« Quand on nous fait confiance, à nous acteurs, c’est très libérateur » Entretien avec la comédienne Lucie Debay

Plutôt discrète, l’actrice Lucie Debay se fraie un chemin assuré dans le cinéma belge en jouant dans de vraies œuvres belges, signe de ses choix pointus. Attachée de presse du Palais dans King of the Belgians de Peter Brosens et Jessica Woodworth, elle est éblouissante dans Nos Batailles de Guillaume Senez, dans lequel elle interprète un mystérieux personnage de mère.  Le film a assuré l’ouverture de la Semaine de la Critique à Cannes en Séance Spéciale et devrait sortir dans les salles belges en octobre*. Issue de L’INSAS, elle a fait ses armes au théâtre et au cinéma, jusqu’à ce que Bernard Bellefroid lui confie le rôle-titre de son film Melody. Sa prestation est alors récompensée par le Magritte du Meilleur Espoir Féminin en 2016.  Lucie Debay a fait partie du jury international de la première édition du BRIFF.

Stéphanie Lannoy : King of the Belgians était sélectionné à la Mostra de Venise, Nos Batailles était projeté en ouverture de la Semaine de la Critique à Cannes, vos films comptent dans le cinéma belge…
Lucie Debay : King of the Belgians a été un tournage inoubliable et sa particularité relève aussi de la manière de travailler avec Peter Brosens et Jessica Woodworth, ce qu’ils veulent raconter et comment. J’ai aimé la manière dont ils nous embarqué dans cette expérience. Après une aventure aussi forte c’est difficile d’enchainer d’autres tournages. Ma présence sur le tournage de Nos Batailles était beaucoup plus courte. Mais la méthode de travail de Guillaume (Senez ndlr), sa manière de se battre pour réaliser son film, ce qu’il veut raconter, c’était aussi une très belle expérience. Je reçois tout cela comme des cadeaux.

Comment s’est déroulée l’ouverture de la Semaine de la Critique à Cannes avec la projection de Nos Batailles? C’était une expérience totale puisque j’ai découvert le film à Cannes (rires). Une grande partie de l’équipe technique est venue en mini bus. C’est toujours beau de partager ces moments avec des gens qui ont participé au film. D’ailleurs à Venise aussi, de nombreuses personnes de l’équipe de King of The Belgians étaient présentes et n’avaient pas vu le film. C’est beau de partager ça.

Comment choisissez-vous vos rôles ? Je n’ai pas de méthode particulière et ces deux films-là sont justement très singuliers. Guillaume ne donne pas de scénario. J’ai vu Keeper et l’un de ces courts métrages et je trouvais intéressante la méthode avec laquelle il proposait de travailler, c’était excitant. King of the Belgians avait un scénario assez ardu à lire, qui était plus une matière. Un scénario l’est toujours, mais là particulièrement. Il comportait beaucoup d’improvisation et le tournage était prévu dans l’ordre chronologique. Le film a beaucoup évolué car on a joué avec beaucoup de comédiens non professionnels et tout était filmé en plan séquence. J’avais bien sûr le pitch comme base de travail, avec cette histoire assez étonnante. Mais c’était compliqué à partir du scénario d’imaginer ce que cela deviendrait. C’était impossible de toutes façons ! (rires).

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Les deux films demandent une vraie recherche au niveau du jeu d’acteur… Et puis la rencontre avec Jessica (Woodworth ndlr) a été déterminante, je l’ai rencontrée avant Peter. Quand elle m’a parlé de son film j’ai tout de suite eu envie de faire partie de son aventure. Le choix du rôle ne se fait pas forcément sur le scénario, cela peut être un mélange de beaucoup d’éléments, comme ici. Et c’est vrai que des fois cela tient beaucoup à la manière dont la personne vous raconte son projet. On a parfois envie de partir dans le trip que cette personne propose.

