« Un cinéaste sincère se doit de s’intéresser au peuple », Wang Xiaoshuai, So Long My Son

Issu de la vague de cinéastes chinois des années 1990, Wang Xiaoshuai est coutumier des récompenses. En 2001 Beijing Bicycle remporte l’Ours d’Argent et Une Famille Chinoise celui du Meilleur scénario en 2008. Shanghai Dreams remporte le Prix du Jury à Cannes en 2005. Aujourd’hui le cinéaste présente au BRIFF So Long My Son, un chef d’œuvre à couper le souffle. Trois heures d’une saga familiale entremêlée aux quarante ans de transformations d’une Chine en perpétuelles mutations, au détriment de l’humain. Les bouleversants acteurs principaux, Yong Mei et Wang Jingchun ont tous deux décroché l’Ours d’argent de la meilleure interprétation au dernier festival de Berlin. C’est tranquillement assis à une petite terrasse bruxelloise que le cinéaste nous raconte son chef d’œuvre, avec la simplicité déconcertante d’un homme à la sympathie et la politesse évidentes et au talent indéfinissable. Le long métrage vient de remporter le Grand Prix du BRIFF à Bruxelles.

Stéphanie Lannoy : Comment le projet du film a-t-il débuté ?
Wang Xiaoshuai :
L’idée m‘est venue en 2015, au moment où le gouvernement a mis un terme à la politique de l’enfant unique. Cette politique a débuté au début des années 80 et je n’avais jamais pensé au fait qu’elle puisse un jour s’arrêter. Ce qui était vraiment intéressant, c’est que pendant une trentaine d’années, toute une population a été soumise à cette politique. Les gens qui étaient en âge d’avoir des enfants pendant ces années-là sont assez particuliers, différents des autres. De plus, même s’il on constate que le nombre de films commerciaux s’accroit en Chine, je considère pour ma part qu’il est fondamental de faire des films qui traitent de problèmes sociétaux.

« So Long My Son » est une fiction qui porte une vraie valeur documentaire… Le film montre l’impact de cette politique sur la vie réelle, quotidienne et personnelle des gens. L’impact de cette politique généralisée sur l’individu, sur la famille. Il n’y a pas que les documentaires qui doivent parler du vrai. En même temps je considère que ce n’est pas aux films de fictions qu’il revient de toujours évoquer ce qui est amusant et comique. Les réalisateurs de fictions ont une responsabilité pour parler du vrai. Les gens n’ont pas toujours une vie facile et un cinéaste sincère se doit de s’intéresser au peuple et à son sort.

La notion de temporalité est très importante dans le film, il y a de nombreux flash-backs, les époques s’entremêlent sans cesse. Comment avez-vous construit le scénario ? Un scénariste avait d’abord écrit une histoire linéaire du début à la fin avec un suivi chronologique. Je trouvais que le récit comportait beaucoup trop d’éléments, que cela allait être vraiment trop long pour en faire un film. J’ai retravaillé ce scénario et commencé à sélectionner les scènes qui constituent fondamentalement des marqueurs de cette vie. Je l’ai réduit à ces événements clés. Et là je me suis posé la question du flash-back. J’aime bien cette idée du flash-back dans le sens ou dans notre vie, c’est comme cela aussi. Les choses arrivent et à certains moments, d’un coup, on se sent projetés dans notre mémoire, dans ces moments dont nous nous souvenons. C’est pour cela que j’ai choisi d’intercaler le présent et le passé.

Vous n’aimez pas trop prendre le spectateur « par la main »… Dans un film il est bon que de temps en temps le spectateur se pose des questions et que graduellement, il puisse commencer à comprendre ce qu’il se passe. J’aime bien ça. Je vous donne un exemple. On voit dans le film que le couple a perdu son fils. Mais en même temps, nous avons déjà vu que ce couple a aujourd’hui un fils et que ce fils porte le même nom. Là, le spectateur est interpellé. Il va commencer à réfléchir, puis va délier les fils de la narration et comprendre ce qu’il y a derrière tout ça. Dans la vie c’est pareil. Imaginez que vous ayez un ami qui est en couple avec quelqu’un. Vous ne vous voyez pas pendant dix ans. Lorsque vous vous revoyez cet ami est avec quelqu’un d’autre. On ne va pas vous expliquer tout ce qu’il s’est passé depuis cette année-là. Vous allez graduellement deviner parce que vous n’allez, bien sûr, pas poser la question. Puis peut-être qu’à un certain moment eux-mêmes vont raconter leur histoire.

