacun avance à certains endroits, on s’échange nos pages, on discute et on fait des réunions de travail. Il faut aussi laisser à l’autre sa liberté d’exploration et de travail. C’est un mélange des deux, il faut trouver un équilibre. C’est aussi cela qui fait la qualité du travail. On est deux, extrêmement exigeants l’un vis-à-vis de l’autre. On ne lâche rien tant qu’on n’est pas contents et qu’il n’y a pas une autonomie du projet. C’est ça qui donne la cohérence au film.

Etiez-vous en accord  avec le casting – Adèle Haenel,  Adèle Exarchopoulos, Solène Rigot, Véga Cuzytek – qui jouent ce même personnage ?

J’en suis ravie. A la différence d’Arnaud je ne pense pas à des acteurs quand j’écris. Je ne pense à personne. C’est lui qui petit à petit s’est mis à réfléchir au casting et à faire des propositions. Je connaissais évidemment les deux Adèles mais pas Solène. Ca a fait écho. Je ne suis pas du tout intervenue sur le casting mais il me questionnait beaucoup plus peut-être que sur d’autres films, comme je pouvais parler de l’intérieur et saisir certaines nuances sur les personnages que lui ne captait pas forcément. Il était toujours intéressé par mon point de vue même si ça le rendait libre de faire comme il le souhaitait. J’ai été d’accord avec tout.

Pensez-vous que la force du récit vient en partie du fait qu’il ait été écrit par un homme et une femme ? Est-ce que cela l’équilibre ?

Oui, la demande d’Arnaud était d’être dans les personnages féminins, de les traverser, de les interroger. Ca a fonctionné jusqu’en fin de montage car dans les derniers visionnages j’ai vu deux ou trois plans qui me gênaient, dans lesquels je voyais un regard masculin hétérosexuel qui ne me plaisait pas du tout. Je pense qu’il faut essayer d’être dans un point de vue neutre, même si cela n’existe pas réellement. La difficulté est de trouver une vision qui convienne aux hommes et aux femmes et où une femme ne se sent pas à nouveau et toujours déshabillée par un homme devant une caméra. L’un des enjeux du film et de la mise en scène c’est de montrer une sexualité de femme mais sans qu’un regard masculin s’appesantisse sur cette sexualité là et ça très délicat.

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, FIFF Namur, octobre 2016.

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