Quelle était la méthode de travail de Guillaume Senez pour Nos Batailles ? Le scénario est très écrit mais on ne reçoit pas les dialogues. Il les avait écrits très précisément et connaissait parfaitement la dramaturgie de chaque scène. Avec Guillaume tout est extrêmement précis et les impros sont très cadrées. Il sait ce dont il a besoin dans chaque scène, et chacune a un objectif. On commence par jouer les premières impros et on filme très rapidement. Au lieu d’avoir des dialogues avec lesquels on évolue, où l’on se dit : « Elle en arrive là, parce qu’elle pense ça ». Sur le plateau, nous acteurs, savons qu’il faut parler de plusieurs choses, que l’on amène de manière instinctive en jouant les réactions que l’on imagine que le personnage aurait dans les situations proposées. A partir de ce que l’on a proposé, Guillaume va nous orienter. Il construit vraiment à partir de notre personne. La scène se construit donc de l’intérieur, on part de nos impulsions. Je n’ai pas écrit de dialogues avant, je me suis lancée selon sa méthode. On a aussi beaucoup parlé en amont et j’ai rencontré plusieurs fois les enfants.

Comment s’est passé le jeu avec les enfants, est-ce une complexité supplémentaire ? Guillaume a très bien choisi les enfants (Lena Girard Voss et Basile Grunberger, ndlr). Quand on donne des dialogues aux enfants, ils se mettent de temps en temps à chanter, alors que là, ils comprenaient bien les situations. Ils se lançaient en étant extrêmement justes. Et ils avaient une force de proposition parfois étonnante que Guillaume n’aurait sans doute pas pu écrire.

Cette collaboration repose aussi sur la confiance… Il aime énormément les gens qu’il a choisi et est complètement à leur écoute. Quand on nous fait confiance, à nous acteurs, c’est très libérateur. Je lui faisais également confiance par rapport à ses films que j’avais vu avant. Cela permet de vraiment se lâcher en sachant que si l’on se trompe il va nous rattraper et nous aiguiller ailleurs.

A l’avenir souhaitez-vous travailler au cinéma ou au théâtre ? Je n’ai pas fait de théâtre depuis un petit moment et ça me manque. J’avais un projet qui a été repoussé donc je patiente… J’aime beaucoup la scène, je viens de là.

Vous avez étudié à l’INSAS… Ensuite pendant 5 ans j’ai beaucoup travaillé au Théâtre National, au Varia etc. Je dois faire attention car je n’ai pas envie d’arrêter le théâtre. J’ai laissé une grande place au cinéma mais j’aimerais parvenir à combiner les deux. Côté planning c’est un peu compliqué. Le théâtre se prévoit bien à l’avance, la saison est vite calée, mais ensuite il n’y a plus de place pour le cinéma qui vient plus tardivement et peut être modifié au dernier moment.

Que représente le fait d’être dans le Jury International du BRIFF ? J’ai l’impression d’avoir eu une promotion (rires). Ils avaient du mal à trouver une dernière personne et ils m’ont demandé un peu tardivement  (rires). Mais je suis flattée qu’ils aient pensé à moi. C’est intéressant de voir comment les choses se passent, prennent ou naissent. Et puis c’est plaisant de voir un condensé de films sur une courte période et de partager avec les autres. La sélection était très pointue. Je n’ai vu que les films internationaux, mais les films européens me donnent énormément envie de les voir.

Quels sont vos projets ? Je viens de tourner avec Fabienne Godet un long métrage qui est toujours en tournage. Son titre est provisoire, on ne peut pas le dévoiler. En septembre on tourne la suite de King of The Belgians, ensuite je tourne avec Vincent Paronnaud qui avait réalisé Persepolis et Poulet aux Prunes (les deux films en collaboration avec Marjane Satrapi ndlr). Il possède tout un univers BD, son surnom d’auteur est Winshluss. C’est un monde très particulier et il s’agit d’un film d’horreur.

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, BRIFF, Bruxelles, Juin 2018

*Nos Batailles fera l’ouverture du 33e FIFF à Namur (28 sept – 5 oct. 2018)

Entretien avec le cinéaste Guillaume Senez
Critique de Nos Batailles