Albert Dupontel «La psyché des dirigeants c’est l’économie»

On attend ses longs-métrages avec impatience. Albert Dupontel nous emmène toujours sur des chemins de traverse vivre des aventures improbables avec des personnages, des pieds nickelés hauts en couleur, toujours attachants. Après Adieu les cons, c’est au coeur d’une élection présidentielle que nous convie le cinéaste d’Au Revoir là-haut. Second Tour est une tragicomédie hilarante qui résonne comme un cri d’alarme face à un monde que nous sommes clairement en train de bousiller. Fidèle au 38ème FIFF le cinéaste revient à Namur présenter son dernier long métrage. Pour citer celui qui la dernière fois était accueilli par des trombes d’eau, « Déjà quand il y a du soleil à Namur c’est un événement, alors là, 30 degrés en octobre!». Réchauffement climatique? Surréalisme? Fantastique ? Dupontel s’inspire de tout ça à la fois.

Stéphanie Lannoy: Un discours de Robert Kennedy est à l’origine de Second Tour ?
Albert Dupontel : Oui, c’est en voyant un documentaire sur le parcours de Robert Kennedy que j’ai eu cette idée saugrenue. Une scène dans un ghetto black à Indianapolis montre notamment le moment où Robert Kennedy apprend la mort de Martin Luther King. La parole qui est dite à ce moment là est d’une sincérité, d’une intelligence et d’une conviction prodigieuse. La seule ville des Etats-Unis où il n’y a pas eu d’émeutes ce soir-là était Indianapolis. Quand la parole politique atteint ce niveau-là elle a un vrai poids sur les gens. L’idée m’est venue pendant le confinement. Et si ce soir-là il n’avait rien dit ? Pour terminer par une enquête footballistique hautement improbable.

Quelque-chose vous a profondément touché chez cet homme au point d’en réaliser un film. Oui, le personnage est à la fois irrésigné, héroïque et positif. Entre l’assistant de Mccarthy en 58 qui dix ans plus tard devient le premier défenseur des droits civiques, il y a toute une évolution. J’ai créé des raisons irréalistes pour mon personnage mais le parcours est le même. Côté réalisme il y a aussi Marx et Engels. Engels prend conscience que l’usine de son père exploite des gens et encourage Marx à écrire. On dit même que c’est lui qui a fini d’écrire Le Capital. Ca c’est la réalité, mais elle ne m’intéresse pas plus que ça. J’aime bien raconter des fables. J’ai inventé ce que vous savez dans le film sans forcément le dévoiler pour justifier pourquoi ce personnage voulait changer les choses. Mais au départ c’est ce réalisme-là qui m’a inspiré.

Comment avez-vous réuni ce duo clownesque constitué par Cécile de France et Nicolas Marié ? J’ai fait des essais avec plusieurs actrices, mais Cécile était super. Elle a beaucoup travaillé pendant deux mois, c’est une actrice épatante de rigueur, d’enthousiasme, d’inventivité, d’énergie et de détermination. Elle dit qu’elle n’est pas cérébrale mais elle a beaucoup de réflexions de dramaturge. La scène ou Nicolas lit sur les les lèvres, aux répétitions durait bien trois, quatre minutes c’était vraiment long. Cécile m’a dit «Tu lui fais dire des choses que mon personnage sait déjà». Elle avait raison, j’ai raccourci cette scène. Et Nicolas adore jouer. Il est très rigoureux, très précis. Il est même allé voir comment se disait «Batârd de ta race» en allemand, on s’est dit que c’était un gag! Il le fait très sérieux avec une conviction totale. Il ne cherche pas à faire rire Nicolas. Il est très sincère dans son désarroi, il en devient touchant et drôle.