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Comment avez-vous choisi les acteurs ? Pour Yaojun, le mari, j’avais déjà travaillé avec Wang Jingchun dans Eleven Flowers et je trouvais qu’il correspondait bien pour ce rôle car il avait l’âge du personnage. Pour son épouse, Liyun, je connaissais Yong Mei et cherchais depuis longtemps une occasion de travailler avec elle. Comme elle avait également l’âge du rôle je me suis dit que c’était le moment. En général les acteurs en Chine ont très peu de temps à vous consacrer. Ce qui fait que vous avez à peine le temps de terminer le film. Je savais qu’eux deux allaient vraiment trouver le temps nécessaire. Tout le monde est très occupé dans beaucoup de projets différents mais je savais qu’ils étaient prêts à consacrer tout ce temps-là au film. Et c’est génial, car ils ont finalement été récompensés en remportant le Prix à Berlin (Ndlr : L’Ours d’Argent, Prix de la Meilleure Interprétation masculine et féminine).

Quelle est la fonction de la musique dans votre film ? En général j’utilise très peu de musique dans mes films. Je préfère utiliser le son d’ambiance, parce que j’ai toujours peur de perdre en authenticité. Ici je n’en n’ai pas utilisé beaucoup non plus. Mais il existe une chanson très populaire en Chine que je voulais absolument utiliser. En Chinois les mots sont les mêmes qu’en Français : « Ce n’est qu’un au revoir, nous nous reverrons mon frère », il y a cette idée d’éternité. La seconde partie de la chanson est aussi le titre du film en Chinois. Ce titre se compose justement en Chinois de 4 caractères de cette chanson et en fait, l’idée signifie « pour toujours ». N’est-ce pas complètement contradictoire de dire d’une chose qu’elle serait pour toujours ? Parce que fondamentalement dans la vie, qu’est ce qui est pour toujours ? Rien, il me semble.

Quelle importance accordez-vous aux plans séquences dans vos films ? Ce n’est pas vraiment un choix. Ce qui importe dans une séquence, c’est qu’elle comporte ce qui doit y être exprimé. Par exemple, quand le couple revient et va voir le cercueil de son fils, on les voit venir, monter etc. J’ai trouvé que la manière dont ils agissaient était très vraie, très naturelle. C’est pour cela qu’ici je laisse le plan séquence. Si cette séquence est bien faite, elle donne au spectateur la possibilité d’être vraiment présent, c’est l’avantage du plan séquence. Le spectateur peut se déplacer et y participer, y entrer. Certains réalisateurs assument ce choix. Ils aiment travailler de cette manière car cela les arrange bien dans la structure qu’ils envisagent. Pour moi, c’est simplement l’idée de donner l’occasion au spectateur de ressentir l’action. Ce n’est que dans ce sens-là que je garde le plan séquence.

Les parents Liyun et Yaojun sont-ils les symboles d’une Chine ancienne ? Je ne dirais pas qu’ils représentent une ancienne Chine, mais plutôt la Chine actuelle. Avant l’introduction de la politique de l’enfant unique ils avaient une vingtaine d’années, maintenant ils ont cinquante, soixante ans. On pourrait dire qu’ils couvrent cette période pendant laquelle on a eu cette politique.

A la fin ils reviennent dans leur appartement qui est toujours dans l’état où ils l’ont laissé des années auparavant. Liyun dit : « On l’a laissé tel qu’il est. Le temps n’a rien changé »… J’aime particulièrement ce moment dans cette dernière partie du film. Le fait que nous ayons vu combien tout avait changé et combien le temps avait passé. Mais elle y retourne et on aurait presque l’illusion que rien n’a changé. J’aime beaucoup ça. Surtout pour Liyun, la maman, qui aurait voulu oublier ce qui s’est passé. Elle dit au fils de l’autre couple : « rien n’a changé », et quelque part en disant cela, elle veut dire : « On a tout oublié ».

Lors de cette visite les parents constatent un terrible contraste entre l’extérieur et l’appartement inchangé. Seul leur immeuble subsiste encore debout, comme un vestige du passé, entouré d’un nouveau quartier, Liyun déplore : « Il n’y a pas de traces de notre passé ». Comme si la mémoire Chinoise se perdait… C’est très typique en Chine. On a détruit, enlevé presque tout ce qui était là avant pour le remplacer par du neuf. S’il y a une chose qui m’alerte et m’inquiète, c’est le fait que dans la Chine contemporaine on essaie de se débarrasser de la mémoire et de tout remplacer par du moderne.

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, BRIFF 2019