Drive my Car de Ryusuke Hamaguchi, une fresque aérienne au coeur de l’intime

Ryusuke Hamaguchi (Asako I et II) signe une Fresque impressionnante sur un scénario co-écrit avec Takamasa Oe, d’après une nouvelle de Haruki Murakami. Son adaptation épouse le genre cinématographique dans une beauté de réalisation, d’image et de mise en scène, le tout dans une fluidité narrative. Lauréat du Golden Globe du Meilleur film en langue étrangère, Drive my Car est aussi nommé pour quatre Oscars: Meilleur film, réalisation, scénario adapté et film international. Il décrochait en juillet dernier le Prix du scénario au dernier festival de Cannes ainsi que le prix FIPRESCI. L’apparition d’un générique après quarante minutes de film, en tout trois heures qui filent comme la voiture du héros sans que l’on ne s’en aperçoive…

Acteur et metteur en scène, Yūsuke Kafuku, Hidetoshi Nishijima, est marié à Oto, Reika Kirishima elle-même scénariste. Le couple à succès vit dans un loft bourgeois aux grandes baies vitrées ouvertes sur les hauteurs de la ville. Leur relation s’imprègne des histoires qu’invente Oto au fil du temps. C’est alors qu’elle disparait. Abîmé par la vie, Yūsuke part monter Oncle Vania dans un festival à Hiroshima. Il rencontre alors Misaki son chauffeur attitré au féminin.

La narration est brillante. Les fils du récit s’entremêlent habilement et créent des correspondances inattendues où les silences ont toute leur place, incluant une dimension fantastique chère à l’écriture de Haruki Murakami. De En attendant Godot à Oncle Vania, Ryusuke Hamaguchi fait appel aux classiques du théâtre pour de célèbres références qui retentissent dans son histoire. Le spectateur est happé par ce récit hors normes aux zones de mystères intenses et finira par se lover avec les protagonistes dans la fameuse Saab Turbo rouge. L’espace clos de la voiture dans laquelle Yusuke écoute sur une cassette la voix de sa femme lui donner la réplique de la pièce qu’il répète est symptomatique d’une réflexion sur la notion d’espace. Un dialogue peut s’y créer entre deux personnages comme avec son chauffeur, la renfrognée Misaki, Toko Miura. L’espace est aussi celui de la scène de théâtre qu’il faut envisager en terme de cinéma. Une mise en scène de Oncle Vania au théâtre avec un extraordinaire casting dont les acteurs ne parlent pas la même langue, jusqu’à y intégrer une actrice muette qui s’exprime en langue des signes. C’est très beau. Cette ouverture à l’autre, l’étranger, est belle et poétique comme la résilience des protagonistes écorchés par la vie à la recherche d’une vérité. On notera aussi cette vue de la voiture dans un travelling arrière formidable comme si les intéressés remontaient le temps pour la réflexion sur leur propre passé.