Dans Rodin, Jacques Doillon pose son regard de cinéaste sur le sculpteur Auguste Rodin pour une captivante symbiose des arts entre le film et la sculpture.
Paris, en 1880. Rodin, 40 ans, reçoit enfin sa première commande de l’état. Ce sera La Porte de l’Enfer, sculpture monumentale composée de plusieurs figurines qui feront sa gloire, dont Le Baiser et Le Penseur. Il vit avec sa compagne de toujours, Rose, lorsqu’il rencontre la jeune Camille Claudel. D’abord son élève, la jeune Camille deviendra son assistante, puis sa maitresse. Dix ans de passion, mais aussi d’admiration commune et de complicité. Après sa rupture, le sculpteur poursuit son travail avec acharnement. Il fait face au refus et à l’enthousiasme que la sensualité de sa sculpture provoque et signe avec son Balzac, rejeté de son vivant, le point de départ incontesté de la sculpture moderne.
Rodin constitue un intéressant aller-retour entre les arts que sont la sculpture et le cinéma. Jacques Doillon (Le petit criminel, Mes séances de lutte), pose un vrai regard de cinéaste sur Auguste Rodin en adaptant sa mise en scène et son récit au cadre et à l’œuvre de l’artiste du XIXe siècle.
L’art de Rodin s’exprime par la lutte entre la forme et la lumière, servi ici par une profondeur de champ, des ombres et lumières exploités par une photographie finement dirigée par Christophe Beaucarne (Le tout nouveau testament de Jaco Van Dormael). Le langage du corps sert également la narration, le cinéaste tente d’épouser l’époque et la vie de l’artiste par la matière, le corporel, la chair. La tension du corps ressort beaucoup dans l’oeuvre de Rodin, et Doillon en joue, notamment dans les séances de poses de modèles et sur le déplacement dans l’espace des corps, qu’il veut vivant, comme la sculpture de l’artiste.
La période est celle où le prolifique sculpteur, magistralement incarné par un Vincent Lindon barbu, presque trapu et ancré dans le sol, accède enfin à une certaine reconnaissance étatique (même si elle sera très vite limitée) avec sa première commande, celle de l’œuvre de sa vie, La Porte de l’Enfer, réponse à La Porte du Paradis de Lorenzo Ghiberti (Baptistère de Florence) et illustration de la Divine Comédie de Dante.
Rodin évolue dans le milieu artistique de l’époque. On découvre ainsi des artistes dont on connait l’importance des œuvres dans l’histoire de l’art, désespérés par l’incompréhension à laquelle ils font face. Cézanne, Arthur Nauzyciel, précurseur du post–impressionnisme et du cubisme, que de nos jours nous connaissons si talentueux, ou Camille Claudel, solaire Izïa Higelin, désespérée par le manque de reconnaissance de ses sculptures. Doillon interroge aussi le destin de cet homme, fidèle compagnon de vie de Rose, Séverine Caneele, (L’humanité de Bruno Dumont) et pourtant voué aux aventures multiples. Soulignons l’immense travail de décoration et de reconstitution assuré par la Chef Décoratrice Katia Wyszkop, (Les adieux à la reine de Benoît Jacquot).
La période choisie par Jacques Doillon pour dresser le portrait de son Rodin, est à la fois celle de la reconnaissance à travers sa 1ère commande – celle de La Porte de l’Enfer – et celle du scandale avec la sculpture de son Balzac, qui lui prendra sept années, critiques et incompréhensions à l’appui. Jacques Doillon montre le lent et difficile processus qu’est la création d’une œuvre et dans quelle mesure elle peut être reçue négativement, puis positivement des générations plus tard, comme c’est finalement le cas pour sa statue de Balzac tant décriée à l’époque, œuvre majeure aujourd’hui.
Entretien avec Jacques Doillon