Entretien avec le cinéaste Kyioshi Kurosawa pour « Before we vanish »

Après son expérience européenne vécue à travers la réalisation de son dernier long métrage Le secret de la chambre noire, tourné en France, le japonais Kiyoshi Kurosawa revient dans son Japon natal et plonge dans l’univers de la Science-Fiction des années cinquante, en adaptant une célèbre pièce de Tomohiro Maekawa, qui parodie le genre. Réalisateur d’œuvres telles que Tokyo Sonata ou encore Shokuzaï, Kurosawa conserve ici cette singularité bien à lui, de transcender son récit en incluant l’indicible, le fascinant. Before we vanish (Avant que nous disparaissions) est présenté en Sélection Officielle, dans la section Un Certain Regard au 70e Festival de Cannes.

Stéphanie Lannoy : Pourquoi avoir choisi d’adapter cette pièce de théâtre de Tomohiro Maekawa ?

Kiyoshi Kurosawa : Très Jeune déjà, j’aimais beaucoup la science-fiction. Ce genre est assez populaire au Japon et je désirais faire un film de ce genre là un jour. Beaucoup de ces films sont créés aux Etats-Unis, mais pas au Japon où ils sont difficiles à produire. Je me demandais quel récit je pourrais trouver qui corresponde à ce genre de film. Quand j’ai découvert cette histoire, elle m’a plu tout de suite et j’ai réalisé qu’elle ne nécessitait pas un gros budget. C’est comme cela que j’ai commencé à penser à la réaliser.

Quelles sont les différences entre la pièce et le film ? Il existe des similarités et des différences entre les deux. Si vous choisissez une œuvre jouée sur scène et que vous la transformez en un film cela change beaucoup de choses, certains aspects sont plus importants dans un film. Je me demandais vraiment comment faire pour l’adapter. Je me suis penché sur le scénario. La pièce est jouée dans un espace réduit et il n’y a pas particulièrement d’effets spéciaux, ce qui facilitait les choses.

Votre cinéma est très apprécié ici en France… En France, actuellement, de nombreux films Japonais sont montrés sur les écrans. Je ne sais pas si j’ai des fans, mais tous mes films y ont été montrés et j’en suis vraiment ravi.

Comment cela se passe-t-il au Japon ? Mes films sont bien sûr tous montrés dans les cinémas japonais mais l’image qu’ont les réalisateurs au Japon et en France est très différentes. En France les réalisateurs sont considérés comme des artistes. Nous sommes invités dans des festivals et plus respectés. Au Japon, peu de gens connaissent le nom des réalisateurs japonais. Il fut un temps ou les noms des cinéastes japonais était connus mais cela n’est plus le cas.

Dans certains de vos films, les personnages semblent être vides. Comme Shinji, ou Jean dans Daguerréotype, donnez-vous un profil psychologique aux acteurs avant de commencer le tournage ? Je ne donne jamais vraiment le profil psychologique des personnages avant de jouer, je crois en ce que les comédiens sont capables de faire par eux-mêmes pour créer leurs propres personnages, je leur fais confiance.

Ils lisent donc le script et entrent dans l’histoire… Je n’aime pas que les acteurs préparent trop leurs personnages. Ils n’ont pas à le faire et parfois je leur demande même de ne pas les construire. Je préfère qu’ils jouent le plus naturellement possible. Quand la caméra commence à tourner, alors ils peuvent le ressentir, en utilisant leur instinct pour jouer.

C’est votre première collaboration avec Ryuhei Matsuda (Shinji) et Hiroki Hasgawa (Sakuraï, le journaliste), comment les avez-vous choisis ? Ce sont des acteurs dont j’admirais le travail et avec qui je souhaitais travailler depuis longtemps, je leur ai donc demandé. Dans mon film Creepy, les deux acteurs principaux sont ceux avec qui je collabore régulièrement. Cette fois-ci je voulais travailler avec des comédiens avec qui je n’ai jamais travaillé.

