Pajaros de Verano (Les Oiseaux de Passage), est une fresque comme on en voit rarement au cinéma qui embrasse deux décennies en Colombie, avec un sujet rare, la naissance des cartels de la drogue dans les tribus. Ciro Guerra (Président de la Semaine de la Critique du festival de Cannes 2019) et Cristina Gallego ont réalisé ce drame inspiré de faits réels arrivés en Colombie entre 1960 et 80. Ils l’avaient présenté à la Quinzaine des réalisateurs cannoise l’année dernière. On reste sidéré après la projection du film par la multitude de valeurs et de sentiments dont recèle cette fresque grandiose.
Après un an de confinement pour devenir femme, lors d’une grande cérémonie de la tribu Wayuu, Zaïda Natalia Reyes, doit danser avec celui qui deviendra son mari, en menant une périlleuse chorégraphie. Rapayet, José Acosta, réussit l’exercice, mais pour valider l’accord de mariage, il doit amener une riche dote à sa promise. Futé, l’homme va entreprendre de vendre de la marijuana à de jeunes américains anti-communistes et ramener les bêtes et colliers demandés à la famille de sa belle. La mère de celle-ci, Ursula, magnifiquement interprétée par Carmiña Martínez dirige le clan. Elle possède des dons divinatoires auxquels tous croient, notamment par les rêves. Pour subvenir aux besoins de sa belle-famille Rapayet va faire prospérer son affaire, en essayant de conserver les valeurs traditionnelles qui sont siennes.
La figure du film réside dans ce conflit entre le traditionnel et le moderne, la perte des valeurs et l’arrivée d’un monde nouveau et impitoyable régi par la drogue. Le scénario écrit par Maria Camila Arias et Jacques Toulemonde scinde le récit en « chants » aux noms évocateurs. Chant I Herbe sauvage, II La Tombe, III Prospérité etc. qui correspondent à des étapes dans la déconnection entre passé et présent et qui vont intensifier le drame. Côté image David Gallego filme de superbes plans d’ensemble montrant l’horizon infini du désert où vivent les protagonistes, immergés dans la nature également par le son.
Cette fresque intense confronte des univers que l’on a peu l’habitude de voir se heurter. Celui du code d’honneur des tribus qui fonctionnent par familles et par clans, et celui de la violence, des pulsions, de l’instinct lié au commerce de la drogue. Le personnage principal découvrira à ses dépends que l’on peut difficilement être un Wayuu et un baron de la drogue. Il n’y a pas de héros dans cette histoire et c’est aussi ce qui en fait la rareté et la richesse.