L’Homme qui a vendu sa peau de Kaouther Ben Hania, Faust est parmi nous

Kaouther Ben Hania incarne la nouvelle vague d’un cinéma tunisien briseur de clichés qui impose librement et courageusement la vérité de sa société à l’écran. La cinéaste engagée défrayait déjà la chronique en 2017 avec son intense thriller sociétal, La Belle et la Meute. Elle récidive avec L’Homme qui a vendu sa peau (The Man Who Sold His Skin),un drame digne de Faust. Imposant sa vision inspirée d’une réalité dérangeante, Kaouther Ben Hania adapte celle-ci en une fiction symbolique sur notre époque. Le film était le premier Nominé aux derniers Oscars pour la Tunisie catégorie Meilleur Film Etranger, un beau symbole du point de vue de son discours sur l’état du monde.

Syrie 2011. Sam Ali doit fuit son pays pour le Liban voisin afin d’échapper à la guerre. Son désir le plus cher est de rejoindre l’amour de sa vie, Dea Liane, en Europe. Il accepte alors d’être tatoué par un sulfureux artiste contemporain mondialement connu. En transformant son corps en œuvre d’art, Sam Ali n’a pas mesuré les conséquences de son engagement. Yahya Mahayni a décroché le Prix du meilleur acteur en section Orrizonti au dernier Festival de Venise pour le rôle de Sam Ali. Il donne la réplique à la blonde et froide Soraya Waldy, Monica Bellucci, assistante du célèbre artiste Jeffrey Godefroi, interprété par Koen De Bouw.

Kaouther Ben Hania parie sur une mise en scène signifiante. Autant dans l’usine libanaise de la chaîne de poussins que l’on mesure et l’on jette que dans la représentation artistique qui se love au divin. L’homme y est exposé – souvent magnifié en contre plongée – avec une musique solennelle qui tend au divin. La cinéaste conte avec une certaine ironie le fait que l’homme soit parvenu au comble de son art en exposant un être humain tel un objet dans un musée, lui conférant le statut d’œuvre d’art et non plus celui d’homme, en l’exploitant. Elle rejoint le mythe de Faust malgré elle puisqu’elle s’inspire de Tim, une véritable œuvre du Flamand Wim Delvoye qu’elle a découverte en 2012 lors d’une exposition au Louvre. On note quelques clins d’œil au film The Square de Ruben Ostlünd, qui questionnait déjà l’humanité et les limites d’un monde de l’art sclérosé, notamment dans la scène où l’homme torse nu effraie le public, comme celui de The Square ravageait un somptueux dîner de convives apeurés.

Entre l’artiste et l’homme syrien, intervient l’argent, le visa, une vie nouvelle achetée par un artiste, hurluberlu occidental, à un homme désemparé, à un réfugié de guerre qui sacrifie son corps. L’échange de procédé est malsain et cristallise la relation orient/occident de manière terrifiante.