Beaucoup de vos films évoquent le corps et l’esprit comme deux entités à part. Considérez-vous que le corps et l’esprit peuvent être séparés ? Est-ce que quand le corps disparait, l’esprit reste ? C’est une vraie question. Je ne peux pas y répondre comme ça directement, mais je peux dire ceci. Pour moi, si le corps disparait, je crois que quelque chose demeure, même si le corps n’est plus. Il me semble que c’est une manière naturelle de penser. Lorsque l’on dit que le corps et l’esprit disparaissent ensemble, en même temps, je trouve cette pensée extrêmement violente. Je préfère me dire que l’esprit reste.

La place de l’amour est très importante dans votre œuvre… Le film évoque plusieurs concepts, pas seulement celui de l’amour. Le principe est que les aliens volent des concepts aux humains. Il était possible d’exprimer cela sur scène, mais c’était compliqué de montrer cela dans un film, car vous ne pouvez pas réellement voir le concept qui n’est pas quelque chose de visuel. Exprimer cela dans le film était donc assez difficile pour moi. Les aliens volent un concept à chaque personne, cela me permet de créer quelques scènes amusantes pour chacun des concepts. Et peu à peu, on arrive à la partie la plus importante, à la fin, qui est celle du vol du concept de l’amour à l’épouse. J’ai souhaité finir avec le concept de l’amour, plus dramatique.

Pouvez-vous tout dire dans vos films, existe-t-il des tabous au Japon?  Les tabous existent bien sûr, mais je n’y pense pas quand je fais un film. Et pour répondre à votre question, j’aime les films pour le divertissement qu’ils procurent et normalement je n’insère jamais dans mes films un propos que je voudrais dire directement. Ce n’est pas ma méthode de réalisation. Cela dit, il arrive que cela ne soit pas intentionnel. Les personnes qui voient mes films disent que je veux signifier cela, ou que ma vision du monde est celle-ci, ou que mes valeurs sont celles-là. Ce que j’essaie de dire, c’est que je dois être très prudent sur les vraies valeurs que je transmets et sur ma manière de réfléchir le monde. Je dois établir moi-même ce que je veux voir du monde.

Lisez-vous les critiques de vos films ?  Vous ne me voyez sans doute pas comme cela, mais je suis influencé par les critiques. Je m’en soucie beaucoup. Donc je ne les lis pas du tout. Parce que si quelqu’un critique vraiment mon travail en mal j’en suis très affecté. Si quelqu’un aimait mon travail je serais heureux, mais en même temps cela créerait beaucoup de pression pour le film suivant. Je préfère ne pas les lire du tout.

Votre dernier film, le secret de la chambre noire a été tourné en France, quelle expérience en retirez-vous ?  Au départ je pensais que cela ne pourrait pas se faire, parce que je ne parle pas français, j’étais un peu stressé. Mais quand j’ai commencé à travailler avec l’équipe et les comédiens, c’était presque comme au Japon. Je dirais même qu’ils sont plus que japonais, ils travaillent très dur et sont très passionnés par leur travail, ce sont des professionnels. Ils essayaient vraiment de comprendre ce que je voulais. Peut-être qu’au Japon on travaille un peu différemment, mais la passion pour le travail est la même. Ensuite, il faut obtenir de bonnes critiques de la part des européens. C’est sans doute une autre étape pour moi. Au Japon c’est la même chose, il y a une question de production et de rentabilité. Je suis en discussion actuellement avec les producteurs afin que si nous travaillons ensemble, le prochain film soit plus rentable et qu’il ait une audience plus large.

Quel pourrait-être selon vous le concept du film ?  L’invasion pour moi fait partie du genre de la science-fiction qui est habituellement une métaphore de la période politique, du pays ou des sentiments dangereux générés à propos d’une insurrection armée, ou ce genre d’événements… Ici cela reflèterait la situation actuelle au Japon. Je ne peux pas dire que c’est la situation exacte. Mais depuis plusieurs années, les japonais ont commencé à craindre une invasion, peut-être une guerre mondiale et le film représente cette peur. Je ne peux pas expliquer le concept de ce film en mots mais je peux dire que l’invasion par des aliens est une métaphore de la guerre. Et je suis très embarrassé de le dire, mais l’amour est sans doute quelque-chose qui peut combattre la guerre ou ses dangers.

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, mai 2017, 70e Festival de Cannes.

Before we vanish, la critique

Entretien avec Tahar Rahim – Les secret de la chambre noire