Vos personnages sont souvent des pieds nickelés dont vous faites des héros et vous êtes toujours en empathie avec eux. Est-ce la faille qui vous intéresse chez eux ? Ce sont des bras cassés, oui. Vous avez un grand écrivain ici, Simenon. Il comprend toujours ses assassins. Il ne leur pardonne pas forcément mais il les comprend. Quand vous prétendez écrire des histoires il faut comprendre. Hitler était un enfant battu. On ne va pas dire qu’Hitler ce n’est pas grave, on ne va pas trouver des excuses, mais c’est quand même un enfant battu. De la vie il n’a connu que la haine. A partir de là tout est possible. C’est pour ça qu’entre être éduqué et être aimé il y a une vraie différence. L’un a été aimé, l’autre a été éduqué et bien il y a une faille chez ce personnage, il est tragique.

Votre film est à la fois une fable, une fiction et dans le même élan pousse un cri d’alarme écologique. Ce n’est pas très original, je ne suis pas un messager. Je commente ironiquement, affectueusement, tendrement même des personnages et des moments que je traverse. Mais je n’ai pas d’ambition sociale. Je veux distraire.


Que pensez-vous du fait que l’Europe veuille maintenir le glyphosate pendant encore dix ans ?
Ils sont fous! En 1982 j’avais 18 ans, j’ai acheté des ruches chez moi en Bretagne. Puis en 1986 j’ai vu les essaims disparaitre. On m’a dit qu’un pesticide était arrivé, le Gaucho. C’est une forme de glyphosate. Il n’a toujours pas été interdit parce qu’ils ne sont pas sûrs de sa dangerosité! Des tableaux montrent l’arrivée de ce produit et on voit les courbes chuter. Un enfant de deux ans peut comprendre qu’il y a un rapport. Mais ils ne sont pas encore certains. Les lobbys gagnent plus de sous avec le glyphosate, mais que voulez vous que j’y fasse ? Je l’évoque d’ailleurs. Ca va devenir très présent parce que le film sort maintenant mais il a été écrit il y a trois ans. Tout d’un coup on en reparle… Oui ils remettent le glyphosate et voilà. Ils avaient trouvé beaucoup d’argent pour le Covid, des milliards. Ils avaient tapé sur les gilets jaunes parce qu’ils n’avaient pas de sous et tout d’un coup arrive le Covid, plus personne ne peut jouer au Monopoly. Aujourd’hui il y a l’inflation, ils ont tellement fait marcher la planche à billets. Je n’y connais rien en économie mais c’est assez facile à comprendre. Pour la filière de la betterave ils ont annoncé qu’ils allaient relancer l’utilisation d’un produit (Les néonicotinoïdes, des insecticides interdits en France depuis 2018 ndlr). Ils avaient trouvé des milliards pour le Covid mais là ils ne trouvaient pas 100 millions pour cette filière. Les paradoxes comme celui-là sont nombreux. La psyché des dirigeants c’est l’économie. Pour toute décision politique qui pourrait être prise, on va d’abord demander le droit à Bercy. Et Bercy dit non.

On sent que votre fiction se base sur une importante documentation avec beaucoup de détails vrais, comme le test du chamallow. On trouve des vidéos de ce test sur youtube. Comment procédez-vous pour l’écriture ? C’est un pédagogue américain qui faisait ça. Les jumeaux qui dessinent tout en double quand ils sont séparés sans le savoir, c’est authentique. Je me nourris, je lis beaucoup de bouquins en permanence. Je ne suis pas érudit mais je suis très curieux intellectuellement. J’adore les vieux films français des années 30, en particulier le réalisme politique. Ensuite quand j’écris une histoire je me sers de toutes les infos que j’ai eues entre temps.

Vous faites des recherches ? Non je ne cherche pas pour l’histoire je possède déjà les infos. Là Je voudrais faire un nouveau film sur une histoire d’amour improbable. Les infos sont là, par contre il faut y mettre de l’ordre et ça prend du temps. Je savais que le test du chamallow existait. Un copain à moi pédopsychiatre m’a aussi expliqué que certains gamins savent déjà à trois ans que l’adulte est un menteur. Ca tombait bien par rapport à cette femme qui veut que son fils soit une bête de compétition.

