Corps et âme de la cinéaste hongroise de Ildiko Enyedi a remporté l’Ours d’Or au dernier Festival de Berlin. Elle remportait la Caméra d’Or cannoise avec Mon XXème siècle en 1989. Le film raconte avec beaucoup de finesse une histoire d’amour inattendue et délicate. Sa mise en scène est exceptionnelle, impressionnante et recherchée. La caméra s’attache ainsi à des détails qui participent à la beauté du récit.
Maria arrive dans une nouvelle société, non des moindres puisqu’il s’agit d’un abattoir dans lequel elle est responsable du contrôle qualité. Endre, Géza Morcsányi, handicapé par une main morte, est le directeur des lieux. De majestueuses bêtes nous font entrer dans le film. Un cerf et une biche sont sous la neige, paisibles, dans le calme de la forêt. Nous pénétrons ensuite dans l’abattoir avec des vaches enfermées qui attendent leur sort.
Ce qui frappe, c’est que la cinéaste filme le regard de ces bêtes, de tous les animaux, qu’ils soient dans la forêt ou à l’abattoir. Elle filme leur regard, montrant leur humanité, leur vie, leur faisant face par rapport au sort que l’humain va leur réserver. L’intelligence de la cinéaste est de placer les animaux et les humains sur le même plan. Ainsi la vache emprisonnée regarde ses geôliers puis lève la tête vers le soleil qui brille. Maria l’héroïne fait exactement la même chose alors que les deux regards vers le soleil sont entrecoupés par un plan de l’astre. On comprend que l’homme et l’animal ont le même besoin, le même plaisir de se chauffer à la douceur du soleil.
Notre héroïne Maria, Alexandra Borbély est une blonde aux yeux de biche un peu spéciale. Atteinte du syndrome d’Asperger, son attitude droite et distante presque schématique sème le froid et la distance autour d’elle. Maria est comme une enfant, une jeune femme sensible qui s’adapte difficilement au groupe. Elle rappelle sous certains aspects Saga Noren héroïne de la série dano-suédoise Broën (The bridge) incarnée par Sofia Helin. Il est intéressant de constater que ces personnalités sont désormais des héroïnes dont la difficulté de vivre en société est soulignée. Alexandra Borbély réussit une vraie performance car le langage du corps très rigide dans lequel elle excelle fait croire à son handicap.
L’espace industriel, l’anéantissement des bêtes est montré sans émotions. On passe de l’abattoir à la cantine régulièrement et sans transition pour assister à la vie de l’entreprise. C’est là qu’ont lieu les rendez-vous du directeur avec son responsable et sa provocante femme, et que Maria et lui se rencontreront.
Suite à une mauvaise blague dans la société au dépend des animaux, la police interrogera les employés de l’abattoir. Une psychologue étudiera les profils psychologiques pour trouver le coupable. Alors que le directeur raconte qu’il s’est vu en cerf lors d’un rêve, Maria raconte à son tour le même rêve.
Ildikó Enyedi navigue entre les séquences de rêves, oniriques où les animaux majestueux sont libres, le regard pétillant et celle de la vie quotidienne d’une industrie qui tue l’animal pour le découper en bouts de viande. L’approche et la rencontre des deux héros est inattendue car à priori ils ne s’entendent pas. C’est une très jolie fable à la mise en scène époustouflante.