Un personnage dit d’un autre qui n’a pas été à l’école : « Il n’y connait rien mais il sait tout ». Il sait tout parce qu’il est dans la nature. Le divin c’est la nature dit Jung. Il connait les abeilles, la nature, les saisons. Il connait tout de ce qui est essentiel aujourd’hui.

L’école de la nature est-elle supérieure a celle de la République ? Bien sûr. C’est la différence entre quelqu’un qui a été aimé et quelqu’un qui a été éduqué. Lior est une grosse brute mais il a fait de bons choix pour son gamin. Il est différent mais il n’est pas con et il est heureux là, avec des valeurs essentielles. La technocratie il ne l’a pas, mais il va être bien encadré, il y a des gens supers autour de lui. Le professeur Louis Jacob est un médecin qui a découvert l’ARN. Avec Jacques Monod il obtient le Prix Nobel de médecine en 65 (également avec André Lwoff ndlr) ce sont les médecins qui ont trouvé l’ARN. Jacob a écrit un bouquin passionnant que j’adore, la statue intérieure. Ce gars est parti à Londres à vingt ans, a fait le débarquement mais est arrivé trop tard pour reprendre ses études de médecine parce qu’il était blessé. Il voulait faire de la chirurgie, n’a pas pu et s’est mis à ses recherches. En allant au cinéma un soir il s’est dit, « Il y a un truc que je ne comprends pas dans le cycle de Krebs ». Le cycle de Krebs est la fabrication de l’énergie dans une cellule. Il va au ciné et s’engueule avec sa femme. Il sort et c’est là qu’il a compris, «C’est un élément que l’on ne connait pas qui existe ». Et il trouve l’ARN. Le professeur Jacob du film vient de là. Je me suis aussi inspiré de Gunter Pauli, un économiste de l’économie bleue qui a écrit des bouquins passionnants. Je me suis nourri pour tout ça, de choses que je connaissais et puis Curiepe (professeur ndlr) est un anagramme d’épicure ce n’est pas très original… (rires). Mais oedemonia ca existe, c’est reconnaitre ses échecs avec le sourire. Une grande phrase des stoïciens.

Vous dédicacez le film à trois personnes, Bertrand Tavernier, Jean-Paul Belmondo et Michel Deville. Qu’est-ce que vous gardez de chacune d’entre elles ? J’avais des relations fortes avec les trois. Bertrand était un grand cinéaste. J’avais vu Coup de Torchon à 18 ans qui est pour moi la meilleure façon de raconter les colonies, la petite histoire dans la grande. Le juge et l’assassin… J’adorais ce cinéaste tellement cinéphile. Il m’envoyait encore quelques semaines avant sa mort des listes de films que je devais voir. Il avait une énorme culture. Scorcese dit «On croit qu’on sait des choses, mais on rencontre Bertrand et on se rend compte que l’on ne sait rien». Des listes de films que j’ai encore avec des films de cinéastes que j’ai découverts. William Wellman, Gordon Douglas que j’ai connus grâce à lui. Voyage dans le cinéma Français de Bertrand est un film extraordinaire, j’ai toujours adoré le ciné des années 30 et de voir comment il en parlait, sa manière de le raconter. Belmondo je le connaissais très bien. Il était une icône d’enfance et de ma jeunesse. C’est un personnage qui avait l’élégance de ne jamais se plaindre même à la fin. Je l’ai vu quelques semaines avant qu’il s’en aille, il faisait encore des clins d’oeils. Et Deville pareil. Après Bernie je pensais que j’étais grillé et il m’a fait faire un joli film sur La maladie de Sachs. Ils sont partis et je rends hommage à ces gens là pour dire qu’Ils ont été vraiment importants dans mon existence.

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, FIFF Namur 2023.
Photo d’Albert Dupontel ©FIFFNamurMaurineCamus